Rudolf Hoess – Le commandante d’Auschwitz parle

Ce livre a été écrit en prison, en 1947, pour servir de témoignage lors de son procès, sur conseil de ses avocats.

Ce témoignage avait comme but premier de relativiser sa culpabilité. Si la plupart du contenu est exact, certaines parties sont adoucies ou inexactes – des précisions qui ne pouvaient être confirmées que plusieurs années après. C’est, donc, à prendre avec précautions.

Il raconte son enfance, sa participation dans la Grande Guerre et son passage en prison entre 1924 et 1928, où il démontre connaître le mode de vie des prisonniers dans une prison normale. Et il se présente comme un humaniste, concerné par le bien être des prisonniers.

A Dachau, il souffre l’influence de son supérieur hiérarchique, Theodor Eicke. Il dit ne pas partager ses méthodes brutales et même avoir envie de quitter les SS.

Dans le camp d’Auschwitz, il dit s’être occupé surtout des travaux d’agrandissement du camp et avoir laissé la gestion des prisonniers à ses collaborateurs qu’il considère des incapables.

Il se dit travailler beaucoup, très impliqué dans ses tâches et obéir rigoureusement les ordres de Himmler.

S’il démontre bien connaître les méthodes de gazage, il ne reconnaît pas sa participation dans ce choix de méthode de mise à mort. Dans la dernière partie du livre il décrit avec précision chronométrique le processus de mise à mort par gazage.

S’il est vrai qu’il reconnaît qu’il y a eu des maltraitances des prisonniers qui n’étaient pas gazés dès leur arrivée, la lecture de son récit donne l’impression que ce n’était pas systématique et qu’il s’opposait absolument à toute maltraitance. Et par ailleurs il suggère (mais ne dit pas) que la cause principale des décès de prisonniers n’est pas la maltraitance par les SS.

Il semble considérer bien plus grave les maltraitances des prisonniers que la mise à mort dans les chambres à gaz, qu’il décrit avec détails et froidement.

Mais pourquoi cette différence ? A mon avis, dans la tête de Hoeëss, il se disait que les maltraitances des prisonniers relevait de l’initiative individuelle des gardiens, ils étaient méchants, tandis que l’extermination dans les chambres à gaz relevait d’un processus industriel, activité principale du camp, décidée à plus haut niveau et faisant partie de la politique sociale, qu’il approuvait, du Troisième Reich.

Dans la partie conclusion il fini par dire que la décision d’anéantissement de la race juive était une mauvaise décision, il reste un nazi antisémite convaincu.

Finalement, si on reste à la lecture de ce livre et si on fait abstraction de ce que l’on connaît déjà sur le fonctionnement du camp d’Auschwitz, on peut penser que Rudolf Hoëss était, peut-être, juste quelqu’un avec un fond à priori humaniste, tout en étant un nazi antisémite convaincu, qui ne faisait qu’obéir des ordres sans, et que c’est le contexte qui lui a fait devenir ce personnage. La Banalité du Mal, comme dans le cas de Adolf Eichmann

Quelques morceaux de texte, mis comme des citations, donnent une idée de la « sincérité » de ce témoignage.

Malgré le contenu tendancieux et pas exact, ce livre reste intéressant du point de vue historique. Un autre livre écrit avec plus d’objectivité est celui de Robert Merle – La mort est mon métier – sûrement plus proche de la réalité.

Dans le livre « L’Héritage du commandant », Rainer Hoss, petit-fils de Rudolf Hoss, raconte que son grand-père est toujours vénéré par sa famille et considéré comme un héros, ce qu’il lui a fait couper tout lien avec sa famille.

