Johann Chapoutot – Libres d’obéir – Le management du nazisme à aujourd’hui
Ce petit bijou nous éclaire sur le « management » des « ressources humaines » dans le nazisme, prenant comme fil conducteur la carrière de Reinhard Höhn.
Reinhard Höhn était un juriste, professeur universitaire déjà avant la prise de pouvoir par Hitler. Affilié au NSDAP, et à la SS, apprécié par Himmler et nazi convaincu (antisémite, raciste, …), il a fini général à la fin de la guerre.
Reinhard Höhn n’a rien inventé, il a juste adapté des idées qui existaient déjà à la situation où se trouvait l’Allemagne à la fin de la Grande Guerre, puis à la gestion de personnel (industriel et militaire) pendant les 12 ans qui ont duré le nazisme et puis dans sa carrière après la deuxième guerre.
Ce juriste, comme beaucoup d’autres intellectuels (mais pas que) on été épargnés après la guerre puisqu’ils étaient nécessaires pour la reconstruction de l’Allemagne. Ceci n’est pas un secret pour personne.
L’Allemagne a réussi sa reconstruction sûrement grâce, en partie, aux idées de Reinhard Höhn. On peut se poser la question de la validité, d’un point de vue humain, de ses idées mais toujours est-il que, d’un point de vue efficacité, ça a marché. Peut-être aussi qu’il y avait d’autres voies possibles.
Sa méthode consistait à déléguer la responsabilité des tâches aux collaborateurs : on leur donnait une mission et ils étaient libres de choisir comment la réaliser, mais étaient, en même temps, responsable du succès. Cette délégation de responsabilité est la cause d’une pression pouvant devenir insupportable.
Sa méthode, bien que largement utilisée juste après la guerre a fini par être contestée et actuellement n’est plus considérée comme une méthode de gestion acceptable. Chapoutot nous cite un exemple d’un procès concernant l’entreprise Aldi (Aldi et pas Audi). Même si certaines méthodes actuelles de gestion de personnel soient contestables, je ne pense pas que l’on puisse dire qu’elles héritent toutes de la méthode Reihard.
Ce livre sera, sûrement, une source pour des complotistes – on voit déjà apparaître des raccourcis de raisonnement du genre « Reinhard était nazi, Reinhard était un libéral. Alors, le libéralisme et le nazisme, c’est la même chose ». On voit aussi se manifester dans ce sens des opposants à Emmanuel Macron (sans vouloir défendre Emmanuel Macron, ce raccourci me fait sourire…).
Le libéralisme, comme le capitalisme, ne sont que des modèles de fonctionnement partiels d’une économie. Ils ne dictent pas le fonctionnement global d’une société, comme c’est le cas du communisme. Au sujet du capitalisme, il est intéressant de se référer au livre « Le capitalisme est-il moral ? » de André Comte-Sponville, philosophe pourtant de tendance politique à gauche. Il ne faut pas confondre capitalisme (ou libéralisme) et capitalisme (libéralisme) sauvage.
Enfin, c’est un livre facile à lire et très clair, écrit par quelqu’un qui connaît profondément le sujet.
Citations
(p. 135-136)
Être rentable / performant / productif et s’affirmer dans un univers concurrentiel pour triompher dans le combat pour la vie : ces vocables typiques de la pensée nazie furent les siens après 1945, comme ils sont trop souvent les nôtres aujourd’hui. Les nazis ne les ont pas inventés – ils sont hérités du darwinisme social militaire, économique et eugéniste de l’Occident des années 1850-1930 – mais ils les ont incarnés et illustrés d’une manière qui devrait nous conduire à réfléchir sur ce que nous sommes, pensons et faisons.
Devons-nous , machines parmi les machines, durcir nos corps comme l’acier dans des usines à sport ? Devons-nous « lutter » et être des « battants » ? Devons-nous « gérer » notre vie, nos amours et nos émotions et être performants dans la guerre économique ? Ces idées-là entraînent la réification de soi, de l’autre et du monde – la transformation généralisée de toute existence, de tout être, en « objets » et en « facteurs » (de production) jusqu’à l’épuisement et la dévastation.
Quatrième de couverture
Reinhard Höhn (1904-2000) est l’archétype de l’intellectuel technocrate au service du IIIᵉ Reich. Juriste, il se distingue par la radicalité de ses réflexions sur la progressive disparition de l’État au profit de la « communauté » définie par la race et son « espace vital ». Brillant fonctionnaire de la SS – il termine la guerre comme Oberführer (général) -, il nourrit la réflexion nazie sur l’adaptation des institutions au Grand Reich à venir – quelles structures et quelles réformes ? Revenu à la vie civile, il crée bientôt à Bad Harzburg un institut de formation au management qui accueille au fil des décennies l’élite économique et patronale de la République fédérale : quelque 600 000 cadres issus des principales sociétés allemandes, sans compter 100 000 inscrits en formation à distance, y ont appris, grâce à ses séminaires et à ses nombreux manuels à succès, la gestion des hommes. Ou plus exactement l’organisation hiérarchique du travail par définition d’objectifs, le producteur, pour y parvenir, demeurant libre de choisir les moyens à appliquer. Ce qui fut très exactement la politique du Reich pour se réarmer, affamer les populations slaves des territoires de l’Est, exterminer les Juifs.
Passé les années 1980, d’autres modèles prendront la relève (le japonais, par exemple, moins hiérarchisé). Mais le nazisme aura été un grand moment managérial et une des matrices du management moderne.