Bruno Meyerfeld – Cauchemar brésilien

Version courte…

Le contenu de ce livre est la répétition du l’argumentaire du Parti des Travailleurs, parti de Lula, avec des exagérations, inventions, affirmations hors contexte, … Pas étonnant puisqu’il s’agit du discours d’un parti politique. Mais ce qui est étonnant, pour un journaliste, est qu’il fasse des nombreuses affirmations plus ou moins graves sans jamais citer des références ni vérifier la véracité, alors que les brésiliens savent qu’elles sont fausses. Et pourtant, c’est paru dans la presse locale.

Pour ne pas laisser des doutes, je ne défend pas Bolsonaro. J’estime qu’il n’est pas apte à présider un pays comme le Brésil.

De cette descente en règle de Bolsonaro, ne parlant que de lui, on peut penser que c’est le seul cauchemar brésilien. Il y a plusieurs autres : Lula, la corruption, la polarisation extrémiste, … Les gens ont tendance à penser que si un côté est mauvais, l’opposition, c’est-à-dire Lula, est forcément bonne et va sauver le pays. Ce sont juste des cauchemars différents…

La dictature militaire est un sujet très complexe et tout n’a pas encore été dit. Il me semble hasardeux d’écrire autant sur un tel sujet si ce n’est pas le but premier du livre. D’autant plus que la place prise dans le sujet Bolsonaro n’est pas si importante, même s’il admire cette époque. Quelques lignes ou une page auraient suffit.

Il y a énormément d’affirmations fausses ou méritant un mot sur le contexte : pour bien le faire il fallait presque tout reprendre. Bref, un livre qui sert surtout à désinformer les français.

Version longue…

Sur la forme, on remarque par exemple, qu’il se réfère à Bolsonaro tout au long du livre par un surnom “Cavalão” (Grand Cheval), même hors contexte. Cette forme méprisante a pour but de transférer vers le lecteur le mépris qu’il ressent envers Bolsonaro, et fait perdre l’objectivité de la lecture. Or, ce qu’un lecteur attends d’un livre ce sont juste des faits objectifs et c’est à lui d’avoir son avis indépendamment de celui de l’auteur.

Par ailleurs, pour les surnoms, Les noms d’oiseau fusent. La gauche traite Bolsonaro de Bozo, comme le clown. La droite traite Lula de Mollusque (Lula = calamar) ou Enchanteur des ânes (à cause de son discours démagogique). C’est un reflet de la polarisation des brésiliens, des deux côtés.

Sur le contenu.

Mais, Bolsonaro un cauchemar ? Que pensent les brésiliens ? Ils se sont exprimés juste après la sortie de ce livre : les élections du nouveau président. Leur opinion peut être plus intéressante que celle de l’auteur.

Lula a été élu avec 50,8 % des voix contre 49,2 % pour Bolsonaro (source TSE – Tribunal Supérieur Électoral) [1] ! Juste 1,6 % d’écart, moins que la précision des enquêtes d’opinion et beaucoup moins que celles que l’on a observé en France dans les duels avec l’extrême droite.

Peut-on dire que les brésiliens ne savent pas voter ? Juste une remarque : Lula a largement remporté dans les régions Nord et Nord-Est, régions où le taux d’analphabètes varie entre 8 et 15 %, alors que Bolsonaro a remporté dans les régions Sud et Sud-Est, régions où le taux d’analphabètes varie entre 2,5 et 6 % (sources TSE et IBGE) [2].

On peut rajouter que le taux d’abstention a été de l’ordre de 20 % (source TSE) : beaucoup d’électeurs ont choisi de ne pas s’exprimer alors que le vote est obligatoire au Brésil. Il y a aussi les votes de rejet – vote donné Lula pour contrer Bolsonaro et l’inverse aussi.

La gauche dit que Bolsonaro a beaucoup utilisé les réseaux sociaux avec des fake news. C’est vrai, campagne conduite par Carlos Bolsonaro, fils de Jair Bolsonaro – l’auteur en parle. Pendant quatre ans c’est lui qui a géré la présence du père sur les réseaux sociaux. Mais Lula a, lui aussi, son influenceur et auteur de fake news. Il s’agit de André Janones, aussi connu comme “Cachorro louco” (chien fou) à cause de l’agressivité de ses posts. Bouche cousue sur Janones. Il y a aussi la page “Choquei” sur Tweeter avec centaines de milliers d’abonnés et qui diffusait beaucoup de messages de soutien à Lula. C’est mal mais beaucoup de cadres des partis politiques, de droite ou de gauche, ont aussi largement diffusé des fake news (le mot de la mode) ou des exagérations.

