Brigitte Chamak – Controverses sur l’autisme : Décrypter pour dépasser les antagonismes.
Il faut le dire tout de suite, ce livre est plus dans le domaine de la sociologie que de la psychologie de l’autisme. L’auteur a une double formation (niveau doctorat) en neurobiologie et sociologie des sciences, ce qui lui permet d’être à l’aise dans les deux côtés, même si son intérêt est plutôt du côté sociologie et historique.
Si l’on cherche des informations sur comment soigner un individu autiste, ce n’est pas ici. Par contre ce livre permet comprendre les difficultés de l’autisme et des polémiques qui l’entourent, indispensable pour ceux qui ont un autiste dans la famille.
La première vient de l’autisme que l’on nomme actuellement par « Troubles du spectre autistique ». Le mot « spectre » veut bien indiquer qu’il n’y a pas qu’une variante mais plusieurs avec quelques symptômes communs. Le mot « troubles », au pluriel, le confirme. Donc, le mot autisme est déjà un « fourre-tout ». En même temps, l’utilisation du mot « troubles » au lieu de dire clairement « pathologie » ou « handicap » a des répercussions sur le soutien que l’on peut espérer des pouvoirs publiques.
S’il n’y avait que ça… A cela s’ajoutent des difficultés humaines : politiques, idéologiques, lobbies, sociales, controverses sur les thérapies, querelles entre chapelles (psychologues vs psychanalystes vs psychiatres vs thérapies alternatives), …
L’auteur analyse longuement une de ces controverses : le « packing ». Il s’agit d’envelopper l’autiste dans une couverture humide ou fraîche et le réchauffer doucement. L’auteur a recueilli des nombreux témoignages favorables mais on trouve sur internet des posts dans les deux sens. Il s’agit d’un protocole assez bien défini qui s’applique surtout à des situations graves d’autisme tels l’automutilation et qui a besoin du consentement de l’autiste ou de la famille.
A ces controverses s’ajoute la « querelle de chapelles » : les psychologues comportementalistes, les psychiatres, psychanalystes, etc… A tel point qu’un député du Pas-de-Calais a déposé en 2016 un projet de loi voulant interdire toute pratique psychanalytique dans le traitement de l’autisme (p. 83). Or, d’une part il n’y a qu’une seule forme d’autisme et, d’autre part, il est connu que la meilleure pratique dans le domaine générique de la psychologie ou psychiatrie dépend du sujet et parfois même du praticien. D’ailleurs, malgré la mauvaise image de la psychanalyse, rien ne prouve scientifiquement, pour l’instant, que ces pratiques soient absolument nuisibles ou inutiles. Tout ça me semble être plus une querelle de points de vue qu’une démarche objective.
Si nombreux sont les cas nécessitant une structure d’accueil (dont le nombre est largement insuffisant) il semblerait que le pouvoir public encourage les familles à s’en occuper elles mêmes. Cela pose souvent des problèmes puisque en général un des parents doit arrêter de travailler pour s’occuper de son enfant avec, comme conséquence, baisse des revenus. Il y a des associations qui se forment parfois gérées par des personnalités avec pouvoir politique – ça aide pour faire du lobbying; C’est peut-être bien mais souvent elles se concentrent sur une solution unique à tout le spectre autistique.
Vue ce contexte chaotique, les familles s’informent, se renseignent et se forment à la pratique de possibles thérapies avec plus ou moins de succès ou, alors, envoient leurs enfants en Belgique. Mais les cas les plus difficiles, souvent dans des familles avec moins de ressources, restent au bord de la route.
Le film « Rain Man » est intéressant mais il donne un image particulier qui n’est pas généralisable à l’ensemble des autistes et cela n’aide pas. On voit aussi dans les rayons des librairies beaucoup de livres sur le sujet, dont une bonne partie est encourageante.
Personnellement, j’ai trouve ce livre très intéressant même si je n’ai pas d’autiste dans mon entourage, peut-être un aspie (Asperger) moyennement proche. Mais ça… c’est une toute autre affaire.
J’ai, plusieurs titres sur le autisme dans ma pile à lire, dont un avec le titre « Autismes, la clinique au délà des polémiques », écrit par plusieurs praticiens. Je pense le lire dans peu de temps. Et je découvrirai, très certainement, un autre point de vue me permettant d’aller plus loin. Je verrai les autres après.
