Pierre-AndrĂ© Taguieff – L’islamisme et nous

Dans ce livre, Taguieff passe sous toutes les coutures ce qu’il y a derriĂšre le terrorisme islamiste.

Inutile de rappeler qu’il y a plusieurs courants dans l’Islam. On s’intĂ©resse plus particuliĂšrement Ă  ceux liĂ©s aux mouvements de domination mondiale et Ă©tablissement d’un califat mondial : Al-Qaeda, État Islamique, …

Il est question des aspects du Coran qui soutiennent ces idĂ©es, en particulier le rejet de la sĂ©cularisation (sĂ©paration de l’Ă©tat et de la religion) et le rejet de tout ce qui va pas dans ce sens. L’expansionnisme est une des interprĂ©tations.

Taguieff montre les liens (ou plutÎt héritage) entre ces mouvances et la confrérie des FrÚres Musulmans, fondée par Hassan Al-Banna, grand oncle de Tariq Ramadan.

Il est question des jihadistes, recrutĂ©s avec la conviction d’ĂȘtre mieux reçus au paradis (les 40 vierges ?), et le lemme : « mieux vaut vivre un jour comme un lion que 100 ans comme un lapin ». Pour Taguieff il n’y a pas de dĂ©radicalisation possible : la seule façon possible est que ça vienne d’eux mĂȘmes (puisque fanatiques).

MĂȘme si Taguieff est toujours excellent (au moins dans tous les livres que j’ai dĂ©jĂ  lu), ce livre doit ĂȘtre lu avec beaucoup attention. Il est trĂšs dense (deux cent pages de texte plus une cinquantaine de notes et rĂ©fĂ©rences bibliographiques) mais aussi que c’est un sujet d’actualitĂ© dont la comprĂ©hension n’est pas Ă©vidente. L’auteur nous aide Ă  voir et comprendre ce qui n’est pas dit dans la presse ou qui n’est dit que par des petits bribes par-ci par-lĂ . Les citations donnent une idĂ©e de quelques points.

Citations

(p. 24)

Hamadi Redissi relĂšve paradoxes et contradictions, et pose avec finesse le problĂšme : « L’islam rejĂšte la diffĂ©rence quand il ne peut pas la digĂ©rer dans les pays oĂč il domine, et il rĂ©clame des droits collectifs dans les pays oĂč, minoritaire, il a du mal Ă  s’intĂ©grer. […] Nous sommes devant un contraste : […] toutes les cultures extracommunautaires s’intĂšgrent, fort heureusement, dans la diffĂ©rence, alors que seul l’islam, hĂ©las, s’exclut par l’identitĂ© ! L’islam veut se moderniser sans s’occidentaliser, s’occidentaliser sans s’acculturer, et s’acculturer sans se dĂ©mocratiser. » On peut bien sĂ»r objecter que Redissi nĂ©glige le fait qu’il y a des islams diffĂ©rents et des façons diffĂ©rentes d’ĂȘtre musulman, et qu’il convient de nuancer son analyse.

(p.126)

Les musulmans dits « modĂ©rĂ©s » sont en outre soupçonnĂ©s par les salafistes, jihadistes ou non, d’ĂȘtre trĂšs modĂ©rĂ©ment musulmans, c’est-Ă -dire, en claire, d’ĂȘtre de « mauvais » ou de « faux » musulmans. Leur parole est donc d’emblĂ©e disqualifiĂ©e par des attaques ad personam. Les uns et les autres sont vouĂ©s Ă  un dialogue de sourds, dans la meilleure des hypothĂšses. Car les plus sourds des salafistes ne tardent pas Ă  substituer au dĂ©bat impossible un combat sans merci.