Globalement, Les brésiliens estiment que les deux candidats se valent : deux cauchemars.

Et là, on touche au deuxième cauchemar : les brésiliens sont, en ce moment, excessivement polarisés vers l’un ou l’autre. Et ce sont les politiciens qui les chauffent. Tant qu’ils seront aussi polarisés, il n’y a pas d’espoir de pacification dans le pays.

Juste un exemple de invention de l’auteur, sur Bolsonaro. Il écrit à la page 13 :

“Et puis, enfin, ces plus de 650 000 décès provoqués par l’épidémie du Covid-19, plus grave catastrophe humanitaire de l’histoire du Brésil. Sur ce total, les experts évaluent à au moins 400 000 le nombre de victimes directement imputables à l’action de Bolsonaro”.

Quels experts ? D’où il sort ce chiffre ? Où est la référence indispensable pour une telle affirmation ? Il est certain qu’il y a eu des morts à cause de son négationnisme mais probablement bien moins que ça, il n’est pas le seul coupable. Ainsi, ce chiffre est impossible d’être évalué. J’ai même un neveu qui est mort du Covid : il n’a pas reçu à temps les soins qu’il aurait du recevoir.

N’oublions pas que, à la demande de l’opposition, une décision du STF a accordé aux états la possibilité de décider eux mêmes des politiques de combat à la COVID [3]. A partir de ce moment, ils deviennent aussi responsables et il ne faut donc pas tout mettre sur le dos de Bolsonaro.

En fait, je suis au courant de ce chiffre, c’est celui diffusé par le PT et Lula l’a mentionné lors d’un débat entre les deux candidats. Bolsonaro a répondu avec un autre chiffre : 48 millions. le chiffre de Bolsonaro est vrai. Il y avait une centrale d’achats des états du nord-est brésilien, sous la direction du gouverneur de Bahia, un politicien du PT. Cette centrale a commandé 300 respirateurs et a réglé d’avance 48 millions de Reais [4] [5]. Ces respirateurs n’ont jamais été livrés. Ils ont racheté depuis mais combien de morts peuvent être imputés à ce retard ???

Le gouverneur de Rio a été destitué (droite), aussi à cause de détournements pendant la pandémie : hôpitaux de secours, masques, … [6]. Le plus anecdotique a été l’état d’Amazonas qui a commandé huit respirateurs, surfacturés à 316 %, à un marchand de vin [7]. Des respirateurs ont été livrés mais quatre ne fonctionnaient pas et les autres n’étaient pas adaptés au COVID. Il y a eu aussi des faits du genre détournement de fonds publics destinés au gouter dans les crèches… Combien de personnes sont mortes à cause de ces détournements et le PT met tout sur le dos de Bolsonaro ??? Et même, quel est le nombre de victimes qui auraient pu être évités ???

Au delà de cette “fake news” répété par l’auteur, on touche là au troisième cauchemar : assez souvent, lorsqu’il y a une opportunité de détourner de l’argent public, il y a quelqu’un qui le fait soit par corruption soit par négligence. Et cela des deux côtés de la politique.

A la page 12, il écrit : “Lancer à une femme : qu’il ne la violerait car elle ne le mérite pas”. C’est vraiment stupide, je suis d’accord, mais il manque le contexte et l’intégralité de la phrase. La femme s’appelle Maria do Rosario, une député du PT. Ça s’est passé le 18 octobre 2003 vers 3h du matin. Ils sortaient d’une séance de l’Assemblée Nationale et ils donnaient des interviews à des journalistes. Elle est allé l’apostropher et a suggéré qu’il était un violeur et il a répondu :

“Violeur ??? T’es en train de me traiter de violeur ? Je ne te viole pas parce que tu ne mérites pas” [8].

