Johann Chapoutot – La rĂ©volution culturelle nazie

Ce livre est le recueil de plusieurs Ă©tudes de l’auteur autour de ce thĂšme : l’auteur le prĂ©cise en bas de page de chaque partie. Ainsi, on trouve quelques redits entre les diffĂ©rentes parties, mais qui ne sont pas gĂȘnants dans l’ensemble.

On retrouve ici la mĂȘme approche de Chapoutot dans d’autres livres, qui est celle prĂŽnĂ©e par des historiens tels Marc Bloch ou Jacques Le Goff : il ne s’agit pas juste d’Ă©numĂ©rer les faits, mais de les situer dans le temps, d’identifier le contexte et de les comprendre sans les juger. Ainsi, on voit Chapoutot traiter, autres les aspects historiques traditionnels, de la philosophie, de l’anthropologie et du droit.

Avec une telle approche l’auteur nous montre que le nazisme n’est pas juste le rĂ©sultat d’une idĂ©ologie dĂ©crite dans un livre haineux (Mein Kampf) Ă©crit par un abruti. Des armĂ©es d’intellectuels et de savants se sont mis au service du nazisme pour formaliser l’idĂ©ologie : juristes, Ă©conomistes, anthropologues, mĂ©decins, ingĂ©nieurs, …

Si on ne tient pas compte de la rĂ©-Ă©criture ou mauvaise interprĂ©tation (histoire, droit, philosophie, …), un dĂ©tournement de la philosophie de Platon et Kant, cela reste un fond idĂ©ologique cohĂ©rent. Le gros problĂšme, Ă  mon avis, est la cohabitation de cette idĂ©ologie, mĂȘme cohĂ©rente, avec le reste du l’humanitĂ©.

Lorsqu’on lit ce livre on comprend que les idĂ©es derriĂšre, Ă  plus long terme, vont bien plus loin que ce qu’on a vu pendant la guerre.

Bien sĂ»r, le droit tel qu’il existait, Ă©tait un droit romain, donc judĂ©o-chrĂ©tien, donc d’origine juive, Ă©tablit dans l’idĂ©e de privilĂ©gier les juifs.

La propriĂ©tĂ© ne doit pas ĂȘtre individuelle, mais de la communautĂ©. On a tous les droits tant qu’on l’utilise pour la faire produit.

Le but de la communautĂ© est la production biologique : des aliments et des enfants. Ainsi, la monogamie (autre absurditĂ© crĂ©Ă©e par les judĂ©o-chrĂ©tiens – encore les juifs) est Ă  proscrire. Les mĂąles peuvent avoir autant de femmes qu’ils veulent, dans le but de procrĂ©ation, tandis que les femmes doivent s’occuper des enfants. Ça a Ă©tĂ© pratiquĂ© mĂȘme par les hauts dignitaires du pouvoir nazi : Bormann, Himmler, Goebbels, …

Le traitĂ© de Versailles, considĂ©rĂ© comme illĂ©gal par les juristes nazis, a mis l’Allemagne en grande difficultĂ©. Plusieurs juristes nazis ont publiĂ© des nombreux articles dĂ©nonçant cela. Par ailleurs, les alliĂ©s ont bien reconnu que la duretĂ© de ce traitĂ© n’a probablement Ă©tĂ© une bonne idĂ©e et les contraintes imposĂ©es Ă  l’Allemagne Ă  la fin de la guerre ont Ă©tĂ© bien moins sĂ©vĂšres.

Tous ces aspects, et mĂȘme plus, ont Ă©tĂ© traitĂ©s en profondeur dans ce livre avec beaucoup de rĂ©fĂ©rences bibliographiques.

Ce qui est parfois dommage dans les livres de Chapoutot, et ceux de Christian Ingrao aussi, est la prĂ©sence de beaucoup de termes en allemand, sans la traduction qui va bien. C’est parfois pĂ©nible pour ceux qui comme moi comprennent parfaitement bien l’allemand, le chinois, l’arable, l’aramĂ©en et 36 autres langues. Mais on s’habitue et la qualitĂ© du texte ne me fait pas fuir cet auteur.

Citations

QuatriĂšme de couverture

Pour les nazis, la « culture » Ă©tait Ă  l’origine la simple transcription de la nature : on rĂ©vĂ©rait les arbres et les cours d’eau, on s’accouplait, se nourrissait et se battait comme tous les autres animaux, on dĂ©fendait sa horde et elle seule. La dĂ©naturation est intervenue quand les SĂ©mites se sont installĂ©s en GrĂšce, quand l’Ă©vangĂ©lisation a introduit le judĂ©o-christianisme, puis quand la RĂ©volution française a parachevĂ© ces constructions idĂ©ologiques absurdes (Ă©galitĂ©, compassion, abstraction du droit ?).

Pour sauver la race nordique-germanique, il fallait opĂ©rer une « rĂ©volution culturelle », retrouver le mode d’ĂȘtre des Anciens et faire Ă  nouveau coĂŻncider culture et nature. C’est en refondant ainsi le droit et la morale que l’homme germanique a cru pouvoir agir conformĂ©ment Ă  ce que commandait sa survie. GrĂące Ă  la rĂ©Ă©criture du droit et de la morale, il devenait lĂ©gal et moral de frapper et de tuer.

Avec ce recueil d’Ă©tudes, Johann Chapoutot parachĂšve et relie le projet de deux de ses livres prĂ©cĂ©dents, Le National-socialisme et l’AntiquitĂ© (2008) et La Loi du sang : penser et agir en nazi (2014). En approfondissant des points particuliers, comme la lecture du stoĂŻcisme et de Platon sous le IIIe Reich, l’usage de Kant et de son impĂ©ratif catĂ©gorique ou la rĂ©ception en Allemagne du droit romain, il montre comment s’est opĂ©rĂ©e la rĂ©Ă©criture de l’histoire de l’Occident et par quels canaux de telles idĂ©es sont parvenues aux acteurs des crimes nazis.