Pierre-AndrĂ© Taguieff – Le nouvel opium des progressistes

Pierre-AndrĂ© Taguieff – philosophe, politologue et historien des idĂ©es – est, trĂšs certainement, un de ceux qui ont le plus Ă©tudiĂ© tels le racisme, l’antisĂ©mitisme et le complotisme en France.

Il a proposĂ©, au dĂ©but des annĂ©es 2000, le terme “islamo-gauchisme”, qu’il a attachĂ© aux relations entre les idĂ©ologies d’une partie de la gauche et celles de certaines communautĂ©s musulmanes : colonialisme, islamophobie, …

Ce tract contient est une actualisation de ses livres prĂ©cĂ©dents, nĂ©cessaire suite au pogrom du 7 octobre 2023 Ă  IsraĂ«l. L’auteur ne fait pas Ă©conomie d’un rapide historique et dĂ©finition de ses idĂ©es. C’est un tract dans le style Gallimard, en petites lettres pour que ça tienne dans 64 pages. La lecture de ses ouvrages prĂ©cĂ©dents est important mais pas indispensable.

On voit, en France, l’Ă©volution et la lente convergence des thĂšmes de la gauche avec ceux islamistes, en particulier la cause de la Palestine. L’adhĂ©sion du mouvement palestinien au marxisme, puis l’anticolonialisme, … On voit assez souvent des soutiens Ă  peine voilĂ©s ou Ă©dulcorĂ©s, des partis de la gauche française (LFI, NPA, EELV, …) et de certains intellectuels (Edgar Morin, p. ex.) Ă  leur cause.

A cause de cet Ă©volution, Taguieff parle maintenant de “islamismo-gauchismo”. Evidement, les soutiens du Hamas considĂšrent ce mouvement comme un mouvement de rĂ©sistance et se refusent Ă  voir la face islamiste radicale, le terrorisme, l’utilisation des civils comme des boucliers humains. Une face contraire aux valeurs humanistes promus par la gauche.

Cet attaque du Hamas Ă  IsraĂ«l marque une rĂ©fĂ©rence temporelle importante dans ce conflit qui dure plus d’un siĂšcle et aura, sans doute, un impact sur les mouvements politiques partout dans le monde. Une probable polarisation encore plus importante.

On peut voir ce tract comme un alerte sur le niveau de violence atteint non seulement par ce conflit mais aussi par l’antisĂ©mitisme. On a vu, en France, des personnes et aussi des personnalitĂ©s politiques exprimer des positions antisĂ©mites ou contraires Ă  IsraĂ«l. On voit maintenant ceci se dĂ©placer au niveau des Etats. Tout d’abord l’Afrique du Sud avec un procĂšs contre IsraĂ«l pour gĂ©nocide et maintenant le prĂ©sident brĂ©silien Lula, dans une interview en Ethiopie le 18 fĂ©vrier dernier affirmer :

“Ce qui se passe dans la bande de Gaza n’est pas une guerre, c’est un gĂ©nocide. Ce n’est pas une guerre de soldats contre des soldats. C’est une guerre entre une armĂ©e hautement prĂ©parĂ©e et des femmes et des enfants. Ce qui se passe dans la bande de Gaza avec le peuple palestinien ne s’est produit Ă  aucun autre moment de l’histoire. En fait, cela s’est dĂ©jĂ  produit : lorsque Hitler a dĂ©cidĂ© de tuer les Juifs” (L’Expres [1]).

Pour simplifier, IsraĂ«l demande des excuses. Lula refuse et son conseiller pour la politique extĂ©rieure (Celso Amorim) rĂ©pond disant que c’est plutĂŽt IsraĂ«l qui devait s’excuser auprĂšs de l’humanitĂ©. Lula a reçu, pour le moment, le soutien de la Colombie et de la Bolivie. Et une rĂ©probation de l’Allemagne, qui se limite Ă  dire que ce ne sont pas des faits comparables, et les États Unis qui se limite Ă  dire qu’ils ne sont pas d’accord. En effet, pour ne pas en rajouter il est bien de se limiter Ă  juste une phrase.

Dans cette guerre de propos, on voit la position des cadres du parti de Lula. JosĂ© Genoino, ancien prĂ©sident du parti de Lula, classĂ© extrĂȘme gauche, a suggĂ©rĂ© le boycott des entreprises tenues par des Juifs – on a dĂ©jĂ  vu ça dans les annĂ©es 30, malheureusement.

