Pierre-Henry Salfati – La fabuleuse histoire du Juif errant

Je me rappelle de mon enfance quand j’ai pris connaissance de la légende du Juif errant : un juif pas gentil avec Jésus, condamnée à errer jusqu’à la fin des temps. Après… on entend, de temps en temps, l’expression, sans plus. Pierre-André Salfati nous révèle cette “formidable histoire”.

La légende, celle du Moyen Âge nous dit que Jésus fatigué, portant la croix, a souhaité quelques minutes de répit devant la boutique d’un cordonnier. Celui-ci l’a repoussé en disant :

“Continues plus vite, Jésus ! Pourquoi flânes tu”, auquel Jésus, d’un aire sévère, aurait répondu : “Je me tiendrai et me reposerai, mais tu continueras jusqu’au dernier jour”. (p. 18) XIIIè siècle.

Dans des versions plus récentes, à partir du XVIème siècle, ce n’est pas Jésus mais “l’ange de la mort” qui aurait jeté le sort, puisque ceci serait contraire au dogme du Christianisme.

Par la suite, il y a nombre d’œuvres littéraires au sujet du Juif Errant. Une des plus anciennes est le feuilleton “Je Juif Errant” de Eugène Sue, paru dans “Le Constitutionnel” entre 1844 et 1845, où le Juif Errant apparaît comme un socialiste. Puis il y a eu tant d’autres. Même Alexandre Dumas l’a eu comme projet, inachevé par sa mort. Curieusement, Salfati cite Wagner comme étant partiellement inspiré de la légende pour son opéra “L’Hollandais Volant”.

Le “Juif errant” ayant vécu une vingtaine de siècles, il a tout vu, tout connu et a pris plusieurs plusieurs représentations dans l’imaginaire et parfois même complotiste : le peuple Juif apatride à la recherche d’un “chez soi” (le sionisme), tantôt bénévole, tantôt vengeur (s’appropriant de la finance mondiale). Dans un pamphlet antisémite, Henry Ford considère que la migration des Juifs fuyant les pogroms des pays de l’Est n’était qu’une excuse pour dominer le monde. Bien sûr, la figure du Juif errant n’est pas étrangère au faux “Protocole des Sages du Sion” ni à l’idéologie nazi, même si n’apparaissant en filigrane.

Finalement, juifs et non juifs, on aurait tous, un peu de la quête du Juif errant.

C’est un livre écrit avec un style agréable qui se lit d’un seul coup.

Il reste, comme suggestion de lecture (cités dans ce livre) et qui me paraissent intéressantes :

  • Albert Londres – Le juif errant est arrivé
  • Edmond Fleg – Pourquoi je suis juif
  • Eugène Sue – Le Juif Errant
  • Jean d’Ormesson – Histoire du Juif Errant

Citations

(p. 48)

Ahasver se traîne hors d’une sombre caverne du Carmel. Il y a bientôt deux mille ans qu’il erre sans repos de pays en pays. Le jour que Jésus portait le fardeaux de la croix, il voulut se reposer un moment devant la porte d’Ahasver… Hélas ! celui-ci s’y opposa, et chassa durement le Messie. Jésus chancelle et tombe sous le faix; mais il ne se plaint pas.
Alors l’ange de la mort entra chez Ahasver et lui dit d’un ton courroucé : “Tu as refusé le repos au Fils de l’Homme; … eh bien , monstre, plus de repos pour toi jusqu’au jour où le Christ reviendra !”

[…]

Hélas ! ne pouvoir mourir ! ne pouvoir mourir ! … Ô colère de Dieu ! pouvais-tu prononcer un plus effroyable anathème ? Eh bien, enfin sur moi comme la foudre, précipite-moi des rochets du Carmel, que je roule à ses pieds, que je m’agite convulsivement, et que je meure !” Et Ahasver tomba. Les oreilles lui tintèrent, et la nuit descendit sur ses yeux aux cils hérissés. Un ange le reporta dans la caverne. Dors maintenant, Ahasver, dors d’un paisible sommeil; la colère de Dieu n’est pas éternelle ! À ton réveil, il sera là, celui dont à Golgotha tu vis couler le sang, et dont la miséricorde s’étend sur toi comme sur tous les hommes.

(p. 125)

La nouvelle société allemande avait envisagé la fin de l’errance juive, non plus par le rêve sioniste, mais par la solution finale; mais le Juif errant n’est pas parti en fumée. Sa “malédiction” l’a protégé, il a compté parmi les rescapés. Le peuple juif a survécu aux millions de morts des camps et a repris sa quête sans fin après la tourmente.

(p. 125)

On raconte qu’à la sortie de Treblinka, deux rescapés s’interrogeaient sur leurs projets d’avenir :
– Et maintenant que vas-tu faire ?
– Je pense que je vais aller en Australie;
– En Australie ? Mais c’est loin ça, l’Australie !
– Loin d’où ?

(p. 190)

Quand viendra-t’il, le sauveur ? Quand, sinon jamais ? D’où viendra-t-il, le sauveur, sinon de nulle part ? Quelle idée saugrenue, cette idée que le monde a besoin d’être sauvé, a fortiori par l’homme… Ayant donné naissance à bien des héros, le Juif errant n’es est pas moins que la métaphore de l’homme dans sa généralité, ce perpétuel errant qui tente tant bien que mal de se sédentariser pour se cacher à lui-même sa nature nomade, sa nature mortifère.

(p. 193)

Marcheur sans relâche, le Juif errant est par excellence le témoin du temps. Il incarne le savoir universel, l’éternelle mélancolie, l’espérance absolue, il inspire pitié, respect, fascination, son périple est terriblement héroïque, il s’est sorti de toutes les épreuves, il a assisté à tous les drames de l’humanité. Héros absolu puisque, condamné par la volonté divine à ne faire que passer, chacun peu se reconnaître en lui. Nous sommes tous des Juifs errants !

Quatrième de couverture

Selon la légende, le Juif errant était un cordonnier à de Jérusalem qui, voyant Jésus faire une halte devant son échoppe sur le chemin de la Passion, le repoussa sans ménagement. Le Christ l’aurait alors maudit, le condamnant à marcher sans cesse jusqu’à son retour en gloire à la fin des temps.
Cette légende, née au Moyen Âge, a connu un succès incroyable dans toute l’Europe. Elle a inspiré quantité d’images et de récits populaires, et fourni également aux écrivains certaines de leurs œuvres les plus singulières, d’Eugène Sue à Apollinaire en passant par Alexandre Dumas. Étonnamment, si le mythe plonge ses racines dans l’antijudaïsme chrétien et connaît des traitements antisémites, le Juif errant est bien plus souvent une figure positive, voire un héros proche des petites gens, doté du prestige d’avoir parcouru le monde et les siècles.

Par-delà l’histoire foisonnante de cette légende, Pierre-Henry Salfati nous invite à suivre le Juif errant dans ses pérégrinations inattendues à travers l’histoire des lettres, des arts et des hommes.