Jean-Paul Jean et Denis Salas – Barbie, Touvier, Papon : Des procès pour la mémoire

Il s’agit des actes d’un colloque organisé par l’École Nationale de la Magistrature (ENM) autour des procès pour crime contre l’humanité, dont les principaux, en France, ont été ceux de Barbie, Touvier et Papon. Bousquet a “échappé”.

En effet, suite à une loi approuvée en 1964 les crimes contre l’humanité sont devenus imprescriptibles. Et c’est ça qui a ouvert la voie, en France, à des procès tels ceux de Klaus Barbie, Paul Touvier ou Maurice Papon.

Alors, comment doivent se dérouler ces procès qui sortent complètement de l’ordinaire de la justice, parfois plus de 50 ans après les faits ? A la vérité juridique peut parfois s’opposer l’idée de paix sociale. Sous cet aspect, juger un étranger en fuite (Klaus Barbie) n’a pas le même impact que juger un citoyen français, haut fonctionnaire (Maurice Papon), dont la famille vit toujours en France.

De même, Les magistrats n’étaient pas plus que des enfants lors des faits: une génération qui juge des faits d’une autre génération. Et puis, les témoins, sont-ils encore capables de se rappeler objectivement des faits ? Quel rôle attacher aux historiens : des témoins ou des experts, alors que les codes de procédure pénal ne les accepte pas en tans que experts. Et le rôle de la presse et la pression de la société… Et tout cela sans parler des manœuvres de procédure déclenchées par la défense.

Bref, un tas de situations, où des cas de figure, qui n’ont pas été prévus dans le code de procédure pénal en vigueur dans le fonctionnement courant de la justice.

Il n’est pas inutile de rappeler la démarche attendue d’un historien (on ne parle pas dans ce livre), sur trois points, maintes fois rappelée par Johann Chapoutot : collecter les faits, les placer chronologiquement dans le temps et dans leur contexte, identifier les explications et, surtout, résister à toute tentation de porter un jugement. Cette démarche n’est pas suivie par tous les historiens et ce livre donne un exemple d’un historien qui a négligé certains faits et a nié le génocide arménien.

Il y a un chapitre aussi intéressant : “Comment les Allemands ont-ils jugé les crimes du nazisme ?”. On apprend que, à l’exception de ceux jugés en Nuremberg, les criminels de premier plan, quasiment tous, n’ont pas été punis. D’une part parce que leurs crimes ont été perpétrés à l’étranger et d’autre part parce que la constitution allemande interdisait l’extradition de ses ressortissants pour être jugés à l’étranger. Cette dernière clause n’a été abolie que peu de temps avant la sortie de ce livre (2002). Les autres, quand condamnés, n’ont été qu’a des peines dérisoires, parfois juste quelques mois.

Livre intéressant qui va plaire surtout aux professionnels du droit.

Citations

(p. 22)

Mais il est une autre rencontre entre le juge et l’historien : celle à laquelle ont donné lieu les procès de Barbie, Touvier et Papon. Rencontre doublement paradoxale au demeurant. L’historien est désorienté dans un procès qui le soumet à des normes, à des questionnements et à un rituel qui lui est étranger. Lui pour qui l’archive judiciaire est un objet d’étude se trouve placé en position d’acteur du procès. Il découvre une mémoire qui veux, comme lui et parfois contre lui, obtenir sa part de vérité historique. Mais le juge n’est pas moins dérouté. Il est placé hors de son temps par le jeu de l’imprescriptibilité. Malgré cela, il doit juger, sans droit à l’erreur, des actes commis dans un monde révolu. Pour préserver sa pertinence, son jugement passe nécessairement par le regard des historiens. Largement étrangères l’une à l’autre, les deux approches se retrouvent indissolublement liées dans le procès.

Quatrième de couverture

Barbier, Touvier, Papon : ces trois noms évoquent une rencontre majeure entre justice et histoire au cours des deux dernières décennies. Rarement l’histoire judiciaire nous a donné l’occasion de vivre un tel évènement. A aucun autre moment peut être depuis la Libération, notre pays a été confronté d’une telle façon à l’histoire de ses années sombres et aux blessures de sa mémoire, au carrefour des vérités historiques et judiciaires, des responsabilités individuelles et collectives. En dépit des nombreux livres, des témoignages recueillis et commentés, aucun bilan global n’avait été tenté avec les acteurs eux-mêmes. Tel est le pari de ce livre.

Avocats, magistrats, journalistes et historiens échangent librement à partir de ces temps forts de leur vie professionnelle. Pour la première fois, un ouvrage remet en perspective commune ces trois grands procès – ainsi que celui qui n’a pas eu lieu, Bousquet – avec ceux qui les ont vécus et les meilleurs spécialistes.

Mais s’ils achèvent une période historique, les procès de Barbie, de Touvier et de Papon sont aussi essentiels pour juger les crimes de demain. Ces débats nourrissent aussi la réflexion contemporaine sur la place que peut désormais tenir la justice sur la scène internationale en matière de crimes contre l’humanité, à propos des évènements d’Algérie, des Balkans, ou des attentats du 114 septembre 2001.