Jérôme Mathis – Combien vaut une vie ?
J’ai trouvé ce livre référencé dans un article de blog assez intéressant : « Les politiques publiques doivent-elles sauver des vies ou des années de vie en plus ?« par François Lévèque et Émile Quinet. Jérôme Mathis est professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine.
On a l’habitude, par le côté humaniste, de penser que la « vie n’a pas de prix ». Dans certaines religions on apprend que seul Dieu a le droit d’enlever la vie à quelqu’un. Donc, c’est sacré et aucun montant ne pourrait être associé à une vie.
Et pourtant, nous voyons, tout le temps, une « valeur être attribuée à une vie ». Bien sûr, on ne peut pas acheter une vie de quelqu’un : c’est illégal et immoral.
En cas d’accidents, ou de meurtres, la justice peut attribuer une somme à la famille de la victime. Les compagnies d’assurance ajoutent très souvent un montant à la prime en cas de décès de l’assuré (prêt pour acquisition de logement, par exemple). A chaque cas correspond un mode de calcul différent et cela dépend aussi du pays.
La notion de « valeur statistique de la vie » est souvent utilisée dans les décisions d’investissements. Il s’agit d’une valeur statistique reflétant la diminution d’un risque individuel (non identifié) de décès qui résulte d’une politique publique. Ça permet, par exemple, de définir le montant maximal que l’on peut accorder à un projet pour assurer la sécurité avec risque minimal.
Une autre situation est celle de la décision de qui sauver. Il y a le cas d’école : le dilemme du tramway, mais il y a aussi le cas concret de la pandémie. Si on a un dernier lit en réanimation et on doit choisir à qui l’attribuer : une mère qui élevé seule son enfant ou une personne âgée de plus de 80 ans. Ça a concerné des cas réels, un choix cornélien. Il ne s’agit pas d’évaluer la valeur d’une vie, mais de choisir laquelle privilégier dans l’urgence en cas de ressources limitées.
Une partie assez détaillée est consacrée à la pandémie COVID-19. Il est question de comprendre les choix qui ont été faits dont certains, pas les meilleurs, ne peuvent pas être évaluées qu’à posteriori. En plus des contraintes liées à la pandémie elle même, le gouvernement a été parfois soumis à des polémiques liés plutôt à des idéologies, de la politique, de l’ignorance. Voir le cas du confinement limité aux personnes âgées ou à risque.
Il y a d’autres ouvrages et articles sur le sujet, l’auteur en cite plusieurs. Mais ce livre est très récent, actualisé et le sujet mérite une vraie réflexion. C’est, disons, un « l’état de l’art » très bien écrit et agréable à lire, avec bien plus de contenu que ce résumé.
Je classe les économistes dans trois catégories : ceux qui ne pensent qu’aux chiffres, les militants politiques ou idéologiques et les humanistes, ceux qui portent un regard sur un thème et se contentent de laisser les décisions aux vrais décideurs. Jérome Mathis semble faire partie ce cette dernière catégorie. D’autres comme lui sont Pierre-Noël Giraud et François Lévèque.
Citations
(p. 106)
Combien la société est-elle disposée à payer pour sauver un citoyen ?
Les économistes confrontés à ce type de question utilisent le concept de « valeur de la vie statistique ». Celui-ci définit la somme d’argent que la collectivité est prête à dépenser dans le but de réduire l’exposition au risque de chacun de ses membres.
Le terme « statistique » indique que la mesure concerne un individu non identifié. Cette distinction entre « vie identifiée » et « vie statistique » s’illustre par la plus grande facilité avec laquelle des fonds peuvent être collectés auprès du grand public pour prolonger une vie identifiée plutôt qu’anonyme. Comme le cas d’une petite fille dont on présente des photographies, par exemple sur les réseaux sociaux, pour rassembler les fonds nécessaires à sa thérapie. L’élan de générosité populaire sera vraisemblablement plus vif qu’avec une cagnotte visant à financer une campagne de prévention contre les défenestrations accidentelles susceptible de sauver plusieurs enfants en bas âge, mais non encore identifiés.
(p. 165)
La santé n’a pas de prix, mais elle a un coût, que très peu de Français connaissent. Celui d’une journée en réanimation et en soins intensifs s’élève à plus de 3000 euros. Une journée de chirurgie ambulatoire avoisine les 2000 euros, la journée en pédiatrie et obstétrique coûte plus de 1300 euros, et celle en gériatrie dépasse les 600 euros. Notre pays consacre 11,3 % de son PIB aux dépenses courantes de santé (le taux le plus élevé de l’Union européenne). Soit un déboursement annuel de plus de 3700 euros par habitant.
Du fait d’une couverture généreuse, mais opaque, les Français ne se sentent généralement pas concernés par le coût réel des traitements dont ils bénéficient tout au long de leur vie. Cette opacité sera levée à compter de 2022, par application d’un décret qui stipule qu’à toute sortie d’un établissement de santé le patient se fera délivrer un document mentionnant les divers frais pris en charge par les tiers (régime obligatoire d’assurance maladie et organisme d’assurance maladie complémentaire).
