Christophe Lucand – Le vin des nazis

Livre trĂšs intĂ©ressant. On connais par ailleurs l’ensemble des atrocitĂ©s commises par les occupants nazis en France pendant la deuxiĂšme guerre, on connais aussi, grosso modo, la belle vie qu’ils avaient ici en France. Mais sur ce dernier point il y a peu d’Ă©tudes. Ce livre ne parle pas des atrocitĂ©s mais constitue une Ă©tude aussi bien sociologique qu’Ă©conomique de la main mise des nazis en France, avec le Vin comme fil conducteur.

Le vin fait partie des produits attachĂ©s Ă  l’image de la France. Qui, Ă  l’Ă©tranger, n’a pas envie de le consommer ??? Dans ce rĂ©cit on retrouve quatre groupes ayant participĂ© Ă  la main mise allemande sur le vin français.

D’abord, les vignerons et les nĂ©gociants. Ils ont largement profitĂ© de l’occupation. Alors que le marchĂ© du vin Ă©tait assez morose avant la guerre, les vignerons et les nĂ©gociants ont “fait leur beurre” avec les nazis. Ils ont gagnĂ© beaucoup d’argent avec cette collaboration avec les nazis : pratiquement toutes les maisons de Champagne, mais aussi des Bordelais et Bourguignons. Des nĂ©gociants faisaient venir des vins d’AlgĂ©rie et du Sud de la France. Ils partaient en Allemagne par des camions ou des trains. Les vignerons et les nĂ©gociants Ă©taient payĂ©s avec une partie de la “dette” que la France avait envers l’Allemagne Ă  cause de l’occupation. Les ventes se faisaient la plupart du temps sans aucune trace comptable.

Un cas intĂ©ressant est celui de la maison Mumm, de champagne. Une maison qui appartenait Ă  une famille allemande avant la Grande Guerre, qui a Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ©e par des français entre les deux guerres et qui est revenue Ă  nouveau Ă  la famille Mumm lors de l’occupation.

Les dignitaires allemands Ă©taient friands des vins français. La taille de leur cave se comptait par des centaines de milliers de bouteilles : plus de 500.000 bouteilles dans la cave de Hitler, alors qu’il ne buvait pas, suivit immĂ©diatement par Göring, un grand friand puis Ribbentrop, puis tous les autres. Des bpns vins français Ă©taient aussi proposĂ©s au peuple allemand.

Les troupes allemandes en France bĂ©nĂ©ficiaient soit du vin de table, achetĂ© par l’administration allemande soit par les achats personnels, puisque le Franc français a Ă©tĂ© dĂ©valuĂ© Ă  la auteur de 0,05 Marc.

Le dernier groupe est le monde mondain, les repas d’affaires, … avec, toujours, la participation des nazis, des collaborateurs et d’autres qui n’Ă©taient pas des collaborateurs attitrĂ©s, mais qui profitaient de la situation.

On remarque une certaine opposition entre l’occupant et l’administration française. Mais l’occupant dominait toujours la situation protĂ©geant leurs vendeurs.

A la fin de la guerre, il y a eu l’Ă©puration mais qui n’a touchĂ© que peu de ceux qui ont vraiment collaborĂ©, pour la plus part ceux qui ont trop profitĂ© de l’occasion.

Ce livre est le rĂ©sultat d’un travail minutieux avec une Ă©norme richesse de dĂ©tails. NĂ©anmoins, il donne l’impression que la quasi totalitĂ© des vignerons et nĂ©gociants ont cĂ©dĂ© Ă  la pression de l’occupant. Il n’y a qu’une vague mention Ă  ceux qui ont rĂ©sistĂ©, dans la partie qui traite de l’Ă©puration. Une recherche sur d’autres ouvrages indique un autre ouvrage – “La Guerre et le Vin : Comment les vignerons français ont sauvĂ© leurs trĂ©sors des nazis” Ă©crit par Donald Kladstrup – qui semble aller Ă  l’opposĂ©. Je n’ai pas lu cet autre livre.

En tout Ă©tat de cause, c’est un livre qui complĂ©mente la connaissance qu’on a de la barbarie nazie.

Citations

(p. 95)

Les fortunes rapidement bĂąties par des profiteurs de guerre saisissant toute l’opportunitĂ© du moment assĂšchent brutalement un marchĂ© du vin pourtant encore engorgĂ© avant la guerre. Les Français stupĂ©faits assistent alors Ă  une rarĂ©faction sans prĂ©cĂ©dent du vin. Dans les domaines, les chĂąteaux et les propriĂ©tĂ©s viticoles les plus rĂ©putĂ©s, les vins fins ou vins d’appellation, c’est-Ă -dire ceux dont le nom est protĂ©gĂ© par un Ă©difice rĂ©glementaire, sont les premiers Ă  disparaĂźtre, emportĂ©s par l’occupant allemand et les circuits entretenus par leurs complices. Dans les vignobles, l’Ă©volution est si brutale qu’elle libĂšre subitement les petits producteurs dĂ©sormais conscients de leur nouveau pouvoir.