Citations

(p.69 – Dans la prison de Bradenburg – 1924-1928)

Les dirigeants des pénitenciers étaient invités à s’occuper plus attentivement de chaque prisonnier et de ses soucis personnels. Quand aux prisonniers eux-mêmes, on avait décidé de les soumettre à un système qui leur permettrait, s’ils faisaient preuve de bonne conduite, d’application au travail et du désir de se réhabiliter, d’atteindre, après deux étapes intermédiaires (qui comportaient chacune des privilèges importants et jusqu’alors impensables) un troisième stade qui leur faciliterait une libération anticipée avec sursis. Dans le meilleur des cas, ou pouvait obtenir ainsi la réduction d’une moitié de la peine.

Parmi les huit cents prisonniers de notre pénitencier, je fus le premier à atteindre cette troisième étape. Jusqu’au jour de ma libération il ne se trouva qu’une douzaine d’autres prisonniers qui furent reconnus dignes de recevoir les trois galons qu’on m’avait octroyés. Dans mon cas, toutes les conditions nécessaires pour obtenir cette faveur étaient acquises d’avance : on ne m’avait ni puni ni admonesté; ma somme de travail quotidienne était toujours largement dépassée, je purgeais pour la première fois une peine de prison, je n’avais pas perdu mes droits civiques et j’étais considéré comme un criminel politique.

(p.70 – Dans la prison de Bradenburg – 1924-1928)

Quelques jours de pénitencier avaient suffit pour me ramener à la raison. Une lettre expédiée par un de mes avocats avait détruit mes derniers espoirs : j’en avais pour dix ans de travaux forcés. Désormais je voyais clair et j’allais agir en conséquence. Jusqu’alors j’avais vécu au jour le jour ; j’avais pris la vie telle qu’elle s’offrait à moi sans jamais envisager sérieusement l’avenir.

Maintenant les loisirs n’allaient pas me manquer pour réfléchir sur mes actes passés, pour définir mes erreurs et mes faiblesses et pour me préparer à une existence ultérieure plus féconde.
Certes, j’avais appris un métier au cours des périodes où je n’étais pas appelé à participer à l’activité des corps francs. J’étais devenu un passionné de l’agriculture et mes certificats étaient là pour attester que j’avais toutes chances pour réussir dans ce domaine : j’y avais déjà fait mes preuves.

Ce qui me manquait encore c’était la compréhension du vrai sens de la vie. Cela peut paraître paradoxal : derrière les murs de la prison, je m’étais mis à le chercher … pour le trouver beaucoup plus tard.

(p. 94)

Dans les prisons et dans les camps de concentration, le travail, est, certes, une obligation imposée par la force. Et pourtant chaque prisonnier est capable de fournir un libre effort à condition d’être bien traité. Sa satisfaction intérieure réagit sur tout son état d’esprit, tandis que le mécontentement occasionné par le travail peut rendre toute sa vie insupportable.

Combien de souffrances et de malheurs auraient pu être évités si les inspecteurs du travail et les chefs de commandos s’étaient donné la peine de prendre ces faits en considération, s’ils avaient ouvert leurs yeux lorsqu’ils traversaient les ateliers et les chantiers.

(p. 136 – Auschwitz)

La multitude et la variété de mes travaux, comme on le comprendra aisément, ne me laissaient que fort peu de temps pour m’occuper spécialement des prisonniers. J’étais obligé de confier cette tâche à des subordonnés aussi peu recommandables que Fritzsch, Meier, Seidler et Palitzsch, tout en sachant d’avance qu’ils ne dirigeraient pas le camp conformément à mes idées et à mes intentions.

Mais je ne pouvais suffire à tout. Un choix s’imposait à moi : il fallait m’occuper uniquement des prisonniers ou poursuivre avec toute l’énergie possible la reconstruction et l’agrandissement du camp. Dans un cas comme dans l’autre, il fallait s’engager tout entier, un compromis était impensable. Or, la construction et l’agrandissement du camp étaient ma tâche essentielle et devaient le rester au cours des années suivantes, même lorsque maintes autres besognes vinrent s’y ajouter. C’est à cette tâche que je vouais tout mon temps, toute ma pensée.

