Henri Alleg – La question

AprĂšs avoir lu le livre de Aussaresses, un des tortionnaires, j’ai lu un livre d’une victime.

Un livre terrifiant Ă  lire. Il prĂ©sente la torture pendant la guerre d’AlgĂ©rie de façon crue telle qu’il l’a vĂ©cue.

Henri Alleg (Harry Salem) est nĂ© en 1921 Ă  Londres. et mort le 17 juillet 2013 Ă  Paris 19e, est un journaliste français, membre du PCF et ancien directeur d’Alger rĂ©publicain. Il est notamment l’auteur de La Question, un livre dĂ©nonçant la torture pendant la guerre d’AlgĂ©rie (source WikipĂ©dia).

Il a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© en juin 1957 et a Ă©tĂ© torturĂ© pendant un mois. Lors de son procĂšs en AlgĂ©rie, trois ans aprĂšs son arrestation, alors qu’il a pu dĂ©crire entiĂšrement le bĂątiment oĂč il a Ă©tĂ© torturĂ©, aucun des tortionnaires a reconnu l’avoir torturĂ©. Il a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  10 ans de rĂ©clusion pour atteinte Ă  la sĂ©curitĂ© de l’Ă©tat, puis transfĂ©rĂ© en France.

Il raconte dans ce livre avec une grande richesse de dĂ©tails la torture dont il a subi. Il a Ă©tĂ© censurĂ© en France dĂšs sa sortie, fin 1957, parce qu’il portait attente Ă  l’honneur de la France et de son ArmĂ©e, puis immĂ©diatement publiĂ© en Suisse.

Il faut noter que le Colonel Faulques (capitaine Ă  l’Ă©poque), un des tortionnaires de Alleg, se vante d’avoir rĂ©ussi Ă  le faire parler, alors que Alleg est fier de rĂ©ussir Ă  ne rien dire lors de la torture. Tous les deux ont intĂ©rĂȘt Ă  maintenir leur version.

D’un autre cĂŽtĂ©, le GĂ©nĂ©ral Aussaresses dit dans le livre “Services SpĂ©ciaux”, oĂč il parle de la torture qu’il a pratiquĂ© et surveillĂ©, que Henri Alleg n’a survĂ©cu que parce que il Ă©tait un individu sans grande importance parmi les personnes recherchĂ©s.

Par ailleurs, dans la citation de la page 23, on voit qu’un des tortionnaires, un certain Erulin, insultait et menaçait aussi bien Alleg que les hauts personnages de la rĂ©publique – les ministres Duclos et Mitterrand – ce qui me semble incompatible avec ses fonctions puisqu’il Ă©tait justement censĂ© les obĂ©ir et Alleg Ă©tait justement supposĂ© ou accusĂ© de se battre contre la RĂ©publique Française pour l’indĂ©pendance de l’AlgĂ©rie. À cela se mĂȘle le fait que Alleg Ă©tait un militant du Parti Communiste.

C’est un livre court, facile Ă  lire (si on peut le dire comme ça), mais dur par son contenu. Ça donne Ă  rĂ©flĂ©chir au delĂ  de la simple lecture en cherchant d’autres sources sur l’ensemble de l’Ă©poque, une Ă©poque trouble que beaucoup aimeraient oublier.

Citations

(p. 23)

Brusquement, Érulin me releva. Il Ă©tait hors de lui. Cela durait trop.
«Écoute, salaud ! Tu es foutu ! Tu vas parler ! Tu entends, tu vas parler !» Il
tenait son visage tout prÚs du mien, il me touchait presque et hurlait : «Tu
vas parler ! Tout le monde doit parler ici ! On a fait la guerre en Indochine,
ça nous a servi pour vous connaütre. Ici, c’est la Gestapo ! Tu connais la
Gestapo ?» Puis, ironique : «Tu as fait des articles sur les tortures, hein,
salaud ! Eh bien ! maintenant, c’est la 10e D. P. qui les fait sur toi.»
J’entendis derriĂšre moi rire l’équipe des tortionnaires. Érulin me martelait le
visage de gifles et le ventre de coups de genou. «Ce qu’on fait ici, on le fera
en France. Ton Duclos et ton Mitterrand, on leur fera ce qu’on te fait, et ta
putain de RĂ©publique, on la foutra en l’air aussi ! Tu vas parler, je te dis.»
Sur la table, il y avait un morceau de carton dur. Il le prit et s’en servit pour
me battre. Chaque coup m’abrutissait davantage mais en mĂȘme temps me
raffermissait dans ma décision : ne pas céder à ces brutes qui se flattaient
ĂȘtre les Ă©mules de la Gestapo.

(p. 56)

Tout cela, je devais le dire pour les Français qui voudront bien me lire. Il
faut qu’ils sachent que les AlgĂ©riens ne confondent pas leurs tortionnaires
avec le grand peuple de France, auprĂšs duquel ils ont tant appris et dont
l’amitiĂ© leur est si chĂšre.

Il faut qu’ils sachent pourtant ce qui se fait ici EN LEUR NOM.

QuatriĂšme de couverture

La premiĂšre Ă©dition de La question, d’Henri Alleg fut achevĂ©e d’imprimer le 12 fĂ©vrier 1958. Des journaux qui avaient signalĂ© l’importance du texte furent saisis. Quatre semaines plus tard, le jeudi 27 mars 1958 dans l’aprĂšs-midi, les hommes du commissaire divisionnaire Mathieu, agissant sur commission rogatoire du commandant Giraud, juge d’instruction auprĂšs du tribunal des forces armĂ©es de Paris, saisirent une partie de la septiĂšme rĂ©Ă©dition de La question. Le rĂ©cit d’Alleg a Ă©tĂ© perçu aussitĂŽt comme emblĂ©matique par sa briĂšvetĂ© mĂȘme, son style nu, sa sĂ©cheresse de procĂšs-verbal qui dĂ©nonçait nommĂ©ment les tortionnaires sous des initiales qui ne trompaient personne. Sa tension interne de cri maĂźtrisĂ© a rendu celui-ci d’autant plus insupportable : l’horreur Ă©tait dite sur le ton des classiques. La question fut un mĂ©tĂ©orite dont l’impact fit tressaillir des consciences bien au-delĂ  des « chers professeurs », des intellectuels et des militants. A l’instar de J’accuse, ce livre minuscule a cheminĂ© longtemps.