Johann Chapoutot, Christian Ingrao – Hitler

Lors d’une interview, Johann Chapoutot indique que ce livre n’a pas la prétention d’être présenté comme une biographie complète de Hitler. Il a été produit à la demande de l’éditeur pour faire partie d’une série de biographies, courtes, de niveau vulgarisation, de personnages qui ont fait l’histoire.

C’est un pari, à mon humble avis, plus que réussi, puisqu’en moins de 200 pages les auteurs ont réussi à montrer l’essentiel de ce personnage.

Il y a une partie initiale, assez courte, où les auteurs narrent l’enfance et jeunesse de Hitler. Puis, son engagement dans l’armée allemande en 1914. Puis, à partir de là, c’est la guerre jusqu’à sa mort par suicide en 1945.

Ça a été la Grande Guerre, puis une phase de préparation pour la conquête du pouvoir en Allemagne, puis la Deuxième Guerre. S’il a été un bon stratège pour prendre le pouvoir en Allemagne, il a été un piètre stratège lors de la deuxième.

Pas un mot sur Eva Braun, sa vie intime, sentimentale. Rien ! Peu importe : ces aspects étaient secondaires et n’ont eu aucun impact sur le seul objectif de sa vie : la Guerre.

Il faut reconnaître qu’il a atteint deux de ses objectifs : assassiner la moitié de la population juive dans le monde et annuler le Traité de Versailles qui a mis l’Allemagne à genoux à la fin de la Grande Guerre.

Ce livre, autre la vision synthétique mais avec tout ce qui est essentiel, démonte le “Mythe Hitler” et le présente comme il était : un personnage intellectuellement médiocre. Sa seule qualité était une très bonne mémoire. Et pour cela, je le considère comme plus qu’une biographie de vulgarisation.

Citations

(p.133)

Hitler multiplie ainsi les interviews et les entretiens avec la presse étrangère et joue le jeu du Friedenskanzler (chancelier de la paix). Il a des arguments et rappelle qu’il est un ancien combattant de la Grande Guerre, un miraculé, et qu’il a survécu à l’horreur des combats. Il professe sa bonne foi et sa volonté de paix partout où il le peut, dans les médias, notamment français et britanniques, auprès de journalistes qui viennent complaisamment le rencontrer à la chancellerie. “Plus jamais ça. En tant qu’ancien combattant, dit-il en substance, je peux vous assurer que je ne veux pas revivre cela. Pour rien au monde je ne veux que l’Europe soit plongée dans une guerre qui marquerait pour le coup, cette fois-ci de manière définitive, son suicide.”

(p.184 – La chute du Reich)

Mais mener la Shoah à son terme est également un artifice psychologique de la part de l’élite nazie. Car l’un des arguments que donnent les nazis aux Allemands pour qu’ils continuent à se battre est que le Reich est allé si loin dans la violation des normes humaines les plus élémentaires, dans le massacre, le meurtre et le génocide, qu’aucun retour n’est possible. Goebbels le note à plusieurs reprises avec une jouissance assez cynique dans son journal, où il écrit, en substance : “Nous avons brûlé tous nos vaisseaux. Nous sommes maintenant dos au mur et nous devons combattre. Dos au mur, il n’y a plus de retour en arrière possible, nous avons brûlé nos vaisseaux, nous sommes dos à la mer.”

(p. 191)

Contre la préfabrication du mythe – cette ambition ultime d’Hitler et Goebbels -, le travail de l’historien peut aider à vaincre une dernière fois le nazisme. D’une part, en rétablissant la vérité contre les négationnistes de tous bords qui sévissent encore aujourd’hui et tentent de nier ou de minimiser les crimes nazis. D’autre part, en démontant méticuleusement le mythe nazi et en montrant à quel point cet homme n’était pas omnipotent, ni le génie qu’il a prétendu être. Avec des talents, une énergie et une rage personnelle évidents, il a été servi par une conjoncture qu’il a su exploiter mais qui s’est retournée contre lui lorsque la guerre est devenue si défavorable à l’Allemagne. C’est peut-être là aussi l’une des missions des historiens : déconstruire patiemment les mythes.

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Quatrième de couverture

Deux grands noms de l’histoire de l’Allemagne contemporaine dressent une biographie renouvelée du personnage le plus fantasmé du XXe siècle. D’où venait Hitler, quel était son véritable but et l’a-t-il atteint ? Plus qu’un portrait, c’est un parcours, entre échecs personnels et succès politiques, entre folles obsessions et pragmatisme froid, que Johann Chapoutot et Christian Ingrao retracent. L’une de ses prophéties était : ” Il n’y aura plus jamais de novembre 1918 dans l’histoire allemande. “ : lui et le peuple allemand ne survivront pas à la défaite. En déconstruisant méthodiquement le mythe – cette ambition ultime d’Hitler et de Goebbels –, le travail de l’historien peut aider à vaincre une dernière fois le nazisme : Hitler n’était ni brillant, ni même saint d’esprit ; son projet ne reposait sur aucune forme de rationalité ; l’ampleur de ses crimes est inédite et documentée. Comment alors a-t-il pu emmener toute une population aussi loin dans le meurtre et l’autodestruction ?