Benoît Duteurtre – En marche !

Eh bien… Lecture suggéré par un ami : je n’ai pas été déçu.

Thomas, un jeune député, décide de visiter la Rugénie, De ce pays, on ne peut que penser à une version actuelle possible de “Le meilleur des mondes”. Un pays où tous les bons militantismes actuels auraient été mis en place sous les conseils de l’économiste Stepan Gloss, une sorte de éminence grise du gouvernement de la Rugénie.

En arrivant, il découvre les odeurs pestilentiels des poubelles, suite à une grève des éboueurs. Ensuite, il est interpelé par la police pour avoir sourit amicalement à une femme dans le métro. Le véganisme, l’antispécisme, l’écologie, … En fait… toutes ces bonnes intentions sont poussées à l’extrême. Il semblerait que la corruption et l’incompétence administrative du gouvernement aussi.

Sans parler de la disparition des traditions : le plat national, le ‘chbrtch’, un plat bien gras fait avec des porcelets…

Bref, c’est un portrait, pince sans rire (un peu quand même), de ce que pourrait être une société avec toutes ces bonnes idées mises en place selon les goûts des militants extrémistes.

A la fin, je vous la raconte quand même, notre Thomas découvre que le grand Stepan Gloss vit dans une propriété de cinq cents hectares mais pas tout à fait les idées qu’il a prôné. C’est le fameux “Fais ce que je dis mais pas ce que je fais”. C’est l’espèce d’hypocrisie que l’on retrouve dans pas mal de ces idéologues.

Et notre héros fini par accepter le poste de secrétaire (ou plutôt majordome) de Stepan Gloss, et émigrer en Rugénie, pour mener une vie tranquille, ne visant que son propre bien-être à lui tout seul. Est-ce de l’égoïsme ? Pas forcément ! Dans un monde devenu invivable à cause des arguties militantes, le mieux qu’on peut faire est de s’enfermer sur soi-même et attendre que la vie passe.

C’est une fable actuelle qui peut donner à réfléchir sérieusement. Si j’ai bien compris, l’auteur a cette même démarche dans d’autres de ses livres : pousser jusqu’au bout les “bonnes idées” qui sont dans l’air du temps et voir où ça peut mener.

Citations

(p.86)

Stimulée par les approbations de son visiteur, elle se sentait maintenant assez en confiance pour suggérer:

  • Et si on allait dîner ?
  • Quelle bonne idée ! s’exclama Thomas, bien qu’il fût 7 heures du soir.

il avait lu dans son guide que les Rugênes dînaient tôt comme la plupart des peuples d’Europe centrale. Mais lui-même s’était levé à l’aurore pour se rendre à l’aéroport et la faim commençait à se faire sentir. En outre, il désirait découvrir quelques spécialités régionales, en particulier le fameux “chbrtch” réputé comme un plat extraordinairement calorique, et cependant très raffiné par son mélange de parfums. Un gourmet avisé pouvait, disait-on, y discerner l’odeur des sapins de Haute-Rugênie, la saveur des baies de montagne et la suavité du porcelet sauvage. Son enthousiasme fut de courte durée quand Kimberly, sans guère lui laisser le choix, demanda :

  • – Végétarien, ça vous irait ?
  • Euh oui, pourquoi pas ? bredouilla Thomas.

(p.96)

Bienvenue aux Championnats de la Diversité

La veille, Kimberly lui avait proposé des places pour plusieurs matchs. Thomas avait avoué qu’il ne s’intéressait guère au sport. Troublée par ce manque d’amour pour la compétition, son accompagnatrice avait insisté :

  • Même le sport durable, équitable, transgenre ?
  • Même tout cela. Désolé, Kimberly.
  • Voir une équipe de handballeuses lesbiennes bulgares affronter sept musulmanes koweïtiennes voilées, ça ne vous intéresse pas ?

Thomas avait légèrement hésité, piqué par la singularité de la proposition. Mais ces catégories elles-mêmes tendaient à devenir banales.

(p.210)

Je suppose donc que ma situation est la moins mauvaise possible dans ce monde qui vaut ce qu’il vaut, mais que pourrait être pire… C’est ainsi que mes jours s’écoulent, désormais. J’observe à distance la marche des événements; mais, surtout, je me rappelle à chaque instant l’essentiel dans sa simplicité toute nue: dormir, manger, se chauffer, regarder le ciel, arpenter les forêts, déchiffrer les vieux grimoires où les hommes ont écrit leur histoire, et tâcher moi-même de traverser cette vie sans trop de douleur, jusqu’à l’heure où tout devra s’achever.

Quatrième de couverture

Thomas, jeune député curieux et constructif, entreprend un voyage d’étude en Rugénie. Réformé sous la houlette de l’économiste Stepan Gloss, ce pays est devenu la vitrine du meilleur des mondes possibles entre services privatisés, cités sans voitures et championnats de la Diversité. Une valise à roulettes en guise de bâton de pèlerin, Thomas s’enchante puis s’étonne devant les contradictions de ce décor idéal : où la pollution des villes est rejetée dans les banlieues ; où la campagne n’est plus qu’un décor vendu à la découpe ; où les vieux Rugènes et leurs habitudes s’opposent aux hipsters épris de tri sélectif… Un clin d’œil à Voltaire et à Orwell inspire cette fable de plus en plus grinçante : quand la déréglementation de l’économie va de pair avec l’hyper-réglementation des libertés individuelles, et quand la guerre s’invite dans le jeu de la communication.

Après La petite fille et la cigarette et L’ordinateur du paradis, Benoît Duteurtre réussit le pari de nous faire rire de notre époque.