David Le Breton – À corps perdu…

Ce livre fait partie d’une série : « Penser le sport ».

David Le Breton est un anthropologue dont le sujet de recherche est le « Corps » du point de vue de son domaine. Il a écrit des très nombreux livres dont les thèmes donnent une idée : les visages, le sourire, le rire, le silence, les tatouages, le transhumanisme, la marche, les émotions, … Bref, tout ce qui nous lie à cette carcasse qui nous porte et qui fait un avec nous. C’est un auteur que j’apprécie beaucoup.

La première partie de l’ouvrage, la plus longue, est le récit d’un entretien conduit par François Lyvonnet : on a une vue d’ensemble de ses travaux. C’est, bien sûr, une vue très réduite, mais c’est assez intéressante. Il arrive à parler, un petit peu, de sport, provoqué par l’interviewer. La deuxième partie, juste d’une dizaine de pages, est entièrement dédiée au sport.

Ceux qui ont déjà lu cet auteur auront l’impression du « déjà vu », au moins en partie. Les autres auront une vision d’ensemble de ses travaux et pourront aller piocher dans divers ouvrages qui sont, à mon avis, très intéressants.

Par contre, je ne peux ne pas commenter une partie de ce livre concernant les neurosciences, dont je ne suis pas du tout d’accord – voir citation de la page 19. Il va même à contester l’utilité des « sommes considérables allouées pour ces recherches » (gaspillage ???). Je ne pense pas non plus que, comme il le dit, les neuroscientifiques partagent son point de vue.

Voyons quelques arguments :

Lionel Naccache, dans le livre « L’Homme réseau-nable » montre comment comprendre le fonctionnement des neurones lors d’une crise d’épilepsie permet de comprendre le fonctionnement d’une société lors d’une campagne de diffusion de fausses nouvelles (fake-news). Donc, les neurosciences à l’aide de la sociologie.

Encore dans la même situation, on voit que comprendre comment fonctionne la communication entre les neurones lors d’une crise d’épilepsie – une communication désordonnée entre tous les neurones, permet de valider un médicament capable d’inhiber ces communications et mettre fin à la crise. Donc, les neurosciences à l’aide de la médecine et de la psychiatrie.

Aussi, lorsqu’il dit « ce n’est pas le cerveau qui pense », il me semble qu’il a tort. L’activité de réflexion se passe entièrement dans le cerveau et le contenu est enregistré aussi dans le cerveau mais, bien entendu, ce contenu fait référence à des choses qui se passent ailleurs.

On peut voir l’approche anthropologique comme une approche macroscopique tandis que l’approche des neurosciences serait une approche microscopique. D’autre part, l’anthropologie fait partie des sciences humaines tandis que les neurosciences sont à cheval entre les sciences exactes et les sciences médicales. Donc, des domaines complètement différents mais complémentaires.

Finalement, je vois dans la remarque de David Le Breton, une préoccupation avec le financement relatif des deux domaines de recherche. Et bien, tous les domaines de recherche ont ce problème, et cela n’a rien à voir avec ce que chaque domaine apporte à la connaissance.

C’est dommage !!! Je continue à m’intéresser par les écrits de David Le Breton mais à partir de maintenant les lirai avec une attention plus importante pour éviter les divagations hors sujet.

Citations

(p. 19)

Je suis extrêmement critique envers les neurosciences parce que ce n’est pas notre cerveau qui pense. Nous pensons à travers la totalité de notre corps, à partir de notre histoire personnelle, de notre appartenance sociale, culturelle, de notre appartenance de genre de notre singularité. Si je suis en train de lire, assis sur un banc, et que je songe à un souvenir de marche dans la forêt, cela éclaire des zones de mon cerveau, mais cela ne nous apprend rien du contenu de ma pensée.

Il y a une infinité de manières de penser à la forêt. Les neurosciences occultent la dimension du sens, la dimension des valeurs et confinent au fétichisme du cerveau. Des sommes considérables sont allouées pour ces recherches qui, somme toute, selon les neuroscientifiques eux-mêmes, ne nous apprennent pas grand-chose alors que la recherche sur le terrain des sciences sociales rencontre des vrais difficultés de mise en œuvre.

(p. 35)

Adieu au corps

Nous observons une pluralité des corps. D’innombrables visions du monde s’affrontent, coexistent, se métissent… Il y a en effet un salut par le corps que porte notamment cette tyrannie des apparences dans le monde d’aujourd’hui. Mais, en même temps, il y a une haine du corps, particulièrement chez les transhumanistes, mais aussi dans une frange technophile convaincue que le corps est obsolète, dépassé », qu’il est une sorte de fossile d’une vieille humanité qui n’en a plus pour longtemps. Le salut se manifeste à travers l’effacement du corps (cf. L’Adieu au corps, Métallié, 1999). On assiste à un discours de mépris à l’encontre du corps tenu par des scientifiques, notamment américains, souvent extrêmement puritains, qui ne supportent pas la limite. Ils sont dans une haine du désir, pour reprendre un titre de Daniel Sibony. Ils veulent absolument tout contrôler, canaliser. Ce qui dépasse, déborde, excède leur est insupportable. Ils ambitionnent ni plus ni moins de maîtriser le monde pour atteindre l’immortalité, la santé parfaite, en téléchargeant nos esprits sur des supports informatiques, en reconstruisant nos corps à l’aide de prothèses jusqu’à l' »homme cyborg ». On est donc bien dans la haine du corps. Le corps est le lieu de la mort, de la maladie, le vieillissement. Voilà la pensée de ces technoprophètes masculins. Il n’y a pratiquement pas de femmes dans le transhumanisme. Ce courant de pensée est incroyablement genré. C’est un discours masculin, un discours de maîtrise et de domination.

Quatrième de couverture

« Supprimons le corps, nous supprimerons la mort, la maladie, le vieillissement. Voila pensée des technoprophètes. (…) La technique devient une religiosité, un technoprophétisme, une voie de salut pour délivrer l’homme de ses anciennes limites, posées désormais comme des pesanteurs. Exigence d’une liberté que plus rien ne borne sinon le désir, et surtout pas la responsabilité. Mais dans le contexte social du technocapitalisme où il importe toujours d’augmenter les performances dans l’indifférence aux autres, en aucun cas il ne s’agit d’augmenter le goût de vivre ».

Le sportif de haut niveau est-il cet « extrême contemporain » condamné à voir disparaître son propre corps par épuisement à vouloir être à la hauteur des performances et des innovations techniques. L’homme sensible doit-il céder et s’hybrider à la machine, à l’inerte, pour satisfaire aux performances physiques attendues sur les stades ? Charge à l’exosquelette de battre les successeurs d’Usain Bolt ?