Corinne Goodman – Moutchi

Victime d’un prédateur

J’ai été un ami de Corinne. J’étais au courant de Moutchi, des grandes lignes, mais je ne voulais pas le lire. C’est différent de lire ce genre de récit de quelqu’un que vous ne connaissez pas (Le Consentement, par exemple) et celui d’une amie. Mais elle voulait que je le lise. Je l’ai fait. Peut-être que j’aurais du le faire avant. Je n’imaginais pas la profondeur de la blessure. Je suis abasourdi et révolté.

C’est une fille qui a été abusée pendant sept ans, dès l’âge de six ans jusqu’à ses treize ans. L’abuseur était un adolescent qui avait seize ans au départ. Donc, onze ans plus âgé. Ça a duré jusqu’à sont mariage à lui. Donc, elle de six à treize ans et lui de seize à vingt quatre ans.

Donc, ça débute en 1962, six ans avant 1968. C’est important !

Le contexte ?

Un ancien hôtel à Neuilly transformé en trois appartements. La famille de Corinne habite au 1er étage tandis que la famille de Charlie habite au 2ème étage. La famille du garçon, une famille « normale » d’intellectuels. Le père de Corinne, sorti d’Harvard, un jeune homme ambitieux. Le couple avait une vie sociale intense, trop intense pour qu’ils puissent s’occuper convenablement de leurs deux filles.

Le garçon, naturellement a commencé à faire du baby-sitting pour les deux filles, avec une « attention » particulier pour Corinne, lainée.

Je reprends un paragraphe du livre « Les moins de seize ans » de Gabriel Matzneff :

« Dans la mesure du possible, je choisis mes petits amis dans les familles désunies, chaotiques, et je m’en trouve toujours bien. » (p. 87)

Et c’est justement le comportement du prédateur, aussi dans la nature : dans un groupe la victime est choisie parmi celles les plus vulnérables, les moins surveillées, les moins protégées. C’était la tactique avouée de Matzneff et c’est ce qui s’est mis en place dans le cas de Corinne.

Donc, d’un côté on trouve une petite fille perdue qui ne reçoit pas d’attention de ses parents et de l’autre, un prédateur qui ne cessait pas de répéter qu’il l’aimait et qu’il l’aimerait pour l’éternité. Il lui a attribué le petit nom de Moutchi. Dans ces conditions, elle ne pouvait que s’accrocher à Charlie et c’est ce qui s’est passé. Elle est devenue dépendante de lui.

Charlie dénigrait souvent les parents de Moutchi, disant que tous les deux avaient des amants (ce qu’il semble ne pas être faux) ou qu’ils ne s’occupaient pas des enfants. Charlie disait que son père à lui le suggérait de coucher avec la mère de Moutchi. Tout ceci n’est qu’une tactique pour isoler encore plus la victime et la rendre encore plus dépendante.

Plusieurs passages m’ont laissé pantois. Je raconte un seule.

Les deux fillettes ont du être placées pendant quelque temps dans un internat catholique en Normandie, à cause des conditions de déroulement du divorce. Dans un week-end-end (p. 115-123), Charlie est venu prendre les filles pour les promener. Ils ont pris une chambre d’hôtel avec deux lits jumeaux. Les deux filles étaient sensées dormir dans un lit et Charlie dans l’autre. Lorsqu’ils ont éteint la lumière, Charlie demande a Moutchi de le rejoindre, ce qu’elle a fait. Il lui demande alors de jouer avec son sexe. Moutchi obéit tandis que sa petite sœur pleure doucement dans le lit à côté. Moutchi avait 12 ans et Charlie 22.

Le divorce prononcé, la mère tombe dans une situation d’abandon. Au lit tout le temps, ne s’occupe de presque rien et le frigo souvent vide. Je passe.

Quelques années après, toujours sans savoir quoi faire, la nouvelle femme de son père (une femme « exubérante ») lui présente un, soit disant, ex-toxicomane (il faut enlever le « ex » et la belle-mère le savait). Et la, c’est la descente aux enfers. Drogue dure, perte de tout l’argent qu’elle a eu d’un héritage. Et fini, par quelques jours de prison, puis une tentative de suicide. C’est la fin de la descente !!!

Récupérée par sa sœur, elle se lance dans une psychanalyse (à 24 ans). C’est ce qui lui a, à nouveau, donné l’envie de vivre et de relever la tête. Elle s’est mariée et a eu un enfant (à 40 ans).

A 46 ans, elle revoit Charlie (Syndrome de Stockholm – pages 229 et suivantes) puis Charlie avec son père qui vraisemblablement avait peur d’un scandale. Vraisemblablement son père était au courant, mais a essayé de minimiser ce qui s’est passé. Corinne voulait juste une reconnaissance et, peut-être, une demande d’excuses. Temps perdu.

En 2006, 50 ans, elle retrouve, par hasard grâce à des moteurs de recherche sur internet, quelques traces des ennuis judiciaires de Charlie pour détournement de fonds et pédophilie. Je cite : « En appel, et considérant que les faits sont établis mais pas reconnus… il est condamné à deux ans avec sursis et confirmation de la peine complémentaire ». (p. 252). En 2021 elle savait encore où il était.

Corinne est décédée à 65 ans. Son plus grand souhait, jusqu’au bout, était d’avoir une reconnaissance et des excuses. Elle n’a pas eu droit à cela.

Elle a réussi à reconstruire sa vie, si on peut le dire, mais pas sans séquelles.

Corinne est très certainement une des femmes les plus formidables que j’ai connu.

Finalement, la question que je me pose : vus les dégâts causés à ses victimes, une peine de prison de 30 ans pour les pédophiles est-ce trop ou pas assez ?