Thimothy Devos – Euthanasie, l’envers du décor

L’euthanasie est un sujet qui va et qui vient de temps en temps. Un sujet difficile puisque ça touche les valeurs humains. A cela s’ajoute une dose de militantisme. Et surtout la souffrance des malades et de ses proches.

L’euthanasie a été légalisée en Belgique en 2002. Cet ouvrage dirigé par Timothy Devos présente le témoignage de neuf personnels soignants : ce sont des médecins, infirmiers, psychologues.

Alors que la loi sur l’euthanasie en Belgique prévoit la possibilité en cas de “souffrance inapaisable et insupportable”, cela ouvre la porte, étonnamment à des situations que l’on ne pense pas. Ce n’est pas juste des souffrances physiques liées à des maladies incurables en état avancé, telles que le cancer ou autres, mais aussi des détresses psychologiques tels des dépressions intenses et persistantes, schizophrénie ou encore des transgenres ayant regretté des chirurgies irréversibles. La loi belge interdit que l’euthanasie soit proposée à un patient : c’est à lui de prendre l’initiative de la demander.

Le sens de quelques expressions médicales est aussi précisé. Des expressions parfois utilisées en erreur. L’euthanasie consiste a injecter une substance létale à une date précise et qui va provoquer la mort dans un délai prévisible. L’arrêt d’un appareil respiratoire ne relève pas de l’euthanasie puisque la morte viendra sûrement mais dans un délai pas vraiment connu d’avance et la vie s’éteindra d’elle même. L’acharnement thérapeutique consiste à continuer à se battre contre une maladie dans un stade déjà irréversible, sans espoir de guérison. Alors que les soins palliatifs cherchent à rendre supportable la souffrance, avec un minimum de confort, en fin de vie sachant que la mort viendra mais sans l’intention ni de l’accélérer ni de la retarder.

Les témoignages, tous complètement contraires à l’euthanasie, sont très convaincants. On apprend que la grande majorité de demandes d’euthanasie concernent des souffrances psychologiques : solitude en fin de vie, manque de soutien de la famille, envie de ne pas imposer une charge aux proches, souffrance physique pas suffisamment apaisée, … Et parfois même quelques cas hors normes tels des proches pressés de toucher un héritage ou encore du militantisme de quelques idéologies.

Du côte du corps médicale, on trouve une méconnaissance de l’efficacité des soins palliatifs : 90 à 95 % des souffrances physiques peuvent être apaisées alors que 60 % des malades meurent dans la souffrance. Faire l’effort de dialoguer avec les patients, comprendre leurs raisons e faire des propositions alternatives peut parfois les faire changer d’idée. L’euthanasie peut aussi, pour certains médecins, être une solution de facilité pour un tas de raisons – économique ou charge de travail.

L’euthanasie pose aussi un problème de conscience qui impacte non seulement le corps médical, ceux qui la pratiquent, et aussi les proches, qui savent que leur parent a bien été tué et n’est pas mort de mort naturelle. D’autres sont insensibles…

Une des raisons de la dépénalisation de l’euthanasie en Belgique a été de rendre plus transparent ce qui se faisait déjà sans que cela soit déclaré : par exemple, une dose juste de morphine peut atténuer la souffrance alors qu’une dose un peu excessive peut provoquer la mort. Mais il semblerait que les euthanasies ne sont pas toujours toutes déclarées, ce qui empêche toute analyse statistique.

Il s’agit surtout de privilégier beaucoup plus les soins palliatifs en cas de maladies en état terminal que de l’euthanasie. Mais pour cela, il faut surement mieux former le corps médical.

La lecture de ce livre me semble indispensable pour tous ceux qui s’intéressent au sujet. Personnellement je suis contraire à l’euthanasie mais pas radical : il y a certainement des cas où cela elle pourrait être utile voire indispensable. La loi belge me semble trop ouverte, il fallait qu’elle soit plus stricte et son application plus contrôlée.

