Rachel Kahn – Racée
C’est un livre qui va un peu contre-courant. « Noire, gambienne, d’origine musulmane et catholique par son père, blanche, juive et française par sa mère ». Rachek Kahn a tout pour faire partie des mouvements militants, à elle de choisir lequel ou lesquels. Mais non, elle a choisie être comme tout le monde, égale à tout le monde.
Et pour dire sa pensée, elle fait appel aux mots du militantisme : les mots qui séparent, les mots qui ne veulent rien dire et les mots qui réparent (ou qui pourraient le faire).
C’est un livre contre les excès des militantismes, où elle montre les défauts. C’est un livre écrit avec un certain humour caustique que certains peuvent trouver agressif, mais qui ne l’est pas plus que ceux des militants.
J’ai entendu une phrase un de ces jours : « L’exagération dans les arguments peut tuer la cause ». Et c’est bien ce dont elle parle.
Elle n’a sûrement pas fait des ami(e)s avec ce livre mais elle montre sa liberté de parole et je trouve bien d’avoir ce courage de ne pas se soumettre au « politiquement correct ».
Citations
(p.37)
Les identitaires déchirent la nation, pour en faire une sous-France. Et c’est à cet endroit morbide de notre langue que s’opposent « Souchiens » et « Racisés ».
(p.58)
Ce clivage est alimenté par la victimisation. Cette dernière est fondamentale pour justifier la revendication de nouveaux droits. Dès lors, se dire victime de harcèlement, de contrôle au faciès, de non représentativité, par exemple, permet d’attirer les soutiens nécessaires pour faire entendre sa voix.
(p.59)
La majorité « qualifiée » a moins de force de frappe que les minorités inqualifiables. L’abus de pouvoir est réel. Face à ces minorités dominatrices, on se tait. La mise à mal de la liberté d’expression est le signe que ces lobbies sont d’une puissance inouïe. Dans notre système démocratique déphasé, l’objectif n’est plus de gagner par la majorité, mais bien de devenir des minoritaires en majorité.
(p.63)
L’afro-descendance s’invite dans la question des quotas lorsque l’acteur Samuel L. Jackson s’offusque que les Noirs britanniques se mettent à jouer les rôles des Afro-Américains qui, eux, ont un passé d’esclaves. Nous atteignons des limites décentes de l’exercice.
(p.66)
Martin Luther King, qui a joué un rôle majeur pour l’égalité aux États-Unis, se voit régulièrement, même après son assassinat, accusé d’avoir fragilisé la cause. Parce qu’il est non-violent, il est assimilationniste. Parce qu’il a changé de nom, il est pour le déracinement, contrairement à Malcom X, dont la lettre do patronyme dénonce la déportation. Parce que son père est un pasteur bourgeois, son statut social rend son engagement suspicieux. Parce qu’il sort avec des Blanches, il est certain que ses désirs ne vont pas dans le sens de la cause. Enfin, parce qu’il préfère dire « américain » plutôt « qu’afro-américain », et parce qu’aujourd’hui une journée nationale lui est consacrée aux États-Unis, il y a anguille sous roche d’une collaboration avec l’establishment blanc. Bref, parce qu’il prône la tolérance, le dialogue, la paix et l’amour, c’est un suppôt des dominants.
(p. 93 – pied de page)
Est-ce que le livre de Rokhaya Diallo peut m’être remboursé ?
(p. 103)
Pour les identitaires, est-ce la perte du colon qui est intolérable ou celle de leur place dans les médias ? Certainement les deux. Puisque leur statut de victime est leur raison d’être, toute idée de réparation est improductive.
Quatrième de Couverture
« On est tous des additionnés », affirmait Romain Gary dans Pseudo. Rachel Khan ne le sait que trop bien. Noire, gambienne, d’origine musulmane et catholique par son père, blanche, juive et française par sa mère, elle est fière de se dire « racée ».
Mais comment vivre cet excès de « races » à l’heure des replis identitaires où seule la radicalité importe ? Comment se positionner avec ce « pedigree » alors que l’injonction est de choisir un camp ? À travers une série de mots, notions et expressions « politiquement correctes », Rachel Khan pose un regard tant critique que malicieux sur notre époque idéologisée qui interdit toutes formes de nuances.
Elle condamne les « mots qui séparent » ? souchien, racisé, afro-descendant, intersectionnalité, minorité… : présentés comme des outils indispensables pour combattre le racisme, ils enfoncent en fait le couteau dans les plaies qu’ils prétendent cicatriser. Puis les « mots qui ne vont nulle part » : vivre-ensemble, diversité, mixité et non-mixité, etc., qui appauvrissent le langage et, dans une « bienveillance inclusive », alimentent la haine et les silences. Mais elle défend avec force les « mots qui réparent » ? intimité, création, désir ? qui, eux, rétablissent le dialogue, favorisent la pensée non unique et unissent notre société, gangrenée par les crispations identitaires et les oppositions stériles entre les genres.