Chantal Delsol – Populisme : les demeurés de l’histoire

Le titre de ce livre est trompeur. L’auteur le fait comprendre dans la quatrième de couverture et dans les deux premiers paragraphes de l’introduction.

Selon Chantal Delsol, le terme « populisme » est très souvent mal utilisé et même considéré comme synonyme de « démagogie ». Démagogue serait plutôt le politicien qui, pour arriver au pouvoir, fait des promesses de satisfaction des besoins et même des caprices de ses électeurs sans avoir forcément l’intention de les honorer.

Le fil conducteur de ce livre, ce sont les oppositions en politique. Pas forcément de rapport entre gauche et droite.

La première opposition est celle de la proximité de l’action politique. Il y a ceux dont le but est sa personne et son entourage et ceux qui ont une hauteur de vue et ont pour but une satisfaction globale de la société. le premier groupe est celui du peuple, dont les populistes. le deuxième groupe est un produit des Lumières.

Il s’agit, donc, juste de deux points de vue différents. Ces populistes ne font que défendre un point de vue, ne sont pas forcément démagogues et ne méritent pas la référence péjorative qui leur est souvent attribuée. En fait, l’idéal n’est pas binaire et il y a juste un équilibre acceptable à trouver.

Et de la vient le sous-titre du livre « Les demeurés de l’histoire », et l’identification courante avec le mot « idiot » qu’elle précise le sens utilisé dans le livre : « L’idiot est pris ici sous sa double acception, moderne (un esprit stupide) et ancienne (un esprit imbu de sa particularité). » C’est-à-dire, le « demeuré » n’est pas forcément un idiot.

La deuxième catégorie d’opposition est temporelle : il y a ceux qui ont un but immédiat et ceux qui ont une vision à long terme. Il n’y a pas de rapport obligé entre ces deux côtés opposés et ceux de la catégorie précédente. Un exemple hypothétique, quelqu’un qui se proposerait de réduire l’âge de la retraite à 50 ans (c’est super) sans tenir compte des conséquences à moyen ou long terme (qui va payer ?).

Ce livre démystifie l’idée souvent fausse de ce que c’est le populisme et explore les détails de ces oppositions.

Ce que l’on peut retenir de cette lecture est que tout ça ce ne sont que des débats d’opinion et qu’il n’y a pas lieu de mépriser l’interlocuteur adverse, tant qu’il ne tombe pas dans la démagogie. La bonne solution est le plus souvent intermédiaire.

A lire aussi un autre petit livre de Chantal Delsol, « La Haine du Monde », où elle montre que toute conquête qui n’est pas obtenue par un consensus fini toujours par un système autoritaire.

Citations

(p. 7)

Le vocable « populisme » est d’abord une injure: il caractérise aujourd’hui les partis ou mouvements politiques dont on juge qu’ils sont composés par des idiots, des imbéciles et même des tarés. Si tant est qu’il y ait derrière eux une pensée ou un programme – ce dont nous allons parler ici – alors ce serait une pensée idiote ou un programme idiot.

L’idiot est pris ici sous sa double acception, moderne (un esprit stupide) et ancienne (un esprit imbu de sa particularité). Dans la compréhension du phénomène populiste, l’une et l’autre acception se répondent et se superposent de façon caractéristique.

(p. )

La simplicité et la rusticité des milieux populaires, source de cette ignorance des arguments, explique que l’on confonde le dit populisme avec une vulgaire démagogie, ce qui n’est pas le cas. La démagogie ne consiste qu’à flatter les désirs et les caprices premiers, les volontés à court terme, ou bien à dire à chaque catégorie ce qu’elle veut entendre, comme si l’intérêt public n’était que la somme des intérêts particuliers des groupes. En ce sens tout politique est naturellement tenté par la démagogie, et bien peu parviennent à s’y soustraire totalement.

(p. 189)

Michelet écrit par exemple : « Si l’on aimait mieux placer la supériorité dans le bon sens et le bon jugement, je ne sais trop dans quelle classe on trouverait un homme sensé plus que le vieux paysan en France. Sans parler de sa finesse en matière d’intérêt, il connaît bien les hommes, il devine la société qu’il n’a pas vue. Il a beaucoup de réflexion intérieure, et une prescience singulière des choses naturelles. Il juge du ciel, et parfois de la terre, mieux qu’un augure de l’Antiquité. » Quant aux femmes du peuple, « Elles étaient extraordinairement prudentes, pénétrantes dans les matières mêmes sur lesquelles vous ne leur auriez supposé aucune expérience. »

(p. 254)

Sens de l’éducation démocratique

Éduquer signifie, au moins dans notre tradition, former un esprit qui sera capable de penser par lui-même. On ne peut pas confondre éduquer et prescrire un contenu de pensée. Éduquer à la citoyenneté ne consiste pas à défendre une idéologie, mais à développer des qualités de discernement, de jugement, de responsabilité, qui permettront à chacun de se forger sa propre opinion sur le destin commun. Ce qui est devenu incongru, puisque le souci de nos démocraties consiste à empêcher que se développe une réflexion valorisant l’enracinement et la défense de la particularité. L’éducation stricto sensu ne présente donc plus grand intérêt dans les circonstances d’aujourd’hui, et les programmes visant à « éduquer la citoyenneté » recèlent consciemment ou non le projet de convaincre d’une seule vision du destin. L’instruction civique enseigne une ligne de pensée bien précise, ainsi que la haine des autres pensées; l’enfant récite les crimes du passé et l’interdit de l’homophobie, il apprend que l’humanisme consiste à préférer le lointain au prochain; mais il n’apprend pas que le prochain, le seul réel devant nos yeux, représente l’exigence première qui permet toutes les autres; et surtout il n’apprend pas à se forger ses opinions propres, car ce serait trop dangereux.

Quatrième de couverture

Le « populisme » évoque un courant d’opinion fondé sur l’enracinement (la patrie, la famille) et jugeant que l’émancipation (mondialisation, ouverture) est allée trop loin. Si le « populisme » est d’abord une injure, c’est que ce courant d’opinion est aujourd’hui frappé d’ostracisme.

Cet ouvrage a pour but de montrer sur quoi repose cet ostracisme, ses fondements et ses arguments. Et les liens entre le peuple et l’enracinement, entre les élites et l’émancipation.

Il est normal qu’une démocratie lutte en permanence contre la démagogie, qui représente depuis l’origine sa tentation, son fléau mortifère. Mais une démocratie qui invente le concept de populisme, autrement dit, qui lutte par le crachat et l’insulte contre des opinions contraires, montre qu’elle manque à sa vocation de liberté.

Le populisme est le sobriquet par lequel les démocraties perverties dissimulent vertueusement leur mépris pour le pluralisme.