Johann Chapoutot – Comprendre le nazisme

Johann Chapoutot fait partie des historiens qui ont beaucoup étudié le nazisme. Mais sous un angle particulier, celui de comprendre.

Ce livre, sorti en 2018 est un recueil d’interviews, articles de revues ou journaux et conférences. Malgré quelques redits, inévitables dans ce type de texte, c’est un livre très intéressant puisqu’il donne une vue d’ensemble des travaux de Chapoutot dans ce domaine. Pour ceux qui n’ont lu que quelques livres, celui-ci établi la cohérence entre eux.

Rappelons ces textes principaux, dans l’ordre chronologique :

  • Le national-socialisme et l’antiquité – publié en 2008, c’est le contenu de sa thèse de doctorat. Ici les nazis cherchent les origines de la race aryenne qui, pour eux, vient des peuples nordiques, avec un « détour » en Grèce et Rome. Donc, ils s’approprient de ces cultures.
  • La loi du sang. Penser et agir en nazi – publié en 2014, c’est le contenu de sa thèse HDR (Habilitation à diriger des recherches). Il s’agit d’identifier les causes profondes, surtout liés à la race et à l’héritage de l’antiquité qui ont été inculqués aux Allemands.
  • La révolution culturelle nazie – publié en 2017. Ce livre complète les deux précédents. Il analyse le nazisme comme une révolution culturelle, ou plutôt un retour aux sources de la race aryenne, des us de leurs ancestraux tels l’abolition de la monogamie imposée par les judéo-chrétiens, conception du droit comme étant ce qui est dans l’intérêt du peuple allemand, … Chapoutot démontre dans ce livre que les nazis n’étaient pas des barbares ignorants. Une bonne partie de cette révolution culturelle a été conçue par des universitaires qui ont souvent détourné des notions de droit ou de philosophie (Kant, en particulier Kant).

Les chapitres de ce livre couvrent surtout ces trois sujets accordant une cohérence à l’ensemble, surtout si on les a déjà lu. Il ne s’agit pas juste d’une répétition.

Un complément dans le même thème est Libres d’obéir – qui traite de l’application de méthodes de management de personnes après la guerre. On parle surtout de Reinhard Höhn, qui a continué ses activités jusqu’aux années 90.

Ce ne sont pas les seuls livres écrits par Chapoutot sur le nazisme. Il y en a d’autres, avant et aussi après.

Il n’est pas question, dans ces livres, des barbaries commises par les nazis, dans le sens où il ne rentre pas dans les détails des faits.. Johann Chapoutot prend de la hauteur et essaye de comprendre, dans ces trois livres, ce que c’est le nazisme et comment il a pu exister. Aussi, certaines parties sont analysées d’un point de vue philosophique, surtout dans le troisième.

A retenir un chapitre « Peut-on faire l’histoire du nazisme ?« . Chapoutot explique, dans ce chapitre, explique l’intérêt de continuer à étudier le nazisme mais surtout il explique le métier et la démarche de l’historien, fondée sur les travaux de Marc Bloch : établir la chronologie des faits, les contextualiser et les comprendre sans les juger. Par ailleurs, cette conférence se trouve sur youtube, que je recommande fortement à ceux qui pourraient s’intéresser.

Citations

(p. 9)

Pourquoi « faire » de l’histoire ? L’étudier, certes, mais aussi en lire, en regarder, en écouter ?
Une quête de science et de connaissance nous y pousse, cette fameuse et intrigante libido sciendi que pointait Augustin et quoi nous conduit à traquer l’intéressant dans le quotidien, le dissonant dans la répétition, l’improbable dans le banal. Évoquons également un désir de d’exotisme dans l’espace et dans le temps, la recherche d’un divertissement pascalien certainement, et intelligent, sans aucun doute. Enfin, la volonté de comprendre, et de comprendre dans et par le temps – le temps, cette quatrième dimension qui complète notre aperception des choses. De fait, la « demande sociale » d’Histoire est forte, singulièrement en France.

(p. 161)

Jean Lebrun : Vous avez publié nombre de livres sur le nazisme, le dernier chez Gallimard, La Loi du Sang. On vous y voit à la critique rongeuse des souries, des centaines et des centaines d’articles, des centaines et des centaines d’ouvrages que vous êtes bien le seul de votre génération, au moins en France, à lire, imprimées en caractères gothiques de surcroît.

Johann Chapoutot : Une littérature grise, une littérature abandonnée que l’on n’a jamais prise au sérieux parce que, quand on étudie le nazisme ou d’autres phénomènes violents, comme le fascisme par exemple, on part du principe que l’on a affaire à des brutes aux cheveux ras et aux idées tout aussi courtes et que, dès lors, leur production intellectuelle est inexistante. Or cette production intellectuelle est une structure et peut être parfois, d’ailleurs, une matrice. En tout cas, un indice.

(p.396)

Il y a une réalité organique, le peuple déterminé par le sang, et tout prouve que nous avons raison, disent les nazis. La loi de la nature prévaut et la science le prouve. La refondation du droit est spectaculaire de ce point de vue. Hans Frank, un éminent juriste, qui sera gouverneur général de Pologne, a une formule très simple : « Le droit, c’est ce qui sert le peuple allemand. » On voit quel potentiel de légitimation contient cette formule : est légal et moral tout acte qui sert la race… Abattre un enfant au bord d’une fosse est « juste » si cela sert le peuple allemand.

Quatrième de couverture

La radicalité du mal que le nazisme représente, le nombre insensé de ses victimes et la violence hors norme de ses bourreaux interrogent sans fin voire engendrent une forme de scepticisme.

Comment les nazis se sont-ils persuadés que la vie sociale et politique reposait sur la « biologie »? Comment les barrières mentales ont-elles si facilement sauté? Comment l’antijudaïsme ancien s’est-il mué en Allemagne en un antisémitisme exterminateur? Comment les meilleurs juristes en sont-ils venus à récuser la morale et le droit communs? Comment une part de la population a-t-elle fini par croire qu’elle vivait un moment particulier de malheur et de détresse qu’il fallait conjurer de toute urgence? En somme, par quelle « révolution culturelle » des hommes ordinaires sont-ils devenus des barbares?

Professeur d’Histoire contemporaine à la Sorbonne, où il a été élu à l’âge de 35 ans, Johann Chapoutot est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages de référence traduits en une dizaine de langues, parmi lesquels on peut citer La Loi du sang. Penser et agir en nazi (2014) et La Révolution culturelle nazie (2017).