Hervé le Bras – Se sentir mal dans une France qui va bien
La société paradoxale
L’auteur, démographe et historien, a écrit ce livre suite au mouvement des Gilets Jaunes. Puisqu’on se plaint, où est qu’on en est par rapport à nos voisins ??? C’est l’idée de ce livre.
L’auteur a comparé la situation de la France avec celle aux des pays de la Communauté Européenne sous 8 critères : inégalités et pauvreté, santé, prestations sociales et retraites, familles et logement, sécurité, la maladie de la périphérie, éducation et mobilité sociale et, finalement, hommes et femmes. Les données sont de 2016.
La France va mieux que nos voisins dans plusieurs critères, en particulier, inégalités et pauvretés et prestations sociales et retraites, des critères dont on a beaucoup parlé. En ce qui concerne les inégalités, la France est le mieux placé parmi les cinq les plus grandes puissances : (dans l’ordre) France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni et Espagne. En ce qui concerne le départ à la retraite, la France fait partie des pays où l’âge de départ à la retraite est des plus baisses. Globalement, on peut dire que la France est toujours parmi les pays en tête.
Alors pourquoi ce sentiment ? Il y a plusieurs raisons, selon l’auteur, dont les plus importantes sont le manque de connaissance chez nos voisins et une certaine fragmentation de la société. Pour l’exemplifier, l’auteur estime que les Gilets-Jaunes ont constitué des sortes d’archipels fermés sur leurs propres préoccupations (voir citations).
J’ajouterais deux autres facteurs : une certaine utilisation politique qui a peut-être poussé à des demandes qui n’avaient pas de sens, telles la démission du Président de la République. D’autre part, l’auteur a analyse tout cela au présent et l’évolution depuis plusieurs décennies (avec des nombreux graphiques) : on reste sans idée sur la tendance future. Cela ne m’étonne pas vraiment puisqu’il est un démographe et historien et pas un devin.
C’est un livre facile à lire avec des arguments justifiés avec des données, des tableaux, des graphiques (de sources fiables) plutôt que des paroles. On peut ne pas aimer les chiffres mais pour cet essai, c’est indispensable.
Il fait un constat de la situation, sans proposer des solutions (voir citations) et cela est évident. C’est aux politiques de les trouver.
Citations
(p. 7)
94 % des Français s’estiment heureux de vivre dans leur pays selon un sondage effectué en mars 2018 dans les 28 pays de l’Union européenne par Eurobaromètre. C’est au-dessus de la moyenne dans l’Union (91 %), nettement mieux, par exemple, que les Espagnols ou les Italiens. On pourrait penser que ce bonheur doit beaucoup à un système social protecteur. De tous les pays de l’Union, la France consacre en effet la plus forte part de son revenu à la protection sociale. 34 % de son PIB va aux prestations de santé, de retraite, de chômage, de logement, de handicap, alors que la moyenne européenne est de 29 %. Notre pays caracole devant les habituels champions de l’État-providence que sont le Danemark (32 % de son PIB) ou la Suède (29 %). Revers de la médaille, systématiquement mis en avant, ce budget social pèse lourd en charges sociales des entreprises. Ces charges ont pour contrepartie une grande politique sociale, il ne faut pas l’oublier.
(p. 155)
La France se porte bien selon de nombreux critères, mais les Français ne s’en rendent pas compte à cause de ségrégations de plus en plus nombreuses, en fonction de l’éducation, en fonction de la distance aux grandes villes, en fonction des origines sociales, et même, comme on vient de l’apercevoir in fine, en fonction de la séparation entre activités intellectuelles et matérielles. L’explosion des moyens de communication audio-visuels a paradoxalement éclaté la société, que le récent ouvrage de Jérome Fourquet décrit comme un archipel. Les commentateurs ont souligné que les Gilets-aunes avaient retrouvé sur les ronds-points le sentiment de la communauté, mais il s’agit de petites communautés fermées à ceux qui ne partagent pas les préoccupations du groupe, donc d’un émiettement supplémentaire de la société.
(p. 155)
La tâche immense du gouvernement et des politiques est de rétablir la circulation, pas seulement celle des voitures, mais à tous les niveaux : entre classes sociales, d’une génération à la suivante, entre centres-villes, banlieues, périurbain et campagnes, entre activités matérielles et intellectuelles.
Quatrième de couverture
94 % des Français s’estiment heureux de vivre dans leur pays, selon un sondage de mars?2018. Mais alors, pourquoi, six mois après, 280.000 Gilets jaunes déferlent-ils dans toute la France et, des semaines durant, crient-ils leur dénuement et leurs souffrances ? Pourquoi, surtout, recueillent-ils 70?% d’adhésion de l’opinion lors de leur première manifestation?
Comment résoudre cette contradiction entre l’importance du budget social de la nation, le sentiment immédiat de vivre heureux dans son pays et le sentiment contraire de souffrir de nombreuses carences sociales? Ni partisan ni naïf, Hervé Le Bras propose une lecture fine de sondages et études, en compare les résultats dans différents pays européens. Partant du constat que la France est à la fois l’un des pays les plus égalitaires de l’Union européenne et l’un de ceux qui procèdent à la plus large redistribution sociale, le démographe s’interroge sur ce qui peut alors expliquer la contradiction entre l’état objectif du pays et le sentiment subjectif de ses habitants. Une lecture aussi passionnante que nécessaire.