Jacques Semelin – Une énigme française

Il faut commencer par parler de l’histoire de ce livre.

L’auteur est un historien spécialisé dans les Génocides. Lors d’un entretien avec Simone Veil, en 2008, celle-ci lui suggère de travailler non pas sur les Juifs déportés, les victimes, mais sur ceux qui ont survécu et n’ont pas été déportés. La situation inverse.

De sa recherche sont sortis trois livres :

  • 2013 – Persécutions et entraides dans la France occupée – Comment 75 % des Juifs en France ont échappé à la mort – Les Arènes – Seuil – 896 pages
  • 2018 – La survie des Juifs en France (1940-1944) – CNRS – 482 pages
  • 2022 – Une énigme française: Pourquoi les trois-quarts des Juifs en France n’ont pas été déportés – Albin Michel – 224 pages

Le deuxième livre (2018) est une version abrégée et actualisée du premier. Le troisième est plutôt un résumé sous la forme d’un “ego-histoire”. C’est-à-dire, l’histoire de cette recherche, comment il s’est pris, ses moyens, les sources, …. L’ensemble rédigé dans la première personne – “je”, d’où le mot “ego”.

L’auteur explique ses moyens de travail assez particuliers à cause de sa complète cécité. Il compte avec l’aide d’assistants, de bénévoles ou des étudiants qui lui lisent ou enregistrent (audio) le contenu le livres ou de sources écrites. En même temps, il enregistre ses entretiens.

En introduction on trouve la transcription de sa rencontre entre l’auteur et Simone Veil, présente sa démarche de recherche, ses entretiens avec des témoins et des collègues, les voyages et les conférences.

Tout ceci est intéressant et montre comment s’est passé cette recherche historique mais… d’une part, ça laisse le sentiment d’un écrit quelque peu égocentrique (trop à mon goût, voire même narcissique) et, d’autre part, ça prend de la place sur le vrai contenu historique qui devient, finalement, assez réduit.

La partie décrivant le bureau de Serge Klarsfeld ne m’a semblé utile dans ce livre. Aussi les transcriptions détaillées des entretiens avec Serge Klarsfeld, Christine Albanel et Robert Badinter pourraient être concentrées dans un seul chapitre, et encore. C’est un peu un étalage inutile des contacts de l’auteur. Par contre, la partie de sa confrontation avec Robert Paxton où il parle du malaise de ce dernier, m’a paru complètement déplacée, une sorte d’humiliation, rabaissement, de l’autre. Et, finalement, le “Yes” timide de Paxton qu’il dit à la fin, ne me donne pas l’impression qu’il s’est plié aux avis de Jacques Semelin.

Si on s’intéresse plutôt au contenu historique de cette recherche, il est préférable de lire le deuxième livre : “La survie des Juifs en France (1940-1944)”.

Finalement, le titre de ce livre me semble inadéquat puisqu’il donne l’impression que ce sont trois contenus différents, alors que ce n’est pas le cas. Le titre de celui ci, à mon humble avis, aurait pu indiquer qu’il s’agit plutôt des coulisses des deux premiers livres.

Pour terminer, je constate qu’il y a une controverse entre Jacques Semelin et Robert Paxton. Au contraire de ce dernier, Jacques Semelin estime que l’antisémitisme français, à l’époque, n’était pas aussi fort que celui décrit par Paxton. N’étant pas historien, je retiens juste qu’il y a un désaccord et je lirai le livre de Robert Paxton : “Vichy et les Juifs”.

Citations

(p. 19)

Quelques jours après ma rencontre avec Simone Veil, je suis invité à donner une conférence sur les dynamiques génocidaires. À la fin de l’intervention, une dame s’approche, je suis fatigué car toute conférence m’oblige à mémoriser mon texte, je l’écoute donc d’une oreille un peu distraite.

  • Puis-je vous poser une question, monsieur ? me demande-t-elle.
  • Oui, bien entendu, lui dis-je en me concentrant sur sa voix.
  • – Êtes vous juif ?

La question est nette, elle me déconcerte, je bafouille un :

  • Non, madame, je ne le suis pas.

Je perçois son étonnement, je l’entends se dire : “Vous n’êtes pas juif, mais comment alors se fait-il que vous vous soyez intéressé à notre histoire ? ” Et le sous-entendu : “Donc vous n’avez pas vécu la persécution, vous n’avez pas perdu des membres de votre famille… et vous vous intéressez à nous ? Je suis étonnée.”

Peut-être que cette dame veut me signifier simplement sa reconnaissance : “Vous vous intéressez à nos familles alors que… Vous luttez contre l’indifférence et l’ignorance alors que… Merci!” Je ne sais pas. Je n’ose pas en savoir plus, elle non plus.

(p. 29)

Chez Klarsfeld, le livre se conclut par ces mots souvent cités : “Les Juifs de France garderont toujours en mémoire que, si le régime de Vichy a abouti à une faillite morale et s’est déshonoré en contribuant efficacement à la perte d’un quart de la population juive de ce pays, les trois quarts restants doivent essentiellement leur survie à la sympathie sincère de l’ensemble des Français, ainsi qu’à leur solidarité agissante à partir du moment où ils comprirent que les familles juives tombées entre les mains des Allemands étaient vouées à la mort”.

(p. 95)

Il est justifié de mettre aujourd’hui en valeur les actions de sauvetage à l’initiative de militants juifs ou chrétiens. Mais ce qui compte d’abord dans la survie des Juifs, c’est ce statut politique et militaire des territoires. Par exemple, les Juifs de Lens auront une chance de survie plus faible que ceux de Montpellier, et ceux demeurant en zone occupée seront plus en danger que ceux arrivés en zone dite “libre”. C’est par là que j’ai commencé à poser la distinction fondamentale entre survie et sauvetage. La survie repose sur des facteurs structurels tandis que le sauvetage dépend de facteurs humains intentionnels.

Quatrième de couverture

Tout a commencé par une question posée par Simone Veil à Jacques Semelin en 2008 : « Comment se fait-il que tant de Juifs ont pu survivre en France malgré le gouvernement de Vichy et les nazis ? » Un vrai défi pour cet historien spécialiste des crimes de masse et de la Shoah.

Si Serge Klarsfeld a établi que trois quarts des Juifs en France ont échappé à la mort (chiffre exceptionnel en Europe), ce n’est en effet pas l’action des quelque 4 000 Justes français qui peut à elle seule l’expliquer. Et ce n’est pas davantage (comme certains le soutiennent à nouveau aujourd’hui) une imaginaire mansuétude de Vichy, dont l’implication criminelle n’est plus à démontrer. Il y avait donc bien une « énigme française » sur laquelle l’historiographie était encore très pauvre.

D’une plume alerte, en collaboration avec Laurent Larcher, journaliste à La Croix, l’historien nous raconte son enquête passionnante dans la mémoire des Juifs non déportés, son analyse des circonstances de l’époque, ses rencontres avec Robert Paxton, Robert Badinter, Pierre Nora, Serge Klarsfeld… C’est une tout une autre histoire des Français sous l’Occupation qui est ici mise au jour et confrontée au régime mémoriel institué par le discours de Jacques Chirac le 16 juillet 1995 – sans que jamais la Collaboration ni le sort tragique des victimes ne soient oubliés.