Jérome Péllissier, La fabrique des surdoués

J’apprécie ceux qui ont le courage de remettre en question les “vérités établies”, à condition d’utiliser des bons arguments.

La lecture de ce livre m’a beaucoup agacé. C’est un livre qui se veut professionnel mais écrit avec beaucoup de moquerie et de mépris envers ses confrères et des approches qui ont déjà fait ses preuves depuis des décennies. A cela s’ajoute un manque de rigueur scientifique et des erreurs grossières. C’est pour cela que je fais une critique aussi précise, et aussi courte que possible, pour “remettre la pendule à l’heure”.

Il utilise le mot “imposture” dans le titre du livre et on comprend qu’il met en doute le sérieux et la compétence de certains de ses confrères. La lecture du livre le confirme. Aucun doute.

Une recherche sur internet m’apprends que l’auteur a eu son doctorat en 2010 à l’Université Lyon 2 et dont le titre était : “Les troubles du comportement dans les syndromes démentiels”. Information pas très facile à trouver. Son spécialité est la psychogérontologie et maintenant il essaye de s’attaquer à ce domaine professionnel (information trouvée sur son site). Il se présente comme chercheur n’étant pas attaché à aucune structure de recherche.

De la bibliographie de ce livre on voit plutôt une liste de livres en rapport avec le sujet et on comprend que ce livre est sa première publication sur le sujet.

Le point de départ de son livre est la déconstruction de la validité des tests de QI. À la page 39, on lit ceci :

“Une croyance (sic) si simple, en plus, si évidente: l’intelligence, comme la taille des becs des pinsons (sic), se distribue dans la population suivant une loi dite “loi normale”, représentée par la courbe de Gauss. La voici telle qu’on la trouve dans la plupart des ouvrages traitant de la mesure de l’intelligence, des “surdoués”, etc.”

Or… c’est complètement faux. Ce qui est dit suivre une “loi normale” (gaussienne) dans une population n’est pas l’intelligence mais les scores des tests de QI (WAIS, WISC, …). C’est pareil pour le résultat d’un contrôle scolaire qui suit, aussi, une loi gaussienne (ou proche).

Les tests de QI n’évaluent que quelques composantes de l’intelligence ou, dit autrement, partie des capacités cognitives de quelqu’un. La créativité, je ne cite qu’un exemple, est évaluée par d’autres tests : EPoC, TTCP ou encore TCT-DP.

Donc, il semble bien que l’auteur n’a pas compris la différence entre le “résultat d’un test de QI” et “intelligence”.

Par la suite, il énumère, avec humeur déplacé et mépris, ce qu’il pense être des limitations des tests de QI. Or, les (vraies) limitations sont connues depuis longtemps et prises en compte par les psychologues dans leur activité. Pour ne citer que deux références, en 1998 N. J. Mackintosh dans son livre “IQ and human intelligence” parlait déjà de ces limitations. Une référence très récente française cette fois-ci est le livre “Psychologie du haut potentiel” sous la direction de Nathalie Clobert et Nicolas Gauvrit, publié au mois de mars 2021.

A la page 51, pour essayer de démontrer que le score du test de QI n’a pas de sens, il fait analogie avec le poids exprimé par une balance. Il parle de “intervalle de confiance” et “précision”, mais son explication est complètement fausse. Il fallait aussi ajouter le terme “exactitude”. Ces concepts sont bien expliqués sur Wikipédia.

S’il ne comprend pas le sens de ces termes statistiques, il ne me semble pas qu’il soit en mesure ni de comprendre ni d’interpréter le résultat d’un test de QI.

Tout au long du livre il critique de façon récurrente la psychométrie. Or, la psychométrie (nom spécifique de la métrologie dans cette discipline) est un outil très intéressant, avec toutes ses imperfections, puisqu’elle donne des informations objectives pouvant confirmer ou infirmer des jugements subjectifs du praticien.

La deuxième partie de son livre est fondée sur l’idée qu’il a fait que les tests de QI n’ont pas de sens et il va même à mettre en doute l’existence de “surdoués”. Mais bon, si son hypothèse de départ est déjà fausse, je ne vois pas comment la suite peut être bonne.

