JoĂ«lle Proust – Penser vite ou penser Bien ?
Ce livre est très intĂ©ressant mais…
Comme point de dĂ©part et fil conducteur, l’auteur prĂ©sente les trois types d’action oĂą la pensĂ©e se manifeste :
* l’action rĂ©active, oĂą l’on doit prendre une dĂ©cision vite, face Ă un Ă©vĂ©nement inattendu, p. exemple, un bĂ©bĂ© qui risque de tomber de sa chaise;
* l’action habituelle, des actions rĂ©pĂ©titives telles la prĂ©paration du petit dĂ©jeuner le matin;
* l’action stratĂ©gique, comme par exemple, planifier les vacances ou la recherche d’un prochain emploi.
A chacune de ces situations ce sont des mécanismes cognitifs différents qui sont mis en œuvre. Et on retrouve le compromis dans le titre du livre : « Penser vite ou penser bien ? ».
L’auteur dĂ©taille le fonctionnement de tous ces mĂ©canismes et comment ils Ă©voluent de la naissance Ă l’âge adulte. Et, c’est bien le titre du livre, s’exercer Ă trouver le compromis et penser comme il faut quand il faut.
A la fin de la lecture, je me suis posĂ© la question des rapports que l’on pourrait Ă©tablir entre ce contenu et la thĂ©orie de « Système 1 – Système 2 » de pensĂ©e proposĂ© par Daniel Kahneman ou encore sur les fonctions Perception/Jugement des Types Psychologiques de Carl Jung.
… mais, j’ai dĂ» faire un effort très important pour arriver jusqu’au bout et j’ai sautĂ© quelques parties (pas honte de le dire).
C’est un livre Ă©crit par une philosophe sur des sciences cognitives et que j’ai trouvĂ© dans le rayon psychologie d’une grande librairie. C’est un livre Ă cheval sur la philosophie et la psychologie, mais je doute qu’un psychologue trouvera la lecture agrĂ©able ou aisĂ©e.
L’Ă©criture de certaines parties (mais pas toutes) est remplie d’un jargon assez spĂ©cifique et difficile. Parfois avec des Ă©carts par rapport Ă des dĂ©finitions que l’on trouve dans les dictionnaires. Je cite deux exemples.
1/ « CohĂ©rence » (p. 179) – Attention, le terme de « cohĂ©rence » a ici un sens technique, Ă distinguer de la consistance, c’est-Ă -dire la compatibilitĂ© logique entre deux Ă©noncĂ©s ! Par cohĂ©rence, on entend le sentiment mĂ©tacognitif de facilitĂ© de traitement qui est induit par la fluence d’un discours ou d’un document. Bon… il faut faire attention Ă des dĂ©tails de ce genre pendant toute la lecture. C’est fatigant.
2/ « Feedback » (p.32-36) – L’auteur utilise le terme anglais alors qu’il existe bien une traduction : RĂ©troaction. Ceci est un concept très profondĂ©ment Ă©tudiĂ© en sciences exactes mais qui s’applique partout : en automatique, robotique, Ă©conomie, biologie, sociologie, psychologie, … Partout mĂŞme. Mais je crains qu’elle a tort surtout quand elle parle des systèmes en boucle ouverte versus les systèmes en boucle fermĂ©e.
La notion de « feedback » dans son livre est passagèrement expliquĂ©e, mais complètement erronĂ©e lorsqu’elle parle des systèmes fonctionnant en boucle ouverte. Par dĂ©finition, il n’y a pas de autorĂ©gulation possible en systèmes de boucle ouverte. A partir du moment oĂą l’on accède Ă des informations autres que celles qui ont dĂ©clenchĂ© l’action initiale et qu’on les utilise pour mitiger l’action, on est dĂ©jĂ forcĂ©ment dans un système Ă boucle fermĂ©e. C’est la dĂ©finition. Et il est important de comprendre cette notion puisque le mot « feedback » revient très souvent tout au long de l’ouvrage. Les pages RĂ©troaction et AutorĂ©gulation de WikipĂ©dia expliquent assez bien ces concepts.
Le contenu est intĂ©ressant, le livre est intĂ©ressant… Dommage que la lecture soit aussi ardue.
Citations
(p. 7)
Vous avez Ă prendre connaissance d’un document important pour vous. PrĂ©fĂ©rez-vous le lire Ă l’Ă©cran ou en faire un tirage papier ? Cette dĂ©cision relève du contrĂ´le de la prise d’information, et fait intervenir le sentiment de comprendre – la « mĂ©tacomprĂ©hension ». On sait aujourd’hui que les Ă©crans favorisent le survol cognitif et l’illusion de comprendre.
(p. 17)
La communication numĂ©rique des rĂ©seaux sociaux illustre comment de nouvelles actions cognitives peuvent modifier en profondeur la capacitĂ© individuelle et collective de penser. Les règles de base de la communications numĂ©rique sont la rĂ©activitĂ© et la popularitĂ© : les actions cognitives impulsives en forment le support naturel. Les jugements les plus tranchĂ©s, les plus simples, sont les plus susceptibles de recueillir l’adhĂ©sion. Ils deviennent rapidement une norme partagĂ©e. Un nouveau mĂ©tier est apparu, celui d’influenceur. Son rĂ´le est de vous encourager Ă partager sur les rĂ©seaux sociaux vos rĂ©actions spontanĂ©es et irrĂ©flĂ©chies. Se joue ici un combat souterrain : l’influenceur vise Ă Ă©lever la bonne opinion publique sur un produit. Mais comme il joue sur la dimension rĂ©active de la pensĂ©e, il ne se sert pas d’arguments. Il utilise vos rĂ©ponses Ă©motionnelles.
Quatrième de couverture
D’oĂą viennent nos stratĂ©gies de pensĂ©e?? Pourquoi est-on curieux, pourquoi ne veut-on rien savoir, pourquoi a-t-on l’impression d’avoir raison lĂ oĂą on a tort?? Penser par soi-mĂŞme suppose de savoir ce que l’on sait ou ne sait pas, de choisir entre les arguments valides et les faux-semblants. Mais comment faisons-nous le tri, dans le feu des urgences?? SpontanĂ©ment, avant toute rĂ©flexion, telle affirmation nous paraĂ®t plausible, telle autre indubitable.
Ce livre montre que la dĂ©cision comporte une part Ă©motionnelle qui dicte ce qu’il faut approfondir ou nĂ©gliger, qui discerne si nous pouvons nous rappeler un nom, rĂ©soudre un problème, gagner une partie d’Ă©checs. Mais elle peut ĂŞtre socialement manipulĂ©e?: encourager nos rĂ©actions spontanĂ©es, rĂ©duire nos capacitĂ©s critiques, Ă©touffer celles de nos enfants. Comment rĂ©sister au dĂ©ferlement de la pensĂ©e impulsive??
En sachant de quoi elle est faite.
JoĂ«lle Proust expose ici le compromis que l’Ă©volution de la pensĂ©e et de la cognition nous pousse Ă nĂ©gocier Ă tout instant entre penser vite et penser bien. Elle propose de nouvelles pistes pour aider chacun Ă Ă©duquer sa capacitĂ© de raisonnement, donner aux enfants l’envie d’apprendre, permettre aux agents collectifs de parvenir aux dĂ©cisions les plus informĂ©es, et comprendre pourquoi la postvĂ©ritĂ© en sĂ©duit plus d’un.