Paul Aussaresses – Services Spéciaux – Algérie 1955-1957

Livre difficile à lire. Difficile aussi à commenter. Il y a les faits mais aussi ce que l’on peut déduire entre les lignes, qui n’est pas écrit.

Sorti en 2001, il est à l’origine de beaucoup de réactions. Tout d’abord le retrait de la Légion d’Honneur, décidée par Jacques Chirac.

Ensuite, de nombreuses publications, dont un documentaire signé Marie-Monique Robin : Escadrons de la mort, l’école française ». Puis un autre au Brésil : « A torture como arma de guerra : Da Argélia ao Brasil: como os militares franceses exportaram os esquadrões da morte e o terrorismo de estado » (La torture comme arme de guerre : De l’Algérie au Brésil : comment l’armée française a exporté les escadrons de la mort et le terrorisme d’État) par Leneide Duarte-Plon. Une lecture rapide de quelques points du premier m’ont montré quelques chiffres faux et une montée en épingle de quelque chose très banale. Le deuxième livre, j’ai lu une interview de l’auteur qui m’ont fait voire un complotisme avec des intentions idéologiques cachées. Je les commenterai lorsque je les aurai lu en entier.

Bon, revenons au livre du Général Aussaresses.

D’abord le contexte. A l’époque, on sortait de la deuxième guerre avec ses atrocités. Puis la défaite cuisante de la France en Indochine, avec des français massacrés. Puis la guerre d’indépendance de l’Algérie. Les militaires concernés par cette histoire on fait les trois guerres. De l’autre côté, il y avait le FLN et ses militants qui se battaient pour la libération de l’Algérie avec, souvent, des attentats qui n’épargnaient pas des civils algériens. Selon Aussaresses, l’armée française en Algérie avait des ordres de « liquider » le FLN. Encore, quelle que soit le terme employé, faut-il comprendre « liquider » le « FLN » y compris les « militants » ? Aussi, c’était le début de la guerre froide : si bien qu’il y avait des communistes parmi les militants du FLN, sa vocation n’était pas d’implanter le communisme en Algérie.

L’existence de torture a été connue depuis la sortie du livre « La question » de Henri Alleg, interdit en France à sa sortie. On en reviendra. De même, on sait que nombreux sont les anciens qui ont fait cette guerre et qui ne parlent pas, probablement par ce qu’ils ont vu ou dut faire.

Aussaresses arrive en Algérie avec le poste de capitaine pour servir sous les ordres du colonel Guy de Cockborne en tant que officier de renseignement.

La citation des pages 34-36 montre le « modus operandi » de Aussaresses mais, surtout, disent beaucoup de sa personnalité. Donc un jeune capitaine dans la trentaine d’années estime utile d’expliquer à son supérieur, un colonel, comment il traite les personnes qu’il interroge – torture puis assassinat si c’est quelqu’un lié au terrorisme – et pourquoi il s’attribue le droit de décider de la vie ou de la mort de l’interrogé. Selon lui, s’il le rend à la justice il sera libéré et s’il le libère il sera assassiné par le FLN et donc il vaut mieux l’éliminer lui-même. Ce serait, selon lui, des ordres des « hautes autorités de l’État », comme si lui, un capitaine, était au courant des directives de l’État mais pas son chef. C’est Aussaresses lui même qui l’écrit. Un « calife à la place du calife ». Aussaresses semble être un homme arrogant et trop sûr de lui pour décider tout seul de la vie ou de la mort des personnes à qui il a affaire.

La citation des pages 44-45 raconte le cas d’un « pied-noir » agressé, avec une hache, dans la rue par un musulman. Aussaresses décide de l’interroger. Puisqu’il ne parle pas, il passe à la torture et meurt sans dire quoi que ce soit. Le seul regret de Aussaresses est de ne pas réussir à le faire parler avant de mourir. Vraisemblablement Aussaresses n’a pas su déterminer s’il s’agissait d’un acte terroriste ou juste d’un différent entre deux personnes (ils se connaissaient).

Le reste du livre raconte une série de situations qui peuvent être comprises par le modus operandi de Aussaresses, tel que compris dans ces deux citations.

En janvier 1957, suite à des nombreux attentats commis par le FLN ciblant des civil algériens, il a été décidé une intervention de l’armée pour réduire cela. Cette tâche a été confiée au Général Massu qui prend Aussaresses et Roger Trinquier dans son état major.

