Robert Merle – La mort est mon métier

C’est un livre assez dure à lire puisque ça concerne des faits réels.

Ce n’est ni un roman, ni une biographie. Robert Merle propose une reconstitution de la vie de Rudolf Höss, commandant du camp de concentration de Auschwitz. Étant une tentative de reconstitution, le personnage principal se nomme Rudolf Lang et pas Rudolf Höss.

Les sources utilisées par Robert Merle sont, d’une part, l’autobiographie, si on peut le considérer ainsi, de Rudolf Höss – Le commandant de Auschwitz parle, qui est en fait un témoignage, ou argumentation de sa défense lors de son procès à la fin de la guerre, et dont on peut avoir quelques doutes sur la parfaite sincérité. La deuxième source ce sont les échanges que Robert Merle a eu avec le Capitaine G.M. Gilbert, un des trois psychiatres qui ont interviewé les prisonniers nazis lors du procès de Nuremberg. Lors de ce procès, Rudolf Höss a été entendu comme témoin et pas comme accusé. Il a été, par la suite, remis entre les mains des polonais qui l’on jugé, condamné mort et pendu dans le camp d’Auschwitz, dans un des gibets qu’il avait fait construire pour pendre les détenus.

G.M. Gilbert a publiéé “The Nuremberg Diary” (en anglais), où il mentionne Rudolf Höss en 4 parties avec un total de 12 pages. Un autre psychiatre, Leon Goldensonh inclut le compte rendu d’entretien avec Rudolf Hoëss dans le livre Entretiens de Nuremberg. L’autre psychiatre, Douglas Kelley, n’a pas publié ses notes, mais son histoire a été publié dans le livre Le Nazi et le psychiatre, de Jack El-Hal – il est question seulement des accusés, principalemement Goëring. Il ‘y a pas mention à Rudolf Höss.

Les deux premiers tiers du livre sont dédiées à l’enfance, jeunesse, affiliation au parti Nazi, l’assassinat d’un supposé traître allemand, ce qui lui a valu un passage en prison, condamné à 10 ans de réclusion. Il a purgé 6 ans, libéré par bonne conduite. Cette partie sert surtout à comprendre sa personnalité, imprégnée d’un très fort antisémitisme et ce qui, pour lui, était un code d’honneur absolu supérieur à tout sentiment d’humanité.

Cela apparaît nettement lorsqu’il ne s’estime pas mauvais, impitoyable, parce qu’il dit n’avoir jamais brutalisé un détenu, alors qu’il n’a aucun remords d’avoir assassiné quelques millions d’êtres humains dans les chambres à gaz. La différence, pour lui est que dans le premier cas, il s’agit d’une initiative personnelle et dans le deuxième, de l’exécution d’un ordre reçu de son hiérarchie.

Quelques passages qui font “froid dans le dos” paraissent dans les citations.

On relève quelques différences entre ce livre et l’autobiographie.

Dans ce livre, il s’attribue l’idée d’utiliser du Zyklon-B dans les chambres à gaz, tandis que dans l’autobiographie et dans le compte rendu de Goldensohn il l’attribue à une suggestion de son chef de camp auxiliaire. Il est bien possible que la première hypothèse soit la bonne.

La deuxième différence concerne la réaction de son épouse lorsqu’elle apprend, par hasard d’un autre officier SS trop loquace, ce qui se passe vraiment dans le camp. Dans ce livre, son épouse semble le rejeter très fortement au point de s’enfermer dans sa chambre. Dans le compte rendu de Goldensohn, il confirme la façon dont sa femme a appris le fonctionnement d’Auschwitz mais dit ne pas avoir des désaccords graves avec elle. Une recherche sur internet montre que, à l’exception d’un de ses petit-fils (Rainer Höss), toute la famille reste profondément antisémite et garde toujours une grande admiration pour Rudolf Höss.

Dans ce livre il y a un passage qui suggère, si c’est vrai, sa notion d’honneur. Il a considéré le suicide de Himmler comme un acte d’extrême lâcheté. Ce que lui, Rudolf Hoëss considérait que tout ce qu’il était une stricte obéissance des ordres émises par son supérieur, en tant que soldat et dans l’intérêt de l’Allemagne. Il considérait que Himmler n’aurait pas du se suicider, mais assumer la responsabilité de ses ordres. C’est juste ça qui lui a fait croire que la décision d’extermination n’a pas été une bonne décision, même s’il restait franchement antisémite.

Obs : on retrouve parfois le nom de famille écrit comme Hoëss ou Höss.

Citations

(p. 10)

Pour peu qu’on y réfléchisse, cela dépasse l’imagination que des hommes du XXème siècle, vivant dans un pays civilisé d’Europe aient été capables de mettre tant de méthode, d’ingéniosité et de dons créateurs à construire un immense ensemble industriel où ils se donnaient pour but d’assassiner en masse leurs semblables.

(p. 11)

Il y a eu sous le Nazisme des centaines, des milliers, de Rudolf Lang (Hoëss), moraux à l’intérieur de l’immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs “mérites” portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l’impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l’ordre, par respect pour l’État. Bref, en homme de devoir : et c’est en cela justement qu’il est monstrueux.