C’est effectivement une grosse connerie. Mais quelle est l’origine de ce conflit ? La séance à l’Assemblée concernait la majorité pénal des mineurs. Trois semaines avant, le 31 octobre 2003, une gang de quatre malfrats, menée par Champinha, un mineur de 16 ans, a séquestré un jeune couple (19 et 16 ans) [9] [10]. Il a été tué quatre jours après et la fille violée en bande et assassinée avec un coup de machette dans le cou le 8 octobre. Bolsonaro défendait la baisse de la majorité pénale à 16 ans. Maria do Rosario, était contre. Elle fait partie de ceux qui estiment que les bandits sont, avant tout, des victimes de la société capitaliste. C’était le sujet de la séance. Ça fait déjà 20 ans, il a été condamné pour incitation au viol à 10000 Réais de dommages plus des excuses publiques. Il s’est plié mais elle cherche toujours à le poursuivre, comme s’il n’y avait pas de chose plus intéressante à faire. Pourquoi elle est allé le chercher, alors qu’elle savait déjà qu’il est très grossier ???

Le cas le plus flagrant de manque de considération de Bolsonaro envers les femmes a été la remarque faite en 2019, plus récente, sur l’épouse de M. Emmanuel Macron. Bien plus sérieuse et stupide. Inacceptable pour un chef d’état.

Alors, sur Lula

Lula a été innocenté des accusations de corruption mais pas acquitté. Je m’explique. Il a été condamné en première instance par le juge Sergio Moro. Sa condamnation a été confirmé en appel en deuxième instance et en troisième instance, par le STJ (Supérieur Tribunal de Justice). En mars 2021, un magistrat du STF a pris la décision d’annuler toutes les condamnations antérieures sous prétexte qu’il n’aurait pas dû être jugé à Curitiba mais à Brasília ou São Paulo [11]. Cette décision est contraire à la demande du Procureur Général de la République [12] et contestée par quelques juristes, mais bref… Ses procès et preuves ont été transférés à Brasília et entre-temps il y a eu prescription. Du point de vue de la justice il est innocent mais il n’a pas été acquitté parce que, finalement, il n’a pas été jugé.

Suite à plusieurs décisions du STF annulant décisions de la “Lava Jato”, l’OCDE a exprimé préoccupation avec le combat contre la corruption au Brésil [13] [14]. L’ONG Transparence international [15] a fait descendre le classement du Brésil sur le sujet corruption, passant de 94ème position à 104ème sur 180 pays.

En octobre 2023 un ministre du STF a déclaré, lors d’un évènement à Paris, que Lula a été élu grâce au STF [16]. Ceci est étonnant, vu les devoirs de réserve et d’impartialité auxquels tous les magistrats sont normalement soumis. je cite :

« Si aujourd’hui nous avons l’élection du président Lula, c’est grâce à une décision du Supérieur Tribunal Fédéral »

Lula, dès qu’il a eu l’occasion, a nommé son avocat ministre de ce tribunal, le STF, alors qu’il avait promis, en campagne, ne pas le faire.

Bolsonaro a commencé à démanteler le germe de combat contre la corruption (opération Lava-Jato) et Lula est en train de l’enterrer définitivement. La plupart de la classe politique aussi. Au Brésil on entend souvent : “Il ne faut pas politiser le crime ni criminaliser la politique”. Voila encore un cauchemar.

En 2006, lors du premier gouvernement Lula, il y a eu le Scandale des Mensualités [17]. le gouvernement payait des pots de vin à des élus de l’assemblée en échange de voix favorables aux projets du gouvernement. José Dirceu, un des principaux ministres du gouvernement a été condamné comme étant à la tête de l’affaire.

Les résultats de la première année de Lula ? Dans l’international, on dit qu’il aurait aimé être indiqué à un prix Nobel de la paix, mais il se rapproche de pays avec système politique autoritaire : Nicolas Maduro (la Venezuela serait une “démocratie relative”), Cuba, Nicaragua, Russie, … L’antisémitisme au Brésil et dans le PT et, généralement dans les partis de gauche, devient de plus en plus inacceptable.

L’état dépense beaucoup mais pas dans l’essentiel : il y a 33 millions de personnes (personnes et pas foyers) sans accès à l’eau courante [18] et plus de 93 millions de personnes sans raccordement à des réseaux d’égout [19]. Dans les états du nord-est on voit des camions citerne qui font de la vente d’eau, denrée que tous ne peuvent pas acheter suffisamment.

