Antonio Damasio – Sentir et Savoir : Une nouvelle thĂ©orie de la conscience

Lecture trĂšs intĂ©ressante – comme prĂ©vu. J’ai commencĂ© ma lecture de Damasio par son dernier livre. Peut-ĂȘtre parce que c’est le plus court. Les autres font presque le double de pages en caractĂšres plus petits (la vue rechigne un peu).

Aussi, en introduction, il dit : « Ma frustration est nĂ©e en parlant Ă  me lecteurs au fil des annĂ©es, et en apprenant d’eux que certaines des idĂ©es que j’exposais avec enthousiasme se perdaient dans le flot de longues discussions, passant inaperçues, et ne satisfaisant donc pas grand monde. » Donc, ce livre oĂč il prĂ©sente une thĂ©orie de la « conscience » a Ă©tĂ© Ă©crit dans un but de rĂ©soudre cette frustration. Est-ce qu’il a rĂ©ussi ?

Damasio prĂ©sente, petit Ă  petit, depuis un virus ou une bactĂ©rie jusqu’Ă  un ĂȘtre humain, comment se construit une « conscience ». Pour ĂȘtre clair, on parle de « conscience » dans le sens de « ĂȘtre conscient de », ou « prendre conscience qu’il se passe quelque chose ».

Mais tout se passe au niveau des idĂ©es, comme dans une « expĂ©rience de pensĂ©e ». C’est juste Ă  deux endroits oĂč il parle de neurones ou de la structure du cerveau, et trĂšs briĂšvement. C’est un exposĂ© complĂštement abstrait sans un lien avec comment ça se passe au niveau biologique.

Quoi qu’il en soit, il construit petit Ă  petit ses idĂ©es jusqu’aux notions de « sentiment » et de « conscience ». On a tout ce qu’il faut pour aller plus loin… ou presque. Les Ă©tapes suivantes seraient, par exemple, les Ă©motions, le raisonnement, la mĂ©moire, … Des concepts que mĂȘme la science n’explique pas encore.

C’est une lecture qui mĂ©rite quelques arrĂȘts de rĂ©flexion. Par exemple, il dit Ă  plusieurs endroits que ses entitĂ©s sont toutes comprises Ă  l’intĂ©rieur de notre corps. Donc, quid du « problĂšme corps-esprit » ou du « physicalisme » ? C’est une question dans la continuitĂ© du livre et ça mĂ©rite qu’on en parle. Par ailleurs, le mot « ùme » n’apparaĂźt qu’une seule fois dans le livre, vers la page 170.

La partie que j’ai trouvĂ© la plus extraordinaire est la derniĂšre, avant les conclusions, oĂč il dit sa pensĂ©e sur l’Intelligence Artificielle (IA), en la remettant Ă  sa vraie place. Une luciditĂ© Ă©clatante !!! L’IA est, Ă  mon humble avis, loin de pouvoir crĂ©er une « conscience » telle que dĂ©crite dans ce livre.

MĂȘme si je partage complĂštement son avis, je trace quelques mots, non pas pour lui contredire, mais pour expliquer. L’Intelligence Artificielle est un domaine qui a subi des Ă©normes pics d’excitation et d’espoirs suivis de chutes vers le « plancher des vaches ». Le premier dans les annĂ©es 50-60 avec le pionnier Marvin Minsk (suggestion de lecture : « The Society of Mind » 1 ), puis dans les annĂ©es 90 avec des rĂ©seaux de neurones puis depuis vers 2010 avec l’Apprentissage Profonde (Deep Learning), qui n’est rien d’autre que des rĂ©seaux de neurones avec beaucoup de neurones. En fait, ce qu’il faut retenir de l’Ă©volution dans le temps de l’Intelligence Artificielle est, d’une part, l’augmentation de la puissance de calcul disponible pour mettre en place des dispositifs plus complexes et, d’autre part, le financement de la recherche dirigĂ©e plutĂŽt par des applications Ă  court terme.

En mĂȘme temps, on parle peu, mais la consommation en Ă©nergie nĂ©cessaire pour l’apprentissage d’un dispositif de AI peut ĂȘtre ahurissante, surtout lorsqu’on tient compte de la quantitĂ© Ă©quivalente d’Ă©mission de CO2. Pour avoir une idĂ©e, il suffit de faire une recherche avec les termes « Green AI » ou « Energy and Policy Considerations for Deep Learning« .