(p. 304-305)

Je désespérais presque de trouver une solution à cette difficulté majeure quand un hasard providentiel me la fournit. Une semaine avant la date fixée par le Reichsführer pour la remise du plan, je fus averti officiellement de la visite de l’Inspecteur des Champs Gruppenführer Goertz. En conséquence, je fis procéder ) un grand nettoyage des locaux du KL et la veille de l’inspection, je les inspectai moi-même avec la plus grande minutie. Je tombai ainsi sur une petite pièce où était entassé un monceau de petites boîtes cylindriques marquées “Giftgas”, et au dessous “Zyklon B”. C’était le reliquat du matériel que la firme Weerle et Frischler avait apporté, un an auparavant, de Hambourg, pour débarrasser de leur vermine les casernes des artilleurs polonais. Ces boîtes pesaient un kilo, elles étaient hermétiquement closes, et quand on les ouvrait, je me rappelai qu’elles révélaient des cristaux verts qui; au contact de l’oxygène de l’air, dégageaient aussitôt leur gaz. Je me souvenais aussi que Weerle et Frischler nous avaient envoyé deux aides techniques, que ceux-ci avaient mis des masques à gaz, et pris toutes sortes de précautions avant d’ouvrir les boîtes, et j’en conclus que ce gaz était tout aussi dangereux pour l’homme que pour la vermine.

Je décidai immédiatement de mettre ses propriétés à l’épreuve. Je fis percer dans le mur des deux installations provisoires de Birkenau un trou du diamètre convenable, et je le munis d’une soupape extérieure. Des inaptes, au nombre de 200, ayant été rassemblés dans la salle, je fis déverser le contenu d’une boîte de “Zyklon B” par cette ouverture. Aussitôt, des hurlements s’élevèrent, et la porte et les murs résonnèrent de coups violents. Puis, les cris faiblirent, les coups se firent moins violents, et au bout de cinq minutes, in silence total régna. Je fis mettre leurs masques à gaz aux SS, et je donnai l’ordre d’ouvrir toutes les ouvertures pour établir un courant d’air. J’attendis encore quelques minutes et je pénétrai le premier dans la salle. La mort avait fait son œuvre.

(p. 370 – inauguration)

Le stratagème eu plein de succès : dès que Himmler fût arrivé, des Scharführer traversèrent la foule avec des grandes boîtes en carton, les Dolmetscher crièrent l’annonce dans les haut-parleurs, il y eu un murmure de contentement, le déshabillage se fit dans un temps record, et tous les juifs, avec un empressement joyeux, se précipitèrent dans la chambre à gaz.

Les Scharführer sortirent un à un, ils se comptèrent, et Pick referma la lourde porte de chêne sur le convoi. Je demandai au Reichsführer s’il désirait jeter un coup d’œil par le hublot. Il inclina la tête, je m’écartai, et au même moment, les cris et les coups sourds contre les murs commencèrent. Himmler regarda sa montre, fit de l’ombre sur le verre avec sa main, et regarda un bon moment. Son visage était impassible. Quand il eut fini, il fit signe aux officiers de sa suite qu’ils pouvaient voir.

Après cela, je le conduisis dans la cour du Créma, et je lui montrai les cheminées en béton par lesquels les cristaux venaient d’être jetés. La suite de Himmler nous rejoignit, j’entraînait le groupe à la chaufferie, et je continuai mes explications. Au bout d’un moment, une sonnerie stridente retenti, et je dis : “C’est Pick qui demande le ventilateur, Herr Reichsführer. Le gazage est fini.” Le préposé abaissa une manette, un ronflement sourd et puissant ébranla l’air, et Himmler regarda de nouveau sa montre.

On regagna la chambre à gaz. Je montrai au groupe les colonnes de tôle perforée, sans oublier de mentionner que c’était à Pick que je les devais. Des détenus du Sonderkommando, chaussés de hautes bottes de caoutchouc, dirigeaient de puissants jets d’eau sur les grappes de cadavres. J’en expliquai la raison à Himmler. Derrière mon dos, un officier de la suite chuchota d’une voix moqueuse : “Eh bien, on leur donne quand même une douche, après tout !”. Il y eut deux ou trois rires étouffés. Himmler ne tourna pas la tête, et son visage resta impassible.

On remonta au rez-de-chaussée et on gagna la salle des fours. L’ascenseur n° 2 arrivait au même moment, la grille s’ouvrit automatiquement, et les détenus du Sonder commencèrent à placer les corps sur les chariots. Ceux-ci passèrent ensuite devant un Kommando qui récupérait les bagues, un Kommando de coiffeurs qui coupaient les cheveux, et un Kommando de dentistes qui arrachaient les dents en or. Un Quatrième Kommando enfournait les corps. Himmler observa toute l’opération, phase après phase, sans dire un mot. Il marqua un temps d’arrêt un peu plus long devant les dentistes : leur dextérité était remarquable.

Quatrième de couverture

“Le Reichsführer Himmler bougea la tête, et le bas de son visage s’éclaira…
– Le Führer, dit-il d’une voix nette, a ordonné la solution définitive du problème juif en Europe.
Il fit une pause et ajouta :
– Vous avez été choisi pour exécuter cette tâche.
Je le regardai. Il dit sèchement :
– Vous avez l’air effaré. Pourtant, l’idée d’en finir avec les Juifs n’est pas neuve.
– Nein, Herr Reichsführer. Je suis seulement étonné que ce soit moi qu’on ait choisi…