Julie Dachez – Dans ta bulle !

Julie Dachez est autiste Asperger et possède un titre de docteur en psychologie sociale. Elle parle, donc, d’un sujet qui la concerne personnellement.

Le contenu de ce livre fait partie de sa thèse de doctorat. Il intègre des comptes rendus d’entretiens avec des autistes Asperger avec des explications de la part de Julie. Ça concerne surtout leur vie et leur difficulté.

Le TSA (Trouble du Spectre Autistique) concerne une plage assez large de modes d’autisme. Julie ne traite que la forme Asperger, qu’elle nomme “autisme invisible”, une forme d’autisme ne présentant pas des déficience ni de langage ni cognitive. Les autistes “invisibles” font un effort parfois gigantesque pour, autant que possible, ne pas être vus comme des autistes.

À côté de la partition visible/invisible il est aussi question de neurotypique et neuroatypique, ce dernier mot pour désigner les autistes, visibles ou pas. Ce partitionnement me semble assez réducteur puisque la société est bien plus complexe que ça.

Julie Dachez le dit et on comprend, de la lecture, qu’elle fait du militantisme pour la cause des autistes, des femmes et contre le capitalisme. Il y a un chapitre avec le titre “Militer”. Ces causes sont parfaitement justifiées mais la lecture que j’ai de ce livre me paraît assez polarisée. Dans la quatrième de couverture il est dit : “… elle s’exprime aussi bien sur son blog que sur sa chaîne Youtube qui cumule plus de 1.500.000 vues. En considérant l’autisme comme une différence de fonctionnement sans pathos ni sensationnalisme, … ” (pas de sensationnalisme ???). Même si les causes sont légitimes je me pose des questions sur l’objectivité de son militantisme.

Par exemple, elle défend l’idée que l’autisme n’est pas une maladie, mais une façon pas courant “d’être” et des rapports sociaux. Je partage cet avis…mais… Le spectre autistique est très large et même si tous partagent un nombre de caractéristiques, il y a beaucoup d’autres qui les séparent. Du côté opposé aux Asperger il y a un autisme lourd qui nécessite un soutien quasiment au même titre que des maladies. Il est question actuellement de retirer le syndrome d’Asperger du DSM-V (Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux). Mais on met dans quoi ? Handicap ? Neurotypique ? Neurotypique différent ? Neurotypique normal ?

Il est vrai que les autistes, avec ou sans déficience de langage et intellectuel, ont des besoins spécifiques – études, travail, … – mais ce ne sont pas les seuls. Il faudrait une étude et action plus large tenant compte d’autres formes de handicap.

Je crois voir une incohérence dans ce qu’elle dit : alors qu’elle souhaite ne pas être traitée différemment des neurotypiques elle a bénéficié de aménagements dans sa scolarité (page 135-137), elle s’est mis dans un état pas possible lorsque sa directrice de thèse lui a trouvé un poste mais ne souhaitait pas qu’elle fasse usage de son droit aux aménagements. Par cohérence avec ses propos, est-ce normal qu’elle fasse usage des aménagements ???

La description qu’elle fait des neurotypiques…  (Voir citation). Elle se lâche avec ironie et sarcasme sur cinq pages, puis fini le chapitre indiquant que c’est juste pour montrer que l’on peut aussi décrire les neurotypiques avec des clichés. Mais bon, c’est fait et ça montre le ton.

Ce militantisme avec une dose de victimisation, j’avoue qu’il m’agace un peu.

Julie Dachez a failli ne pas avoir son doctorat. Lors de la soutenance, le jury lui a imposé de modifier les conclusions pour la rendre moins politique. Et la, le jury a parfaitement raison : la recherche ne doit pas être utilisée pour soutenir un militantisme sous risque de perdre de l’objectivité. Un exercice difficile mais indispensable.

Même après la soutenance, Julie Dachez semble ne pas avoir compris cela. C’est une grosse erreur, puisqu’un bon chercheur sait mettre en pause ses préférences personnelles. Rien empêche qu’un chercheur travaille sur un sujet le touchant personnellement. Néanmoins il ne doit en aucun cas, biaiser ses travaux dans le seul sens de confirmer ses convictions personnelles ou infirmer celles opposées, ou encore choisir uniquement les résultats qui vont dans son sens. C’est plutôt cela la critique qui a été faite par son jury de thèse, et qu’elle vraisemblablement n’a pas compris.

Il est dit dans la quatrième de couverture : “… elle même autiste Asperger, bouscule nos idées reçues sur la normalité et nous invite à repenser notre société”. Elle a raison : l’autisme est victime de discrimination, comme beaucoup d’autres types de handicap.