Finalement, j’ai beaucoup apprĂ©ciĂ© cette lecture, mon enthousiasme croissant en mĂȘme temps que la lecture avançait. Mais peut-ĂȘtre que j’aurais dĂ» commencer par ses livres prĂ©cĂ©dents.

Citation

(p. 203-204)

L’expression ultime de la robotique a un nom : intelligence artificielle (IA). Et avant toute chose, je tiens Ă  souligner le terme « artificiel », qui ne saurait ĂȘtre plus appropriĂ©. L’intelligence des appareils qui rendent notre quotidien plus efficace et confortable n’est absolument pas « naturelle », et leur mode de construction n’a rien de « naturelle » non plus. Il n’en reste pas moins que les inventeurs et les ingĂ©nieurs brillants qui ont donnĂ© naissance Ă  la robotique et Ă  l’intelligence artificielle ont bel et bien trouvĂ© leur source d’inspiration dans les organismes naturels, vivants, et tout particuliĂšrement dans la dĂ©brouillardise avec laquelle les ĂȘtres vivants surmontent leurs problĂšmes, et par l’Ă©conomie et l’efficacitĂ© de leurs mouvements.

On aurait pu s’attendre Ă  ce que les pionniers de l’IA et de la robotique puisent leur inspiration dans la totalitĂ© que constituent des ĂȘtres tels que nous : avec nos ressources d’efficacitĂ© et d’organisation, mais avec aussi la ressources des sentiments concernant les objets auxquels s’appliquent notre efficacitĂ© et notre organisation ; toute la joie, voire l’euphorie que nous procure ce que nous faisons (et ce que les autres nous font); la frustration, la tristesse et la douleur, aussi, selon les cas.

Ces brillants pionniers n’en ont rien fait : ils ont privilĂ©giĂ© une approche Ă©conomique, sont allĂ©s droit au but. Ils ont essayĂ© de simuler les caractĂ©ristiques jugĂ©es les plus essentielles et utiles – l’intelligence de base, pourrait-on dire – et ont laissĂ© de cĂŽtĂ© tout ce qu’ils jugeaient probablement superflu, voire problĂ©matique : tout ce qui touche au sentiment. De leur point de vue, l’affect Ă©tait sans doute une chose lĂ©gĂšrement surannĂ©e, voire complĂštement dĂ©modĂ©e, un vestige abandonnĂ© sur le bord du chemin dans la marche triomphante vers la clartĂ© de pensĂ©e, l’exactitude dans la rĂ©solution des problĂšmes et la prĂ©cision de l’action.

[…]

QuatriĂšme de couverture

Ce livre, Ă©crit par l’un des plus grands neuroscientifiques, propose une analyse tout Ă  fait nouvelle et passionnante du phĂ©nomĂšne de la conscience et de son rĂŽle dans le vivant. Jusqu’à tout rĂ©cemment, beaucoup de philosophes et de neuroscientifiques s’accordaient pour penser que la question de la conscience Ă©tait insoluble. Antonio Damasio, au contraire, est convaincu qu’avec la neurobiologie, la psychologie et l’intelligence artificielle nous disposons des outils nĂ©cessaires pour rĂ©soudre le mystĂšre de la conscience.

Dans ce livre, il Ă©claire toutes les facettes de la conscience. Les perspectives nouvelles qu’il explore en dĂ©voilent les mĂ©canismes, restant proches de l’expĂ©rience intime que nous en avons. Il explique les relations entre conscience et esprit, la diffĂ©rence entre ĂȘtre conwscient, ĂȘtre Ă©veillĂ© et sentir, le rĂŽle clĂ© des sentiments et la maniĂšre dont le cerveau dĂ©termine le dĂ©veloppement de la conscience.

Dans cette synthĂšse magistrale, Antonio Damasio rĂ©concilie les dĂ©couvertes scientifiques rĂ©centes et les Ă©lĂ©ments d’une philosophie de la conscience. Surtout, il prĂ©sente de façon lumineuse l’essentiel de ses propres recherches qui ont transformĂ© notre comprĂ©hension du cerveau et du comportement humain.

  1. The Society of Mind []