Citations
(p. 8)
La difficulté à distinguer entre connaissances scientifiques stabilisées et études ou informations relevant du marketing ou d’intérêts particuliers a toujours existé, mais l’ampleur du phénomène s’est accrue avec la diffusion d’informations plus rapide via Internet. Faire le tri relève de la gageure. Le milieu de la recherche, comme le reste de la société, s’est transformé. En redéfinissant l’université comme moyen de développement économique, l’État a contribué à faire disparaître les bases de l’opposition entre intérêt public et intérêt privé, ce qui a exacerbé les sources de conflits d’intérêt, surtout lorsque les chercheurs créent leur propre entreprise et déposent des brevets. Dans le domaine biomédical, le pourcentage d’articles scientifiques rétractés pour cause de fraude a augmenté d’un facteur dix depuis 1975. Plusieurs études révèlent que la plupart des résultats de recherche publiés ne peuvent être reproduits.
(p. 15)
Pour Leo Kanner, l’autisme était une pathologie sévère caractérisée par une inaptitude à établir des relations normales avec les personnes, un évitement du regard, des troubles du langage, des stéréotypes et la peur du changement. Depuis les années 1980, l’élargissement des critères diagnostiques des troubles autistiques introduit dans les classifications américaines (DSM) et internationales (CIM) a eu des conséquences majeures, en définissant l’autisme non plus comme une psychose mais comme un trouble envahissant du développement (TED), incluant aussi bien des sujets sans langage que des personnes avec des capacités langagières mais des difficultés dans les interactions sociales et des intérêts restreints.
…
Dans les années 2000, les troubles envahissants du développement ont été rebaptisés « troubles du spectre autistique » (TSA) qui concernent aussi bien des personnes avec déficience intellectuelle que des personnes avec langage et des capacités cognitives importantes.
(p. 100) La notion de neurodiversité
L’extension de la définition de l’autisme a eu pour conséquences, d’une part, l’augmentation du nombre d’autistes diagnostiqués et, d’autre part, une visibilité médiatique accrue de l’autisme, notamment par la multiplication des témoignages de personnes autistes et de films centrés sur des personnages autistes. Ces personnes qui présentent en haut niveau de fonctionnement cognitif s’expriment de plus en plus dans les espaces publics pour critiquer à la fois la psychanalyse et les méthodes comportementales, et revendiquant souvent l’insertion professionnelle ordinaire. Un nouveau mouvement social a émergé redéfinissant l’autisme comme une différence. Un nouveau terme, la « neurodiversité », est apparu, faisant référence à un fonctionnement atypique du système nerveux, pour réclamer que cette diversité soit reconnue et acceptée. Les films et les séries participent de ce mouvement en se focalisant sur les autistes avec langage qui ont des compétences particulières. Le film « Rain Man » a largement contribué à transformer les représentations de l’autisme et suscité l’intérêt du grand public pour un trouble autrefois synonyme de déficience. Ce ne sont pas seulement les représentations du grand public qui ont été modifiés mais aussi celles des personnes autistes elles-mêmes, illustrant ainsi les effets de « looping » proposés par Ian Hacking. Les nouvelles représentations qui visent à dé-stigmatiser l’autisme permettent à certaines personnes de réinterpréter leur vie avec une nouvelle grille de lecture, surtout depuis que le paradigme de la neurodiversité s’est propagé. Mais pour les parents dont l’enfant ne présente pas les compétences exceptionnelles décrites dans les films, les séries télévisées ou les documentaires, la souffrance en est décuplée et les difficultés à trouver des structures d’accueil s’en trouvent accrues. L’hétérogénéité de ce qui est nommé « autisme » aujourd’hui conduit à une confusion qui dessert les personnes les plus sévèrement touchées et leurs familles.
Quatrième de couverture
Avec la visibilité médiatique de l’autisme, les controverses et polémiques se sont multipliées, révélant des conflits idéologiques, épistémologiques, éthiques, économiques et pratiques. À partir d’une méthodologie scientifique, Brigitte Chamak les analyse et montre qu’elles illustrent le décalage entre les connaissances scientifiques stabilisées et les informations tronquées relevant du marketing ou d’intérêts particuliers, entre les revendications des mouvements associatifs les plus médiatisés et les besoins des familles de milieu plus modeste.
L’auteur étudie les transformations à l’oeuvre dans les représentations et les définitions de l’autisme et leurs conséquences en matière de santé mentale, de psychiatrie mais aussi de traitements, de méthodes d’intervention et de modes d’éducation. À partir des résultats de ses travaux,menés depuis vingt ans et condensés dans cet ouvrage, elle développe notamment la polémique concernant le packing qui, sous la pression de certaines associations de parents, a donné lieu en 2016 à une interdiction.
Au-delà de la question de l’autisme, son analyse est révélatrice d’orientations sociétales et politiques plus générales, comme l’envahissement des secteurs de la santé et du médico-social par les outils du management qui prônent une standardisation des pratiques, des méthodes et des recherches.