Chantal Delsol et Myriam Revault d’Allonnes – Ainsi meurt la démocratie
Il s’agit d’un (pseudo) débat sur les raisons pourquoi la démocratie serait en train de mourir, présenté sous la forme d’un échange épistolaire.
Ce sont deux « grosses pointures » de la philosophie politique, quoique de mouvances politiques opposées. Ce serait un tort de leur attacher des étiquettes, puisqu’elles sont indépendantes, pensent par elles mêmes, mais je dirais que Chantal Delsol serait plutôt proche de la mouvance Conservatrice-Libérale tandis que Myriam Revault de la mouvance Progressiste. Ça permet de situer le type de vision de chacune.
Il ne s’agissait pas, bien entendu, d’une convaincre l’autre : toutes les deux ont déjà réfléchi sur le sujet pendant sûrement plus de 40 (voir 50) ans (l’une a 74 ans et l’autre 79), mais de donner à chacune l’opportunité de confronter ses opinions et de les présenter au lecteur. Ça change des livres qui ne présentent qu’un côté, qu’un des points de vue.
On ne peut pas dire qu’il y a eu un gagnant dans le débat, mais j’avoue avoir été plus convaincu par Chantal Delsol que par Myriam Revault.
Chantal Delsol a, tout au long de la discussion, présenté ses opinions et répondu à celles de Myriam Revault tandis que cette dernière, assez souvent, a envoyé des piques que j’ai estimé inutiles, parfois avec une certaine arrogance, auxquels Chantal Delsol ne s’est pas donné la peine de répondre.
Mais plus grave, Myriam a voulu mettre sous la plume de Chantal des propos que celle-ci n’a pas tenu, avec des arguments hors propos. Le plus criant paraît dans réponse de Myriam à la page 117 (voir citation). Ce n’est pas du tout les propos de Chantal Delsol. Développons !
Chantal Delsol cite le problème de ghettoïsation de certaines communautés d’immigrés. Je ne vais pas redévelopper, mais Chantal estime que c’est un réel problème mais dont il est quasiment interdit d’en parler à cause d’un certain « politiquement correct ». Or, Chantal estime que c’est bien que certains, dont Zemmour ou Le Pen, en parlent. Toutefois, Chantal ne dit pas partager leurs avis et leurs solutions, bien au contraire.
Myriam semble ne pas avoir compris les propos de Chantal et présente des arguments hors propos qui me semblent, peut-être, dénoncer un petit penchant antisémite.
Chantal n’a pas parlé des juifs. Il est sûr qu’il y a des juifs (cas particuliers) qui ne sont pas irréprochables, de la même façon qu’il y a aussi des français (cas particuliers), des musulmans (cas particuliers) et que sais-je d’autres… Mais je ne vois pas ce que l’affaire Dreyfus vient voir la dedans et, même, soulever des doutes sur cette affaire vieille de plus de 100 ans me semble plutôt relever du complotisme.
Sur l’inhumation des enfants Sandler, il faut tenir compte de la situation exceptionnelle : ils ont été assassinés par Mohamed Merah, un crime qui relève aussi bien du terrorisme et du antisémitisme. Je ne vois pas non plus de raison pour l’expression « indécrottable ». Et, pour finir, Myriam passe en silence le fait que la famille du terroriste Mohamed Merah voulait l’inhumer en Algérie et si cela n’a pas pu être comme ça c’est juste parce que la ville en Algérie l’a refusé.
Bref, ceci pour dire que j’ai trouvé l’argumentation de Chantal Delsol bien plus cohérente et intéressante que celle de Myriam Revault.
Citations
(p.11) Myriam Revault D’Allonnes
En mars 2020, lors de l’enquête menée par le Cevipof pour établissement du baromètre de la confiance politique 41 % des personnes interrogées adhéraient à la proposition selon laquelle « en démocratie rien n’avance, il vaudrait mieux moins de démocratie et plus d’efficacité. »
(p. 20)
Et vous avez raison de dire que toute note pensée politique, en Occident aujourd’hui fait l’éloge de la techno-politique. Cela est antidémocratique et marque bien la mise à mal des principes premiers. Et de plusieurs façons. Le propre de la démocratie est de considérer que le bien commun d’une société n’est pas une donnée certaine, scientifique mais une affaire d’opinion, de vision du monde, donc incertaine et toujours discutable. Si on part du principe, au contraire, que le bien commun est technique, fruit de la compétence, alors il n’y a qu’une décision possible (c’est le TINA de nos élites bruxelloises: There Is No Alternative). Dès lors, le gouvernement se change en gouvernance, ou gérance administrative, pour mettre en œuvre la seule « solution » possible.
(p. 73)
Chère Chantal,
Merci de votre réponse qui, malheureusement ne me satisfait guère, mais qui a au moins le mérite de mettre en évidence la profondeur de nos désaccords. Évidemment, nous pouvons toujours nous entendre sur l’idée que nous tenons à la démocratie, que nous la jugeons préférable à toute autre forme de société, mais il s’agit d’un consensus tellement vague sur un signifiant flottant qu’il ne nous avance pas à grand-chose.
(p.117) Myriam Revault D’Allonnes
Vous pensez que Zemmour ou autres Le Pen exagèrent dans la forme, mais qu’ils osent traiter des « vraies questions ». Leur « radicalité », leur « vulgarité », leur « démesure » font que la convenance nous interdit d’adhérer à leurs positions. Ils manquent vraiment de « manières » ! Malheureusement, vous n’êtes pas la seule à considérer qu’on peut faire bon usage de leurs propos. Ils parlent de ce dont il faut parler et surtout ils offrent des réponses siples en désignant le responsable de tous nos maux : l’immigré, le musulman, comme autrefois le juif.
D’ailleurs, le juif n’est pas si irréprochable, comme en témoignent les doutes qui subsistent sur l’innocence de Dreyfus ou la déplorable inhumation loin de notre territoire national de ces indécrottables étrangers qu’étaient les enfants Sandler.
Quatrième de couverture
Démocratie. Le mot court sur toutes les bouches, se jette au visage de l’adversaire à l’occasion des débats les plus insignifiants. L’exigence démocratique s’est enlisée et perdue dans les jeux politiciens, l’indifférence des paresses citoyennes, l’hostilité de ceux qui souhaitent sa disparition. Si le mot est vidé de son sens, la chose peut-elle encore survivre ?
Les deux philosophes Chantal Delsol et Myriam Revault d’Allonnes, tout en affirmant leurs profondes divergences sur ce thème d’actualité qui divise notre société, parviennent à dialoguer avec clarté et respect, selon les principes de notre collection « Disputatio ».