Francis Wolff – Il n’y a pas d’amour parfait

Étonnant petit livre ! En juste 70 pages il arrive, avec beauté et perfection quasiment mathématique, à conceptualiser un sujet assez difficile – l’amour – sujet traité le plus souvent par des sociologues, psychologues ou littéraires et moins par des philosophes. Je me souvient d’une vidéo sur internet où Derrida disait n’avoir rien à dire et finalement a sorti la première chose qui lui est venue à la tête.

Il commence tout d’abord, et ça ne pouvait pas être autrement, à se demander ce que c’est l’Amour. Il descend en flèche toutes les belles phrases dites par les uns et les autres, commençant par celle de Lacan : “Aimer c’est donner ce qu’on n’a pas à celui qui n’en demande pas”. Des belles phrases pour paraître un intellectuel dans les réseaux sociaux.

Et bien, n’arrivant pas à le définir selon les pratiques usuelles en philo, il propose d’imaginer un triangle où les sommets correspondent à trois composantes : l’Amitié, le Désir et la Passion. Les matheux comprendront facilement. Les points à l’intérieur du triangle sont une combinaison des trois composantes et définissent l’Amour. Les points dans les côtes ne contiennent que deux des trois composantes en proportions variables et sont des Amours imparfaits. Les points dans les sommets ne contiennent qu’une composante et les points à l’extérieur ne contiennent aucune.

La distance d’un point à l’intérieur du triangle à chaque sommet définit la proportion de chaque composante. Après, on peut imaginer que ce point puisse monter à la verticale pour former une pyramide. La hauteur représenterait l’intensité de l’Amour ou l’identité du couple. Ou d’autres critères qui ont moins d’importance tels un engagement légal (mariage, …).

Alors, ceci étant dit, pourquoi l’Amour ne pourrait pas être parfait ? Eh bien, parce que les trois composantes sont de nature différente : l’amitié est une relation, la passion est un état et le désir est une disposition. Cette différence de nature fait que l’Amour est un sentiment instable et a tendance, avec le temps, de partir vers les côtés du triangle ou même vers l’extérieur et devenir un Amour imparfait ou rien du tout.

On trouve des exemples d’Amour imparfait dans plusieurs tragédies classiques : Phèdre, Empire des sens. Ou des situations telles les “sexfriends”, la libertinage complice, les vieux amants, …

On trouve un modèle similaire proposé par Robert Sternberg (psychologue) dans “Les scénarios de l’amour”. Un triangle dont les sommets sont l’Amitié, la Passion et l’Engagement. La Passion comprend aussi bien le Désir et la Passion décrite par Wolff. L’Engagement comprend les devoirs légaux ou éthiques, c’est à dire, une partie de l’Amitié. Je trouve ce modèle moins convaincant que celui de Francis Wolff.

Citations

(p. 62)

Pourtant lorsque l’amical s’en mêle [du désirant] pour fusionner en amour, tout change. L’objectivité du corps désiré s’estompe; le désiré n’est plus que subjectivité, comme l’ami. Mais c’est une subjectivité inévitablement incarnée. Aimer quelqu’un, en son sens typique, c’est ne pas pouvoir le différencier de son corps, c’est le percevoir comme un tout indissociable, c’est aimer sa chair en personne. Lorsque le désirant se fait amical, le corps de l’aimé se fait âme.

(p.70)

C’est parce qu’il est de nature hétérogène, donc instable, qu’il est le moteur tout-puissant de tant de vies ordinaires et le motif de tant d’histoires, grandioses ou banales, dans les littératures universelles : chants déchirants, comédies irrésistibles, tragédies bouleversantes.

Et de toutes ces histoires réelles ou imaginaires, la philosophie n’a rien à dire.

Quatrième de couverture

L’amour a inspiré les chants les plus déchirants, les meilleurs romans et les pires, des comédies irrésistibles, des tragédies bouleversantes. Il est possible d’y ajouter quelques considérations philosophiques. Des préliminaires, seulement. Non à l’amour (le philosophe n’a là-dessus aucune expertise), mais à son concept (c’est son domaine, dit-on).

L’amour n’est ni l’amitié, ni le désir, ni la passion. C’est la fusion improbable de ces tendances opposées. Car les composantes de l’amour ne jouent pas collectif, tel est le drame, et la grandeur, de l’amour. C’est parce qu’il est de nature hétérogène, donc instable, qu’il est le moteur tout-puissant de tant d’histoires, grandioses ou banales, dans les littératures universelles et dans nos vies ordinaires.