Il y a encore beaucoup à dire sur Bolsonaro, Lula, Amazonie, Dictature, Misogynie, l’incident avec Jean-Yves Le Drian, … mais mon but est juste dire que ce livre sert surtout à désinformer ceux qui le lisent en France. Bolsonaro n’est pas pire que beaucoup de politiciens brésiliens et ça s’est vu juste parce qu’il a réussi à prendre le pouvoir.

Références :

[1] Eleiçoes presidenciais – Resultados

[2] IBGE – Analfabetismo cai em 2017 mas segue acima da meta para 2015

[3] STF reconhece competência concorrente de estados, DF, municípios e União no combate à Covid-19

[4] CGU e PF combatem desvio de recursos pelo Consórcio Nordeste

[5] A anatomia do escândalo de R$ 48 mi que envolveu nomes do PT na pandemia Leia mais em:

[6] Respiradores que nunca chegaram: como a corrupção dificultou o combate à Covid-19 no país

[7] Amazonas compra de adega respiradores inadequados com sobrepreço de 316 %

[8] Youtube – “Não estupro porque você não merece”, diz Bolsonaro a Maria do Rosário

[9] Wikipedia FR – Case of Liana Friedenbach and Felipe Caffé

[10] Wikipedia PT – Caso Liana Friedenbach e Felipe Caffé

[11] STF confirma anulação de condenações do ex-presidente Lula na Lava Jato

[12] Lula é inocente? O que significa ter as condenações anuladas pelo STF?

[13] Brazil must make urgent key reforms to build on its recent progress in the fight against foreign bribery, says the OECD Working Group on Bribery

[14] OECD – Implementing the OECD Anti-Bribery Convention in Brazil – Phase 4 Project

[15] Transparency International – Corruption Perceptions Index

[16] Gilmar Mendes diz que eleição de Lula se deveu ao Supremo

[17] Wikipedia FR – Scandale des mensualités

[18] Trata Brasil – Saneamento e Saude – Agua

[19] Trata Brasil – Saneamento e Saude – Esgôto

Citations

Quatrième de couverture

On aurait tort de ne voir dans l’expérience brésilienne qu’un cauchemar tropical lointain et inoffensif – Jair Bolsonaro est tout sauf une parenthèse, un passager clandestin du pouvoir ou un accident de l’histoire.

Elu en 2018 à la suite d’une campagne marquée par la violence, la haine des élites et une tentative d’assassinat, Jair Bolsonaro, est le premier président d’extrême droite à s’installer à Brasilia. C’est la stupeur, le peuple brésilien se déchire, doute, s’interroge. Comment un homme qui voue un tel culte à la dictature militaire, clame haut fort son ignorance de la chose publique et de l’économie, qui méprise les femmes, les institutions, la nature, l’écologie et insulte sans vergogne les homosexuels, les noirs et les métisses, a-t-il pu triompher ? De la pandémie de covid-19 qui a fait plus de 600 000 victimes au Brésil aux immenses brasiers qui ont dévasté l’Amazonie, des tentatives de coup d’Etat aux coups de sang à répétition, jamais dans l’histoire moderne une grande démocratie n’avait porté pareil personnage au pouvoir. En quatre ans d’un mandat furieux et ubuesque, Jair Bolsonaro aura été l’homme de toutes les outrances, de toutes les transgressions. En comparaison, des personnalités aussi polémiques que Viktor Orban, Nigel Farage, Eric Zemmour Matteo Salvini ou Donald Trump prennent des airs de pâles nationalistes. Mais qui est Jair Bolsonaro ? Un clown triomphant manipulé par l’armée ou un autocrate qui décime son propre peuple ? De quoi est-il le nom ? Et que dit-il sur le Brésil, sur notre époque, sur l’état des médias et des démocraties ?

Bruno Meyerfeld, franco-brésilien et correspondant du journal Le Monde au Brésil, a mené l’enquête et retrace les grands évènements de son mandat ainsi que l’itinéraire de ce personnage haut en couleurs, depuis son enfance jusqu’à son arrivée au pouvoir. Il dévoile le quotidien de ce président insomniaque et paranoïaque au sein du palais de l’Aurore, résidence des chefs de l’Etat brésilien. Une plongée dans la folie au pouvoir et la découverte d’un pays hors du commun. Entre lumière et ombre.