Cette rencontre est très intéressante et j’aurais aimé savoir plus. Aussaresses ne parle quasiment pas de Trinquier dans ce livre, sauf au sujet d’une réunion qu’ils ont eu à trois, avec le Général Massu, sur quoi faire avec Larbi Ben H’Midi, la décision de l’éliminer. Je ne suis pas sûr qu’ils s’entendaient parfaitement au sujet de « torture » et « élimination physique » des arrêtés. Ce blanc dans le livre m’encourage encore plus à le croire. Roger Trinquier a publié « La guerre moderne », en 1961, où il dit que l’interrogatoire doit éviter de porter atteinte à l’intégrité physique et morale de l’interrogé, que des camps de prisonniers doivent être construits pour les interner et les libérer dès que la guerre révolutionnaire ou insurrectionnelle aura pris fin et que les abus seront jugés par les tribunaux militaires. Or, ceci est contraire à la pratique de Aussaresses. Reste à savoir si Trinquier pensait déjà ça ou si c’étaient des réflexions après coup.

Le Général Massu a publié, en 1971, « La guerre d’Algérie » où il admet qu’il y a eu de la tortura pratiqué par des personnels sous ses ordres. En 2001 il le confirme et dit que la torture n’était pas indispensable et a été même improductive. Cela suppose une autocritique. On ne voit pas cela dans le livre de Aussaresses, il reste « droit dans es bottes », sans aucune autocritique ou même réflexion sur le passé.

Au sujet de la torture… on sait que l’activité de renseignement est indispensable dans un conflit militaire, que ce soit une guerre conventionnelle ou pas, mais aussi dans les affaires criminels. Les individus capturés ne parlent que sous une certaine « pression ». A quel moment cette « pression » reste acceptable, Trinquier propose un critère. Aussaresses ne s’est pas senti concerné par des limites et a pratiqué une « pression sauvage ». Je vois Aussaresses comme un baroudeur, homme d’action pour qui tous ces affaires ne peuvent être résolus que par la force.

On peut imaginer une situation où cette limite pourrait être dépassée si cela servirait à sauver beaucoup de vies (c’est le dilemme du tramway [1]). Il n’y a pas de bonne réponse à cela. En tout état de cause, ce serait une exception et jamais une règle.

A la suite de la publication de ce livre, Jacques Chirac ordonne que la Légion d’Honneur lui soit retirée, que des sanctions disciplinaires lui soient appliquées et qu’il soit mis dans la deuxième section (punition administrative similaire à une dégradation lui interdisant, par exemple, de porter un uniforme militaire). Il a été poursuivi et condamné pour apologie de torture en temps de guerre. A la suite de ça, il a juste dit qu’il a été puni par ce qu’il a dit et pas par ce qu’il a fait. Cela fait croire qu’il n’a absolument rien compris et n’a pas évolué intellectuellement depuis.

Livre lourd à lire mais nécessaire pour comprendre cette époque, dont je connaissais peu. Une phase de notre histoire que je commence à m’informer en détail.

[1] Dilemme du tramway : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dilemme_du_tramway

Citations

(p. 34-36)

Par crainte de ces méthodes ou grâce à elles, les prisonniers se mirent à donner des explications très détaillées et même des noms grâce auxquels je procédait à des nouvelles arrestations.
Cette fois, avec la collaboration de la police, je fus amené à participer plus activement à ces interrogatoires « poussés » et il ne me sembla pas inutile d’en rendre compte au colonel de Cockborne qui se montra frileux.

  • Vous êtes sûr qu’il n’y a pas d’autres moyens pour faire parler les gens ? demanda-t-il avec gêne. Des moyens plus…
  • Plus rapides ?
  • Non, ce n’est pas ce que je voulais dire.
  • Je sais, mon colonel, vous vouliez dire : plus propres. Vous pensez que tout cela ne colle pas avec notre tradition humaniste.
  • En effet, je le pense.
  • Même si je partage ce point de vue, mon colonel, l’accomplissement de la mission que vous m’avez donnée m’oblige à ne pas raisonner en termes de morale mais du point de vue de l’efficacité. Le sang coule tous les jours. Pour l’instant, c’est surtout dans le bled. Demain, ça peut arriver dans la maison voisine.
  • Et que faites-vous de vos suspects, après ?
  • Après qu’il parle ?
  • Exactement.
  • S’ils ont un lien avec les crimes terroristes, je les abats.
  • Mais vous vous rendez compte que c’est l’ensemble du FLN qui est lié au terrorisme ?
  • Nous sommes d’accord.
  • Ce ne serait pas mieux de les remettre à la Justice, plutôt que de les exécuter ? On ne peut quand même pas flinguer tous les membres d’une organisation ! Ça devient dingue.
  • C’est pourtant ce que les plus hautes autorités de l’État ont décidé, mon colonel. La Justice ne veut pas avoir affaire au FLN, justement parce qu’ils deviennent trop nombreux, parce qu’on ne saurait pas où les mettre et parce qu’on ne peut pas guillotiner des centaines de personnes. La Justice est organisée selon un modèle correspondant à la métropole en temps de paix. Ici, nous sommes en Algérie et c’est une guerre qui commence. Vous vouliez un officier de renseignements ? Vous l’avez, mon colonel. Comme vous ne m’avez pas donné de consigne, j’ai dû me débrouiller. Une chose est claire : notre mission nous impose des résultats qui passent souvent pas la torture et les exécutions sommaires. Et, à mon avis, ce n’est qu’un début.
  • C’est une sale guerre. Je n’aime pas ça.