Une phrase de Marx est devenue citation : “La religion est l’opium du peuple”. Raymond Aron, dans le livre, “L’opium des intellectuels”, se rĂ©fĂ©rait au communisme. Tagguieff fait le parallĂšle parlant de l’antisionisme radical et islamo-palestinisme, comme Ă©tant les nouveaux thĂšmes politiques des progressistes.

Références

[1] https://ww.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/lula-compare-la-guerre-a-gaza-avec-la-shoah-une-crise-diplomatique-en-4-actes-L5AE7KTRYJGVRE65Z4S5PBLMO4/

Citations

(p. 25)

Du dĂ©but des annĂ©es 1990 Ă  la fin des annĂ©es 2020, l’idĂ©ologue mĂ©diatique du “rĂ©formisme islamique”, Tariq Ramadan, avant sa chute pitoyable en 2018 pour des affaires de mƓurs, avait parfaitement rĂ©alisĂ© ce projet : par sa dĂ©fense de la cause palestinienne et sa prĂ©sentation Ă©dulcorĂ©e du fondamentalisme islamique, Ramadan, dĂ©jĂ  adoubĂ© par l'”extrĂȘme gauche nĂ©o-tiers-mondiste et altermondialiste, s’Ă©tait attirĂ© la sympathie d’une partie de la haute intelligentzia de gauche (de Jean Ziegler Ă  Edgar Morin), qu’il avait contribuĂ© Ă  convertir Ă  l’islamophilie militante.

(p. 39)

L’article 15 de la Charte du Hamas reprend cette vision d’un grand conflit Ă  fondement thĂ©ologico-religieux: “Lorsque nos ennemis usurpent des terres islamiques, le jihad devient un devoir pour tous les musulmans. Afin de faire face Ă  l’occupation de la Palestine par les Juifs, nous n’avons pas d’autre choix que de lever la banniĂšre du jihad.”. Dans la perspective de cette judĂ©ophobie islamisĂ©e, la prĂ©sence juive sur une terre musulmane est intolĂ©rable, comme le rĂ©pĂšte l’article 28 de la dite Charte : “IsraĂ«l, parce qu’il est juif et a une population juive, dĂ©fie l’Islam et les musulmans.” On trouve dans cette proposition un parfait rĂ©sumĂ© de l’idĂ©ologie antijuive du mouvement islamiste, qui interdit toute solution politique du conflit ainsi rĂ©interprĂ©tĂ©. D’oĂč l’appel au jihad Ă©noncĂ© dans l’article 13 de la Charte : “Il n’y aura de solution Ă  la cause palestinienne que par le jihad.”

La destruction d’IsraĂ«l est donc au programme. C’est la raison pour laquelle la “haine la plus longue”, la haine des Juifs, phĂ©nomĂšne protĂ©iforme, s’est doublĂ©e du conflit le plus long du XXe siĂšcle et du XXIĂš commençant. Et ce conflit qui parait interminable nourrit le monstre nommĂ© “antisĂ©mitisme”, lequel a souvent Ă©tĂ© comparĂ© Ă  une hydre.

QuatriĂšme de couverture

S’il est vrai que les passions antijuives se sont mondialisĂ©es, c’est avant tout parce qu’elles se sont islamisĂ©es. C’est sur la base de cette matrice thĂ©ologico-politique islamique que s’opĂšre aujourd’hui la dĂ©monisation des Juifs. L’islamisation de la “cause palestinienne” fournit Ă  l’antisionisme radical, dont l’objectif est la destruction de l’État d’IsraĂ«l, sa lĂ©gitimation. En tĂ©moigne l’appel au jihad dans la Charte du Hamas : “Il n’y aura de solution Ă  la cause palestinienne que par le jihad.”

Pour l’extrĂȘme gauche occidentale, la “cause palestinienne” joue le rĂŽle d’une nouvelle “cause du peuple” tandis que les “sionistes” sont diabolisĂ©s comme les nouveaux “nazis”. Mais la vision islamiste apocalyptique du “combat final” contre les Juifs, censĂ©s incarner l’ennemi absolu, voire le Mal, confĂšre une dimension sacrale Ă  la lutte contre IsraĂ«l et le “sionisme mondial”. La lutte contre les Juifs redevient la voie de la rĂ©demption. C’est pourquoi les convergences entre les gauches radicales et l’islamisme mondialisĂ© sont si inquiĂ©tantes.