(p.135)

Rien ne serait plus dĂ©risoire et inefficient que de s’Ă©riger en donneur de leçons face aux jihadistes, Ă  l’instar de cet expert mĂ©diatique formulant la recette suivante : « Il faut dĂ©lĂ©gitimer l’EI et Al-Qaida en dĂ©truisant l’image d’hĂ©roĂŻsme et d’aventure qui s’y attache, en les ramenant Ă  ce qu’ils sont : au mieux des paumĂ©s, comme les trois Pieds NickelĂ©s qui sont allĂ©s se rendre Ă  la gendarmerie, et au prie des bandits, des loubards fascinĂ©s par le Scarface de Brian De Palma, mais pas des hĂ©ros de la communautĂ© musulmane. C’est la seule maniĂšre de dĂ©gonfler l’attrait pour le djihad ». (119)
Note 119 : Olivier Roy, La peur de l’Islam, pp 27-28

(p.170)

Le marxiste d’origine libanaise Gilbert Achcar, aprĂšs avoir rappelĂ© qu’ « à la fin des annĂ©es 1960 et dans les annĂ©es 1970, l’idĂ©ologie contre-hĂ©gĂ©monique Ă©tait dominĂ©e par la gauche radicale Ă  l’Ă©chelle mondiale, y compris dans la rĂ©gion arabe », reconnaĂźt aujourd’hui avec amertume que « l’intĂ©grisme islamique […] est devenu l’idĂ©ologie contre-hĂ©gĂ©monique dominante dans la rĂ©gion arabe depuis les annĂ©es 1980 ». C’est la raison pour laquelle tant de marxistes sont fascinĂ©s par l’islamisme, le nouvel ennemi de leur vieil ennemi : le capitalisme libĂ©ral occidental, dĂ©sormais mondialisĂ©.

QuatriĂšme de couverture

Nous avons dĂ©couvert un « autre » que nous n’imaginions pas : le jihadiste. Nous sommes stupĂ©fiĂ©s de voir surgir des « barbares » d’un nouveau type, vivant et pensant dans un tout autre monde culturel que le nĂŽtre, et fermement dĂ©cidĂ©s Ă  le soumettre ou Ă  le dĂ©truire. Mais comment expliquer la sĂ©duction que ces fanatiques exercent ? Pourquoi font-ils des prosĂ©lytes ? Notre culture laĂŻcisĂ©e nous fait sous-estimer la force des croyances religieuses qui animent les jihadistes.

L’islamisme radical reprĂ©sente la derniĂšre des idĂ©ologies lĂ©gitimant l’usage de la violence absolue contre les ennemis que ses adeptes dĂ©signent : mĂ©crĂ©ants ou infidĂšles. L’utopisme rĂ©volutionnaire s’est rĂ©fugiĂ© dans l’islamisme jihadiste, qui nous a dĂ©clarĂ© la guerre. « Nous », c’est-Ă -dire non seulement les Occidentaux vivant dans des sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques, mais tous les humains dĂ©cidĂ©s Ă  dĂ©fendre leurs libertĂ©s.

Pierre-AndrĂ© Taguieff appelle Ă  reconnaĂźtre ce fondamentalisme islamique guerrier comme le nouvel ennemi. Il retrace l’histoire de la doctrine du jihad jusqu’à ses rĂ©interprĂ©tations, au XXe siĂšcle, par les principaux thĂ©oriciens de l’islamisme. Il analyse enfin les usages du terme « islamophobie », instrumentalisĂ© par certains pour mobiliser les musulmans et les pousser Ă  l’auto-sĂ©grĂ©gation, voire Ă  l’engagement jihadiste.

L’islamisme jihadiste incarne une paradoxale rĂ©volution rĂ©actionnaire porteuse d’un projet impĂ©rialiste. Contre cet ennemi imprĂ©vu, le combat intellectuel et plus largement culturel est l’affaire de tous, musulmans anti-jihadistes compris.

L’analyse exigeante et lucide d’un grand intellectuel sur ce mĂ©lange inĂ©dit d’obscurantisme, de fanatisme et de propagande guerriĂšre qui nous menace.