Jérôme Mathis – La course au profit nuit-elle à l’intérêt commun ?
Ce livre fait, en principe, partie d’une série « La finance au cœur de nos vies ». C’est le premier tome, lu après le deuxième « Combien vaut une vie ? ».
L’auteur commence par raconter ce qu’a fait un de ces requins de la spéculation financière : en septembre 2015, Martin Shkreli a racheté les droits exclusifs de commercialisation du médicament Daraprim et a monté le prix, de 13,50 $ à 750 $. Un médicament utilisé pour soigner la toxoplasmose, une maladie potentiellement mortelle. C’est, en effet, un cas pathologique montrant jusqu’à quel point peut arriver la liberté. Mais est-ce la règle ou une exception ???
C’est le type de livre qui ne plaira pas à tous. L’auteur explique avec des très bons arguments (à mon avis et je partage parfaitement ces idées) le besoin de l’existence de l’argent de des libertés, et même de certaines inégalités.
Tout l’argumentaire est construit à partir de deux concepts fondamentaux : d’une part le besoin, disons psychologique, de chacun d’être motivé, d’être récompensé, que ce soit financièrement, par une reconnaissance ou par du pouvoir. Et, d’autre part, l’intérêt commun. Ces deux aspects, l’individuel et la collectif doivent être conciliés.
L’auteur explique qu’il est difficile, sinon impossible, cibler uniquement un des extrêmes, si on veut avoir une société stable. Certaines idéologies humanistes prêchent le partage complet des ressources, dans un supposé intérêt commun, mais ne voient pas que cela bride la motivation individuelle, avec des conséquences dans l’innovation et dans l’intérêt commun.
Un exemple intéressant est donné par l’auteur, avec trois personnages publics, pour montrer à la fois que les gens s’intéressent plus à comment les gens gagnent leur argent que comme ils le dépensent et contribuent à l’intérêt commun. L’impôt est une façon de contribuer à l’intérêt commun. Certains artistes (il cite Johnny Halliday et Charles Aznavour) ont fait fortune grâce à leurs travail et talent mais ont quitté la France pour ne pas payer moins d’impôts. Liliane Bettencourt a reçu sa fortune par héritage mais a resté vivre en France et était une très grande philanthrope. Il est vrai que Aznavour a aussi donné surtout à des œuvres arméniennes. Certains milliardaires américains, Bill Gates et Warren Buffet en tête, se sont engagés à dédier au moins la moitié de leur fortune à l’intérêt commun.
Finalement, ce sont les cas pathologiques, tels celui mentionné au début du livre, qui doivent être combattus.
Deux sujets très liés : la liberté, dans le sens libéralisme, et capitalisme, sujets polémiques et pointés du doit par la gauche, ne sont pas traités dans ce livre, mais on voit bien quelle est la position de l’auteur.
Un point qui m’a choqué, mais je savais déjà que c’est comme ça, c’est le poids qu’il donne à la finance par rapport à l’innovation. Bien sur que les inventeurs, les chercheurs, ceux qui ont une valeur intellectuelle assez élevée ont, peu de poids par rapport à ceux qui investissent et commercialisent les innovations. Ainsi, beaucoup de scientifiques partent tôt vers des carrières de management, finance, etc… Je trouve cela dommage. Je le savais déjà mais c’est dommage, et triste, de le trouver aussi longuement développé, et insisté, par un chercheur du domaine de la finance.
Le point négatif du livre est que je suis resté sur ma faim. Il reste des questions que l’auteur se pose lui aussi mais qui dit les répondre dans un tome à venir : politique monétaire, bitcoins, monnaies locales, … Mais ce livre a été écrit en 2017. Le deuxième tome, sorti en 2021, traite du la valeur de la vie. J’attends avec intérêt les prochaine tomes et j’espère qu’ils viendront.
Citations
(p. 21)
L’impasse sur l’encouragement pécuniaire explique également pourquoi les nations communistes finissent inexorablement par adopter un régime totalitaire. Une société qui ne parvient pas à inciter ses citoyens à œuvrer librement pour le bien commun n’a d’autre choix que les y contraindre. Vous ne pouvez pas avoir un artisan-boulanger à la fois libre de se rendre ou non à son travail et dont la rétribution ne dépend ni du nombre de pains qu’il parvient à écouler ni de leur qualité. Il en est de même de l’agriculteur dont le revenu ne résulterait aucunement de sa récolte. Les sociétés communistes n’ont donc d’autres possibilités que de faire usage de la force pour contraindre leurs citoyens dans leur activité de production. Quitte à envoyer certains devant le peloton d’exécution.
Pour le dire de manière encore plus tranchée, la récompense matérielle est à la société capitaliste ce qu’est la baïonnette à la société communiste. L’abolition des pratiques d’oppression au sein d’une nation communiste ne peut se traduire que par son éclatement, comme ce fut le cas en 1989 avec la chute du mur de Berlin, et en 1990-91 lors de la dissolution de l’Union soviétique.
Table de Matières
- Qu’est-ce que la finance ?
- Prologue
- Faut-il abolir les profits ? Le rôle de l’argent dans l’intérêt commun
- Pourquoi l’accès aux médicamentes est-il une question d’argent ?
- Quel est notre rapport à l’argent ?
- Pourquoi use-t’on de monnaie ?
- L’argent est-il devenu une dictature ?
- Conclusion
- Épilogue
- Mise en perspective politique
Quatrième de couverture
La finance bouleverse continuellement le monde qui nous entoure. Aux yeux de certains, elle nourrit la croissance et est source de progrès, tandis que pour d’autres, elle creuse les inégalités et détruit la planète. Indiscutablement, elle modifie la place de l’Homme dans la société et est en train de façonner le XXIe siècle.
Le premier tome de cette collection analyse le rôle exercé par l’argent au sein de notre société. Il répond à diverses questions. Faut-il proscrire la course aux profits ? Pourquoi l’accès aux médicaments est-il une question d’argent ? L’innovation peut-elle se passer des profits ? L’argent n’en vient-il pas jusqu’à perturber notre relation aux autres ? Voire à nous mêmes ? On dit des Français qu’ils entretiennent un rapport unique, et tabou, à l’argent et à l’enrichissement. Quelle est cette particularité culturelle ? Et comment l’expliquer ? L’argent est-il devenu une dictature ? Comment expliquer son effet psychologique, à la fois sur le plan social, mais aussi personnel ? Telles sont les interrogations auxquelles ce livre s’efforce de répondre de manière limpide.
« Un vrai plaisir de lecture! Jérôme Mathis montre qu’il n’est point besoin de sacrifier la rigueur et la réflexion pour rendre l’économie passionnante. J’ai passé un très bon moment à parcourir ce livre rempli d’exemples concrets et parlants. » Jean Tirole, prix Nobel d’Économie