Joseph Kessel – Première Guerre mondiale

C’est un livre posthume, une sélection d’écrits de l’époque de la Première Guerre mondiale. En trois parties : Cahier de novembre 1914, Trois nouvelles (1915-1916) et Souvenirs autobiographiques de la Première Guerre mondiale.

Vu la date de Copyright (2018), on peut supposer que ce recueil a été fait par quelqu’un d’autre que Joseph Kessel.

Lors de l’écriture de la première partie, 1914, Joseph Kessel n’avait que 16 ans et, selon ses propres mots, était encore un écolier, même s’il s’est engagé à l’hôpital de Nice pour soigner les blessés de guerre. Des petits textes d’une ou deux pages semblant être des notes de son journal. Dans ces textes, il affiche une très grande maturité littéraire et intellectuelle pour traiter des sujets assez divers. Peut-être même très évolués pour son âge.

Ensuite, les trois nouvelles : un jeune soldat qui rêvait un uniforme “fantaisie” commandé par sa famille et qui, finalement, n’a pas pu porter. La deuxième nouvelle est en rapport avec la vie dure d’une prostitué à Paris en temps de guerre. Et la troisième, une nouvelle intemporelle, sur une jeune fille domestique abusée par son patron et tombée enceinte. On peut imaginer qu’il s’agit de la fiction ou, alors, inspiration de faits divers de son époque.

La troisième partie, ce sont des souvenirs du temps de la guerre. Donc, sûrement écrits après sur des faits vécus. Lorsqu’il a complété ses 18 ans, donc la majorité, il s’est engagé dans l’Armée de l’Air.

Un livre très intéressent qui se lit d’un trait – juste une centaine de pages. Mais autre l’intérêt du texte, je relève quand même la qualité littéraire qui présageait déjà le grand écrivait qui allait devenir Joseph Kessel.

Citations

(p. 78-79)

La fermeture des magasins serrait les rands de la foule; et la grande Isabelle roulait plus librement sur ses hanches, frôlait plus hardiment les hommes, avec la peur de rentrer seule, de ne trouver personne à qui elle vendrait cette nuit.

Car souvent déjà, depuis la guerre, la chasse au mâle restait infructueuse.

La première fois – une nuit de décembre – elle avait grelotté deux heures les épaules couvertes d’un âcre brouillard, puis s’était couchée seule, dans son meublé banal, sans inquiétude encore, stupéfaite seulement de ne pas avoir trouvé à s’employer dans ce grand creuset d’accouplements qu’est une nuit parisienne.

Mais de plus en plus fréquents se firent les jours où elle rentra bredouille et elle commença à perdre son assurance de belle traîneuse de trottoirs, confiante en sa chair désirable.

La pénurie d’hommes s’accentuait. Les jeunes gens, ceux qui veulent , qui aiment et qui connaissent l’amour se battaient là-bas, dans cette lutte monstrueuse, à la fois si proche et si lointaine.

Ce soir encore Isabelle ne rencontrerait que des vieillards éteints, des employés voûtés et claudicants. Et si par hasard passait un homme, un vrai, à la souple allure, aux lèvres sensuelles, aux gestes de proie, il avait déjà à son côté une femmes, deux parfois.

D’autres filles se dandinaient avec la même question angoissée sur la figure : “Gagnerai-je mon pain ce soir ?”.

Devant un café Isabelle ralentit le pas. Un petit vieux fixait sur elle un regard gélatineux et allumé. Il se décida et l’appelait du doigt: “Tu prends quelque chose ? ” Puis, immédiatement, la bouche baveuse, il chuchota : “Combien prends-tu pour la nuit ?”
“Quinze balles, déclara-t-elle”.
– Oh, je ne peux pas ma petite, protesta l’autre. Cent sous, si tu veux.
– Tu te fous de moi, riposta-t-elle. Je ne travaille pas à ce prix-là. Au revoir, vieux radis.”

Et elle s’en alla, contente au fond. Une heure encore elle arpenta les boulevards. Rien à faire. C’était désespérant.

Quatrième de couverture

«C’était avant la guerre quatre inséparables dont le plus âgé avait 82 ans et le plus jeune 75.
Toujours à la même heure, toujours dans la même direction, par tous les temps, ils faisaient leur promenade sur la fine route blanche, ombragée par les charmes, qui passe devant Arras. La guerre vint.

Et toujours à la même heure, dans la même direction, sur la fine route blanche, éventrée par les obus, vérolée par la pluie des shrapnells, sous les charmes élancés qui gémissent au vent des balles, quatre silhouettes se profilent, grêles, qui vont de nouveau à pas menus, avec des gestes calmes et lents.»

Première Guerre mondiale est un recueil de textes – témoignages et nouvelles – écrits par le jeune Joseph Kessel. Il est marqué par son expérience à l’hôpital de Nice où affluent les premiers blessés du front, mais aussi par les bouleversements des hommes et du monde en temps de guerre, sur lesquels il porte un regard poignant, tour à tour optimiste et révolté.