Le colonel de Cockborne s’était rembruni. Il savait que j’avais raison. Je compris qu’il ne resterait plus très longtemps en Algérie

(p. 44-45)

Un pied-noir qui se promenait dans la rue avait été abordé par un musulman. Ils se connaissaient bien. Pourtant, le musulman lui avait fendu le crâne à coups de hache. Alexandre Filiberti, le chef de la sûreté urbaine, s’était rendu au chevet du blessé qui lui avait soufflé à l’oreille le nom de l’agresseur.Le renseignement m’étant parvenu, nous l’avions presque aussitôt arrêté pour commencer à l’interroger. Je voulais absolument savoir si ces attentats étaient commandités par une organisation et quels en étaient les membres.

Il était important qu’il parle parce que cette flambée de violence nous avait surpris. De tels incidents pouvaient se renouveler à tout moment, et Dieu sait où. Et d’autres bombes exploser dès le lendemain. Le plus odieux de l’histoire, c’était qu’on ne s’en était pris qu’aux civils. Il fallait absolument que je sache qui était capable de donner des ordres pareils.

L’homme refusait de parler. Alors, j’ai été conduit à user de moyens contraignants. Je me suis débrouillé sans les policiers. C’était la première fois que je torturais quelqu’un. Cela a été inutile ce jour-là. Le type est mort sans rien dire.

Je n’ai pensé à rien. Je n’ai pas eu de regrets de sa mort. Si j’ai regretté quelque chose, c’est qu’il n’ai pas parlé avant de mourir. Il avait utilisé la violence contre une personne qui n’était pas son ennemie. Quelqu’un qui avait juste le tort de se trouver là. Un responsable, même un militaire, j’aurais pu comprendre. Mais là, un quidam de Philippeville, et de connaissance, par surcroît. Je n’ai pas eu de haine ni de pitié. Il y avait urgence et j’avais sous la main un homme directement impliqué dans un acte terroriste : tous les moyens étaient bons pour le faire parler. C’étaient les circonstances qui voulaient ça.

 

Quatrième de couverture

La bataille d’Alger en 1957, vue et vécue par l’un de ses principaux acteurs, qui rompt le silence et dit la vérité. Ses révélations sur la torture et les exécutions sommaires relance un débat douloureux sur la guerre d’Algérie.

De 1955 à 1957, la République française a dépêché en Algérie l’un de ses meilleurs agents secrets, Paul Aussaresses. Même si son nom était encore inconnu du grand public, dans les cercles très fermés des services spéciaux, cet ancien parachutiste de la France libre, baroudeur de la guerre d’Indochine et fondateur du 11e Choc (le bras armé du SDECE) était déjà considéré comme une légende vivante.

Mais ce héros de roman allait être entraîné en Algérie, sans l’avoir aucunement cherché, dans une mission qui allait s’avérer la plus difficile de toutes. L’objectif ? Lutter contre le terrorisme érigé en système par le FLN.

Paul Aussaresses avait fait le vœu de silence qui s’impose aux hommes de l’ombre et ses secrets auraient pu disparaître avec lui. Ce qu’il a fait en Algérie, peu de gens le savaient. Pourtant, il a décidé de raconter avec une franchise impressionnante, sans tenir compte de l’air du temps, comment il a accompli sa mission au cours de deux épisodes décisifs dont il fut, dans l’ombre, l’un des acteurs essentiels : l’affaire de Philippeville en 1955 et la bataille d’Alger en 1957. Sans fausse honte et sans complaisance, Paul Aussaresses ose dire une vérité souvent difficile, parle de la torture et des exécutions sommaires.

Un témoignage capital, des révélations et des confirmations pour mieux comprendre les problèmes qui se posent à une armée quand l’Etat lui donne pour mission de combattre par tous les moyens une rébellion qui va de la terreur pour contraindre la population à la soutenir et provoquer une répression qui sensibilisera l’opinion internationale.