(p. 211)
La France aurait-elle pu adopter un confinement ciblé ?
Les retraités représentent un quart de la population française et presque un tiers des électeurs. Il aurait été politiquement épineux de leur infliger un confinement spécifique. L’idée de prolonger le confinement pour les plus de 65 ans après le 11 mai 2020 a bien été avancée au sein des cabinets ministériels, mais face à la montée en puissance de la polémique autour de ce sujet le président Macron écarte officiellement cette option à la mi-avril. En septembre 2020, il affirme à nouveau qu’il est hors de question de confiner spécifiquement les seniors.
La raison pour laquelle les retraités commençaient à exprimer une colère, lorsque la rumeur d’un maintien de confinement à leur égard se répandait au printemps 2020, est qu’ils se sentaient victimes d’une injustice.
(p. 256)
Dans la France rurale du XIXe, la personne âgée qui pendant quatre-vingt ans a vu comment se déroulait l’artisanat, la météo ou la vie des champs avait des choses très précieuses à dire pour la communauté. Il en est, aujourd’hui encore, de nombreuses contrées isolées d’Afrique subsaharienne ou d’Amérique du Sud. Les doyens sont les détenteurs d’un savoir transmis à l’oral. Ils sont les garants de la mémoire ancestrale et connaissent mieux que les autres les plantes qui soignent, les crues des fleuves et la célébration des rites. « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est toute une bibliothèque qui brûle », écrivait l’ethnologue malien Amadou Hampâté Ba.
Il est donc fort à parier qu’à choisir entre sauver un jeune ou un vieux, certaines de ces sociétés opteraient pour une sélection contraire à la nôtre (comme celui de la France vis-à-vis des résidents des Ehpad durant l’épidémie du Covid-19).
ouir l’Occident, les aînés sont moins précieux que dans le passé. En cause notamment, l’accès immédiat à la plus grande bibliothèque du monde sur internet et l’accélération de l’obsolescence des savoirs. Si, autrefois, le témoignage d’une personne âgée était riche d’enseignement dans tous les domaines, de nos jours personne n’est disposé à écouter un senior qui annonce : « Je vais vous apprendre ce qu’était l’informatique il y a quarante ans ».
(p.290)
Dans la gestion des risques, notre société est prise en étau. D’un côté, les citoyens exigent une meilleure garantie de leur sécurité (aérienne, environnementale, intérieure, nationale, nucléaire, professionnelle, routière, sanitaire…). Ils entendent bénéficier d’une vie plus longue et moins risquée. De l’autre, les décideurs doivent trancher sur des questions auxquelles la population refuse d’être confrontée. L’absence de débat public met en péril le fondement démocratique des politiques retenues. De plus, le manque d’harmonisation des critères utilisés entrave la cohérence de cette gestion à l’échelle nationale.
Cet étau peut être desserré de deux manières. La première est de freiner les exigences citoyennes. La seconde est d’inviter à lever le tabou sur le rapport entre la vie et l’argent. Cet ouvrage vise la seconde approche. Il ambitionne de participer au travail de pédagogie nécessaire pour l’adoption de critères économiques transparents en matière de prévention des risques, susceptibles de nourrir des prises de décision démocratiques et rationnelles.
Table de Matières
- Introduction
- Le prix de la vie devant les tribunaux
- L’indemnisation des victimes par l’État
- La gestion des risques par l’analyse coût-avantage
- La valeur de la vie pour le ministère de la Santé
- Différentes vies ont-elles différentes valeurs ?
- Conclusion générale
Quatrième de couverture
«Mais la vie n’a pas de prix!» est la première réponse communément obtenue des citoyens interrogés sur la valeur de la vie. L’opinion publique fait du lien entre l’argent et la vie un sujet tabou. Or, ce tabou nous coûte cher, alerte Jérôme Mathis, tant du point de vue économique qu’humain. La France en aurait d’ailleurs payé le prix fort avec la crise du Covid-19.
Pour l’auteur, le temps est venu de briser ce tabou et d’attribuer une valeur transparente à la vie afin d’engager les Français dans une gestion plus cohérente de l’ensemble de leurs risques (alimentaire, écologique, industriel, nucléaire, sanitaire, technologique, terroriste…). Dans ce livre plein d’enseignements, découvrez combien la valeur de la vie diffère d’une administration française à une autre; pourquoi les tribunaux et le droit français sont inadaptés aux enjeux du XXIe siècle; quelle incidence a la réforme du prix du soin sur les pratiques hospitalières et le tri des patients; comment le point de vue des économistes chargés d’assigner un «prix» à la vie s’est transfiguré au cours des dernières décennies; et pourquoi il ne faut pas conférer la même valeur à toutes les vies dans la programmation des voitures sans conducteur, et plus généralement de l’intelligence artificielle et des robots à venir.
Combien vaut une vie ? montre que le temps est venu d’attribuer une valeur transparente à la vie afin d’engager la France dans une gestion plus cohérente de l’ensemble des risques auxquels sont exposés les citoyens (alimentaire, écologique, industriel, nucléaire, routier, sanitaire, technologique, terroriste, …)