Citations

(p. 172-173)

Les raisons les plus fréquentes pour lesquelles une personne demande l’euthanasie sont la peur de voir son état de sante se dégrader, celle de devenir dépendant, d’être à la charge d’autrui, de souffrir aux derniers moments, de ne plus pouvoir accomplir ce que l’on faisait avant… Il est, par contre, plutôt rare que les malades demandent l’euthanasie pour souffrance physique, aigüe et inapaisable. Il Il s’agit plutôt de souffrance métaphysique : au-delà de la souffrance physique, donc. Prenons comme exemple une personne âgée dans une maison de retraite, qui a des pertes urinaires et perd la vue. Si cette personne demande l’euthanasie, ce n’est pas pour une douleur physique intolérable, c’est pour une souffrance psychique sous-jacente. Le plus souvent la solitude. Une autre dans le même état, mais bien entourée, n’y pensera pas ! Les cas d’euthanasie très médiatisés en Belgique en sont la parfaite illustration. Le transsexuel qui n’était pas satisfait de sa transformation corporelle souffrant psychiquement, pas physiquement. L’écrivain qui, aux premiers signes de la maladie d’Alzheimer, demande l’euthanasie, le fait, parce qu’il craint la dégradation à venir, telle qu’il l’imagine et non pas telle qu’il la vit. Les jumeaux qui ont demandé l’euthanasie par peur de devenir aveugles, voyaient encore au moment de l’euthanasie. Le prix Nobel atteint d’un cancer digestif parle de sa solitude face à la maladie. Ainsi, nous voyons que les demandes d’euthanasie sont plus fréquentes chez les personnes isolées ou dépressives.

Il est important de montrer à ces personnes que bien qu’il n’y ait plus moyen d’ajouter des jours à leur vie, il y a toujours moyen d’ajouter de la vie à leurs jours.

(p. 193)

Je suis régulièrement le témoin direct ou indirect de la véritable détresse de certains médecins amenés à pratiquer l’euthanasie. Ils exercent dans différents, hôpitaux, sont issus de divers horizons, mais tons ressentent cette contradiction entre ce qu’ils croient être leur devoir et leur conviction profonde.

C’est ce que vit ce médecin expérimenté, qui m’a dit un jour qu’au sein de son institution de soins il a déjà pratiqué de nombreuses euthanasies. Les yeux humides de larmes, il me confie que certaines nuits il se réveille en sueur avec devant lui le visage de personnes qu’il a euthanasiées. Qui de plus insoutenable ? Qui pourrait soupçonner que, derrière l’assurance du médecin chevronné, l’homme honnête et sincère endure une telle souffrance ?

Publiquement, le “sens du devoir”, l’obligation de répondre à la demande du patient sont mis en exergue par le professionnel pour justifier l’acte d’euthanasie posé, mais, dans le secret des coeurs, la conscience se rebelle.

En pratiquant l’euthanasie, bon nombre de praticiens, acculés par ce qu’ils croient être leur devoir, ne se rendent pas compte qu’en mettant fin à une vie humaine ils mettent également fin à leur sérénité.

Quatrième de couverture

Huit soignants belges – professeurs d’université, médecins, infirmiers et éthiciens reconnus et expérimentés en accompagnement palliatif – tentent ensemble de dire leurs questions autour de la fin de vie, des soins palliatifs et de la pratique de l’euthanasie. Deux femmes médecins, française et israélienne, se sont ointes à eux. Les regards croisés de ces praticiens de la santé font la richesse et l’originalité de cet ouvrage.

Les auteurs partagent ici leur vécu et leurs réflexions face aux demandes d’euthanasie et d’accompagnement en fin de vie auxquelles ils ont été confrontés, dans un pays, la Belgique, où l’euthanasie, dépénalisée depuis 2002, est aujourd’hui souvent devenue un acte usuel, pour ne pas dire banal.

Ces récits évoquent l’envers du décor, l’autre face d’une réalité qu’il est grand temps de prendre en compte ou d’évaluer avec plus de rigueur. Le livre s’adresse tant au milieu médical qu’à toute personne s’interrogeant sur le sens de la mort et de la souffrance, ainsi que sur la réalité de l’application d’une loi qui, votée en 2002, suscite toujours plus de questions.

Ce livre rend la parole aux soignants de terrain afin qu’ils partagent ce qu’ils ont vécu, des histoires concrètes. Ils permettent au lecteur de prendre conscience de la complexité des situations et des conséquences concrètes de la loi sur l’euthanasie.

La réalité belge est suivie et analysée depuis le monde entier. De nombreux pays trouveront ici des réponses aux questions qu’ils se posent par rapport à l’accompagnement à donner en fin de vie et au rôle des lois se proposant de définir ce qu’elles permettent ou non.