(p.186 – Auschwitz devient un camp d’extermination)

À plusieurs reprises, il est arrivé aux hommes du commando spécial de retrouver des parents parmi les cadavres ou parmi ceux qu’ils conduisaient dans les chambres à gaz. Cela les affectait visiblement, sans jamais donner lieu à un incident.

J’ai été moi-même témoin d’un cas semblable. En sortant un cadavre d’une chambre à gaz, un homme du commando spécial fit soudain un geste de surprise et s’arrêta pétrifié; mais au bout d’un bref instant, il rejoignit ses camarades en traînant le cadavre. Je m’adressai aussitôt au kapo pour lui demander de se renseigner sur ce qui était arrivé. J’appris ainsi que le Juif avait découvert la femme parmi les cadavres. Je l’observai encore pendant un bon moment, mais je ne remarquai rien de particulier : il continuait à traîner ses cadavres. Lorsque je revins au bout de quelque temps auprès du commando, je le vis installé à manger avec les autres, comme si rien n’était arrivé. Avait-il réussi à dominer son émotion ou était-il devenu indifférent à une telle tragédie.

Je me suis toujours demandé comment ces Juifs du Sonderkommando trouvaient en eux-mêmes la force nécessaire pour accomplir jour et nuit leur horrible besogne. Espéraient-ils qu’un miracle les sauverait, au seuil de la mort ? Ou étaient-ils devenus trop lâches, trop abrutis, après avoir vécu tant d’horreurs, pour mettre fin à leurs jours et pour échapper ainsi à leur atroce existence ? Bien que j’y aie souvent pensé je n’ai pas réussi à trouver l’explication à leur conduite.

(p.217 – Conclusion)

Aujourd’hui, je reconnais aussi que l’extermination des Juifs constituait une erreur, une erreur totale. C’est cet anéantissement en masse qui a attiré sur l’Allemagne la haine du monde entier. Il n’a été d’aucune utilité pour la cause antisémite, bien au contraire, il a permis à la juiverie de se rapprocher de son but final.

Quant à la direction de la Sécurité du Reich, ce n’était que l’organe d’exécution, le bras policier prolongé d’Himmler. Cette direction et les camps de concentration eux-mêmes n’étaient destinés qu’à servir la volonté d’Himmler et les intentions d’Adolf Hitler.

J’ai déjà amplement expliqué dans les pages précédentes l’origine des horreurs qui se sont produites dans les camps de concentration. Pour ma part, je ne les ai jamais approuvés. Je n’ai jamais maltraité un détenu; je n’en ai jamais tué un seul de mes propres mains. je n’ai jamais toléré des abus de mes subordonnés.

Et lorsque j’entends maintenant parler, au cours de l’interrogatoire, des tortures épouvantables qu’on a imposées aux détenus d’Auschwitz et d’autres camps, cela me donne le frisson. Je savais certes qu’à Auschwitz et d’autres camps les détenus étaient maltraités par les SS, par les employés civils et pour le moins autant, par leurs propres compagnons d’infortune. Je m’y suis opposé par tous les moyens à ma disposition. Mes efforts ont été inutiles. …

Quatrième de couverture

Dans sa première édition, en 1959, le Comité international d’Auschwitz présentait ainsi ce livre : « Rudolf Hoess a été pendu à Auschwitz en exécution du jugement du 2 avril 1947. C’est au cours de sa détention à la prison de Cracovie, et dans l’attente du procès, que l’ancien commandant du camp d’Auschwitz a rédigé cette autobiographie. […]

Conçu dans un but de justification personnelle, mais avec le souci d’atténuer la responsabilité de son auteur en colorant le mieux possible son comportement, celui de ses égaux et des grands chefs SS, ce document projette une lumière accablante sur la genèse et l’évolution de la « Solution finale’ et du système concentrationnaire. Ce « compte rendu sincère’ représente l’un des actes d’accusation les plus écrasants qu’il nous ait été donné de connaître contre le régime dont se réclame l’accusé, et au nom duquel il a sacrifié, comme ses pairs et supérieurs, des millions d’êtres humains en abdiquant sa propre humanité. »