Dans la suite, il prend comme référence trois livres grand public écrits par des psychologues (Monique de Kermadec, Arielle Adda et Jeanne Siaud-Facchin) qui ont des décennies d’expérience dans ce domaine, pour déconstruire leurs approches , et présenter la sienne comme la bonne. Toujours avec un humour grossier et méprisant.

Le problème ici est que lui, en tant que chercheur, se base sur des livres grand public au lieu de se baser sur des références issues de la recherche ou des livres destinés aux professionnels. Les livres grand public ne disent pas tout et c’est normal.

Sur ses références irrespectueuses à ses confrères, je cite deux passages. A la page 156, je cite, il dit : “D. (Didier) Pleux, le “psycholonel” (sic) français de la guerre contre les enfants tyrans”. A la page 103 il s’en prend à Fanny Nusbaum et Olivier Revol, des chercheurs reconnus, par leur utilisation des termes “ours” et “ouistiti” pour désigner des catégories de surdoués.

Alors qu’il se moque, utilisant le mot “ménagerie” pour ces désignations (zèbre, ours, ouistiti), il utilise bien les “shadoks” tout au long de son livre. Ça fait même partie de la bibliographie de son livre.

Comment peut-il prétendre être écouté et respecté par ses collègues s’il se réfère à eux de cette façon ???

Mais le fond de l’affaire est ailleurs. Jérôme Péllissier est un psychologue spécialisé dans la psychogérontologie qui souhaite ajouter une spécialité à son activité (il le dit dans son site web).

Peut-être que son approche est valable dans un certain nombre de cas mais, en tant que nouveau dans la spécialité, au lieu d’avoir une certaine modestie et humilité, il s’attaque avec mépris à des personnes qui ont des compétences confirmées par décennies d’expérience.

Il y a sûrement des abus dans ce domaine, comme dans n’importe domaine professionnel, mais ce n’est pas la règle, il ne faut pas généraliser et ça ne mérite pas l’écriture d’un livre.

Il utilise même le mot “imposture” dans le titre de son livre. Alors, où est l’imposture ? Chez les autres ou chez lui ?

Pour finir, il me semble bien qu’il lui manque de l‘intelligence relationnelle et de la rigueur dans ses activités de recherche.

Citations

(p.68) (Il est regretable de trouver ce type de contenu moqueur et méprisant dans ce type de livre).

Garagistes et psychologues
Quand j’ai demandé à mon garagiste de tester la puissance du moteur de ma voiture sans prendre en compte s’il est thermique ou électrique, et s’il restait de l’essence dans le réservoir, il m’a regardé bizarrement, comme s’il ne comprenait rien. Comme je suis psychologue et spécialiste de psychométrie (!), je sais que le QI des garagistes est inférieur au QI des psychologues et j’ai donc pu conclure en effet, il ne comprenait rien.

Quatrième de couverture

Les « surdoués » n’ont jamais été testés et diagnostiqués aussi nombreux. Toute une littérature de « psychologie spéciale zèbres » explique à ces humains, prétendument différents des autres depuis leur naissance, pourquoi ils sont incompris et malheureux. Leur « haut-QI » expliquerait tout, depuis l’échec scolaire jusqu’à la phobie sociale.

L’univers des tests de QI et l’engouement autour des « surdoués » pourraient faire simplement sourire s’ils ne possédaient des travers et conséquences dangereuses. Car derrière l’imposture de la psychométrie et de sa prétention à quantifier scientifiquement l’intelligence, derrière les conseils élitistes, conservateurs et sexistes de la « psychologie-surdoués », apparaît un autre paysage. Une face cachée où dominent les errances de nombreux adultes et les souffrances de très nombreux enfants ainsi affublés d’un diagnostic-étiquette qui provoque surtout, entre eux et les autres (y compris dans leur famille), malentendus, exigences démesurées et exclusions.
Un livre nécessaire sur ce phénomène de société et qui envisage d’autres chemins pour comprendre et prendre soin des intelligences et sensibilités atypiques.