Ainsi, Ă  Santenay, en Bourgogne, Jean Roux, propriĂ©taire de vignes anciennement Ă©tabli, a saisi tout le profit qu’il pouvait tirer de la dĂ©faite. Il n’a pas la trogne des vieux vignerons bourguignons mais cultive son apparence locale afin peut-ĂȘtre de mieux duper la nouvelle clientĂšle qui se presse Ă  la porte. En contact quotidien avec la kommandantour de Dijon, il invite et reçoit ces messieurs pour des dĂźners trĂšs arrosĂ©s dans son grand chai reconverti en salle de spectacle. C’est lĂ  qu’il rĂ©jouit ses hĂŽtes, officiers et sous-officiers allemands, leur offrant des banquets mĂ©morables et des “petites femmes” livrĂ©es pour l’occasion dans une dĂ©bauche de consommation d’alcools et de vins. Jean Roux se moque d’ĂȘtre perçu comme une figure de la Collaboration. Son argent et sa renommĂ©e n’ont pas de couleur pour le microcosme local et pour ceux avec qui il trinque.

Les rapports qu’il entretient avec ses meilleurs ennemis ont dĂ©butĂ© Ă  l’automne 1940. C’est la fin des contrats avec le commerce local. Place au commerce Ă  la propriĂ©tĂ©. Place Ă  la “vente au domaine”. Les vieux schĂ©mas enchaĂźnant le monde vigneron Ă  celui du nĂ©goce sont rĂ©volus pour tous ceux qui bravent les interdits et osent s’Ă©manciper. Une fois par semaine, le vendredi, un camion de la Wehrmacht entre dans la cour de sa propriĂ©tĂ©. Les livraisons se font directement. Le chargement est emportĂ© par trois ou quatre soldats. Pas de signature. Aucune facture. Jean Roux est toujours prĂ©sent, en personne. Il veille aux accords conclus verbalement chaque mois prĂ©cĂ©dent auprĂšs des services de l’intendance militaire allemande, la Marketenderei, boulevard Voltaire Ă  Dijon. Les ventes sont faites directement, “Ă  l’ancienne”, par une simple poignĂ©e de main, dans un bureau placĂ© sous l’insigne nazi et le portrait du FĂŒhrer. Pour le paiement, il a son contact. Le trĂ©sorier en chef, l’Oberleutnant Haaken, lui fournit toujours des coupures neuves, encore sous bande, extraites d’un coffre-fort bien garni. Le vigneron s’habitue vite. L’argent coule Ă  flots. La vie devient facile. À chaque paiement , Jean Roux n’oublie pas de laisser une ou deux caisses d’un bon marc de Bourgogne en guise de gratification. ProtĂ©gĂ© par les autoritĂ©s d’occupation, il est intouchable. Aucune trace dans sa comptabilitĂ© des volumes colossaux vendus sous le manteau. Jean Roux s’adapte. Il ne dĂ©clare que des volumes insignifiants Ă  l’administration fiscale et ne livre depuis longtemps rien au Ravitaillement.

 

QuatriĂšme de couverture

Mai 1940. La France succombe, son vin aussi. AussitĂŽt nommĂ©s par l’administration d’occupation, les « WeinfĂŒhrer », dĂ©lĂ©guĂ©s officiels dans les vignobles de Bordeaux, de Bourgogne, de Champagne et de Cognac s’emparent, avec la complicitĂ© de nombreux professionnels français, du « plus prĂ©cieux des trĂ©sors de France », selon les mots d’Hermann Göring, qui a trĂšs tĂŽt associĂ© sa voracitĂ© pour les Ɠuvres d’art Ă  une soif inextinguible des plus grands nectars français.

En spoliant les vignobles français pour alimenter la mondanitĂ© nazie mais aussi pour soutenir l’effort de guerre du IIIe Reich, les occupants ont dĂ©tournĂ© des volumes colossaux, de grands crus au vin ordinaire, provoquant une pĂ©nurie inĂ©dite, un rationnement brutal et une hausse vertigineuse des prix touchant l’ensemble de la population, Ă  une Ă©poque oĂč le vin Ă©tait un Ă©lĂ©ment capital de la vie quotidienne.

 

 

BĂąti sur des sources exceptionnelles, fonds Ă©conomiques et judiciaires, archives et documents privĂ©s, ce passionnant et exhaustif Vin des nazis rĂ©vĂšle comment, au cƓur des plus grands vignobles, sur les tables des grands restaurants et des palaces parisiens, la dĂ©faite française a vite Ă©tĂ© noyĂ©e dans le vin, grisant les collaborateurs sans scrupules, les brasseurs d’affaires vĂ©reux, jusqu’aux pires criminels reconvertis dans la Gestapo française, dont l’équipe Bonny-Lafont.

De personnalitĂ©s Ă©minentes, dirigeants de prestigieuses maisons, s’insinuent dans ce cambriolage Ă  l’échelle d’une nation : Henri Leroy, propriĂ©taire de la RomanĂ©e-Conti en Bourgogne et producteur d’alcools de vin pour les carburants du Reich, Melchior de Polignac, propriĂ©taire de la maison Pommery et cofondateur du groupe « Collaboration », ou Louis Eschenauer, « l’empereur des Chartrons », intime des chefs militaires allemands Ă  Bordeaux. Le vin s’est imposĂ© comme un puissant vecteur de la collaboration, valorisĂ© par PĂ©tain et l’État français. Loin d’ĂȘtre rĂ©servĂ© aux Ă©lites du pouvoir hitlĂ©rien, il s’est diffusĂ© dans la sociĂ©tĂ© allemande tout entiĂšre.

Une fresque captivante et dérangeante du vin au temps des heures sombres.