Par contre, je ne peux que la féliciter de, malgré toutes les difficultés, avoir réussi à obtenir son doctorat.

Citations

(p. 31)

Le neurotypique, c’est celui qui a une compréhension innée des codes sociaux utilisés au sein de son propre groupe. Celui qui communique en utilisant en permanence l’implicite, le double sens, et le second degré plutôt que d’exprimer les choses franchement. Celui qui parle pour ne rien dire, voir dit par ironie l’inverse de ce qu’il pense (“Si si, j’ai très envie de faire un atelier de scrapbooking avec toi. Les paillettes en forme de cœur, c’est ma grande passion.”) Celui qui adapte son vocabulaire et son attitude en fonction de son interlocuteur : il saura comment s’habiller selon les circonstances, qui tutoyer ou vouvoyer, à qui serrer la main ou faire la bise, etc. C’est aussi celui qui sait jouer le jeu social, identifier les relations de pouvoir au sen des organisations dans lesquelles il parvient à naviguer. Il sait ainsi que, même si son Big Boss est naze, il a plutôt intérêt à se le mettre dans la poche s’il veut obtenir cette promotion tant espérée. Du coup, il va dans son sens et il rigole de ses blagues, ce qui n’est pas cher payé, tout bien considéré. Le neurotypique c’est celui qui sait faire preuve de suffisamment d’hypocrisie pour ménager la chèvre et le chou (Emmanuel, si tu me lis, je te salue). Celui que l’injustice ne rend pas malade. Celui qui passe une bonne partie de son temps libre à socialiser avec ses amis, la boulangère, le voisin de palier, un.e séduisant.e inconnu.e sur Tinder. Celui qui est perméable aux normes sociales, et qui s’y conforme, parce que bon, c’est comme ça, la vie.

(p. 236)

Je serai toujours étonnée que des chercheurs en sciences humaines et sociales s’imaginent être objectifs. Ne font ils pas partie de cette société qu’ils étudient ? Ne sont-ils pas inextricablement liés à ces humains dont ils décortiquent les comportements ? Tout chercheur n’est-il pas amené à développer un rapport intime à son travail ? Le choix d’un sujet de recherche est d’ailleurs un engagement en soi, sur la base d’affinité intellectuelles et/ou personnelles. Cette neutralité axiologique du chercheur est un mythe.

Obs : voir critique

(p.238)

Enfin, la séance de questions arrive à son terme. Nous devons quitter la salle pour laisser le jury délibérer. Je suis épuisée. Cinq minutes passent. Puis dix. Puis quinze. Je ne comprends pas ce qui peut prendre autant de temps. La délibération est censée n’être qu’une formalité. J’apprends plus tard que le jury a été très divisé. Certains jurés ont fait barrage, contestant ma légitimité à obtenir le grade de docteur. D’autres ont vigoureusement plaidé en ma faveur. Ils parviendront finalement à un compromis en me demandant de réécrire ma conclusion, trop politisée à leur goût.

Obs : voir critique

Quatrième de couverture

Dans une passionnante enquête, ce livre vous fait partager  la démarche de l’autrice, jeune universitaire qui part à la rencontre  de personnes autistes afin de leur donner la parole. Loin des clichés ordinairement véhiculés, cet ouvrage retrace les parcours de vie et de résilience hors normes d’autistes  invisibles qui s’adaptent, se cachent, s’assument, se battent. En alternant récits de vie et savoirs académiques,  avec un style énergique et drôle, l’autrice, elle-même autiste  Asperger, bouscule vos idées reçues sur la normalité et vous invite à repenser notre société.

Vie scolaire et professionnelle, relations sociales, rapports hommes/femmes  : autant de sujets qui sont explorés ici et sur lesquels ces «  atypiques  » posent un regard avisé et corrosif.

En observant le monde à travers leur lorgnette, c’est curieusement  sur vous-même que vous en apprendrez le plus.  Les autistes prennent la parole : il est temps de les écouter !

Julie Dachez est docteure en psychologie sociale. Diagnostiquée autiste Asperger à l’âge de 27 ans, elle a dès lors changé de vie et c’est réconciliée avec son identité profonde. Conférencière et auteure transmedia, elle s’exprime aussi bien sur son blog que sur sa chaîne Youtube qui cumule plus de 1.500.000 vues. En considérant l’autisme comme une différence de fonctionnement sans pathos ni sensationnalisme, elle cherche à faire entendre une voix qui reste minoritaire actuellement. Elle a également écrit une BD autobiographique, La différence invisible, parue aux éditions Delcourt.