Traudl Junge – Dans la tanière du loup

Un livre très intéressant. Traudl Junge (née Gertraud Humps) a été, pendant deux ans (1943-1945) une des secrétaires de Adolf Hitler et, dans ce livre, témoigne de ce que c’était la cohabitation avec lui.

Le livre a été organisé par Melissa Müller. La partie principale, et centrale, est le récit de la période où Traudl a travaillé pour Hitler. Cette partie a été écrite en 1947, mais jamais publié. Les deux autres parties, initiale et finale ont été écrites par Melissa Müller complètent la biographie de Traubl Jugen, avant et après l’ère du nazisme.

Mise à part la période nazie, il n’y a rien de vraiment spécial dans sa vie. Son père était un bohème opportuniste qui, ayant perdu son emploi, s’est séparé de sa femme pas longtemps après la naissance de Traudl. Il s’est engagé dans le parti nazi juste après et a même participé au putsch de 1023. Elle est restée plus proche de sa mère. Puis, elle rêvait d’avoir un métier dans la danse. Puis la guerre est arrivée et elle a du chercher du travail. Après quelques emplois peu satisfaisants dans le privé elle a fini, par des relations, à trouver un emploi de secrétaire dans la Chancellerie du Reich. Et a fini par être sélectionnée pour devenir secrétaire du Führer. Elle n’était pas la secrétaire la plus proche de Hitler : elle était chargée de transcrire certaines de ses dictées ou de traiter quelques demandes administratives.

Ce qui est intéressant dans ce livre n’est pas la vie de Traudl mais ce qu’on apprend de la vie privée de Hitler et ce que savaient des personnes telles Traudl.

A l’extérieur, les Allemands savaient ce qui le Ministère de la Propaganda diffusait et quelques bribes d’information racontées par les militaires qui venaient chez eux en permission. C’est assez bien décrit dans « Nous ne savions pas » de Peter Longerich. Dans l’entourage de Hitler, c’était autre chose. Ils vivaient en « vase clos », une sorte de cloisonnement. Hitler se réunissait quasiment tous les jours avec les dignitaires, mais les secrétaires et autres personnels administratifs ne participaient pas et ne connaissaient pas le contenu des discussions. Par contre, la plupart, dont les secrétaires ou les aides de camp participaient aux repas du Führer et la politique et la guerre n’étaient jamais des sujets de conversation. Hitler se montrait très aimable, sensible vis à vis de ses proches collaborateurs. Ce n’est qu’à partir du mois d’août 1944 que le contexte a commencé à changer et s’empirer, jusqu’au moment où ils se sont terrés dans le bunker. Un huis clos à rendre fou qui a pris fin avec le suicide de Hitler et Eva Braun.

Sous la pression de Hitler, Traudl s’est mariée avec Hans Junge, officier SS et garde de corps de aide de Hitler, en juin 1943, mais il est parti au front, à sa demande, juste après le mariage. Il a été tué en Normandie en août 1944. Ils n’ont quasiment eu une vie de couple. Hnns se méfiait beaucoup de Hitler et il l’a dit à Traudl, mais il ne s’appuyait pas sur des faits : c’était juste une impression.

Selon Traudl, ce n’était qu’à la fin de la guerre qu’elle a pu se rendre compte du mal que c’était le national-socialisme. Et avant la guerre, elle ne s’intéressait pas particulièrement à ce qui se passait : c’était une jeune plus préoccupée avec ses rêves.

Finalement, c’est un livre très intéressant. Comme dans beaucoup de domaines, que ce soit dans l’histoire ou dans les sciences, on apprend beaucoup lorsqu’on s’intéresse aux personnes.

Citations

(p. 11)

Ce livre n’est pas une justification tardive. Ni una auto-accusation. Je ne veux pas non plus qu’il soit compris comme ne confession. Il s’agit plutôt d’une tentative pour me réconcilier, non pas avec mon entourage, mais avec moi-même.

(p. 123)

Une fois, la fille de Hoffmann, l’épouse de Baldur von Schirach, se joignit à nous. C’était une Viennoise mignone et naturelle, qui pouvait converser de manière charmante, mais qui dut très vite interrompre sa visite, car elle avait provoqué une situation très désagréable pendant le thé. Je n’ai pas vécu moi-même la scène, mais Hans Junge me l’a racontée. Alors que Hitler était assis avec ses hôtes devant la cheminée, elle dit tout à coup : « Mein Führer, j’ai vu récemment à Amsterdam un train de juifs déportés. C’est horrible de voir à quoi ressemblent ces gens, ils sont sûrement très mal traités. Savez vous cela, et le permettez-cous ? ?  » Il s’ensuivit un silence pénible. Hitler se leva peu après, prit congé et se retira. Le lendemain, Mme von Schirach repartit pour Vienne, et il ne fut pas fait la moindre allusion à l’incident. Elle avait apparemment outrepassé ses droits en tant qu’invitée et n’avait pas rempli son devoir de distraire Hitler.

(p. 150)

Une fois, alors que nous reparlions du couple et du mariage, j’ai demandé ! « Mein Führer, pourquoi ne vous êtes-vous pas marié ? » Je savais pourtant qu’il aimait bien susciter des mariages. Sa réponse fut assez déconcertante : « Je ne serait pas un bon père de famille, et j’estime irresponsable de fonder une famille si je ne peux me consacrer suffisamment à ma femme. Et puis, je n’aimerais pas avoir d’enfants. Je trouve que les descendants de génies sont la plupart du temps en situation très difficile dans le monde. On attend d’eux qu’ils aient la même envergure que leur ancêtre célèbre et on ne leur pardonne pas la moyenne. En outre, ils deviennent le plus souvent des crétins. »

Ce fut la première expression de sa mégalomanie à prendre vraiment au sérieux. Jusqu’à présent, j’avais bien parfois l’impression qu’il était mégalomane dans ses idées et son fanatisme mais sa personne était toujours restée en dehors du jeu. D’ordinaire, il soulignait plutôt : « Je suis un instrument du destin et je dois suivre le chemin sur lequel m’a placé une volonté supérieure. » Mais désormais, cela me gênait énormément qu’un homme se considère lui-même comme un génie.

Quatrième de couverture

Traudl Junge a vingt-deux ans lorsqu’elle entre comme secrétaire au service d’Adolf Hitler. De 1942 au suicide du Führer dans son bunker, elle accompagne le maitre du IIIe Reich sans comprendre qu’elle participe à la plus monstrueuse des entreprises de destruction humaine.

Dans ce document saisissant, Traudl Junge livre avec sincérité l’histoire de son incompréhensible aveuglement. Par loyauté autant que par confort, elle deviendra l’incarnation de ce que Hannah Arendt nommait la « banalité du mal ». Est-on innocent quand on ne sait pas, ou est-on coupable de ne pas savoir ? L’honnêteté de son témoignage et son absence de complaisance avec elle-même contribuent à faire de son récit un document unique.