Dominique Trinquand – Ce qui nous attend – L’effet papillon des conflits mondiaux

Dominique Trinquand est un général français. Dans une bonne partie de sa carrière il a représenté la France dans des instances internationales : l’ONU et l’OTAN, aux sièges mais aussi sur le terrain lors de la guerre en Yougoslavie. Ainsi, le contenu de l’ouvrage est plus qu’une étude, c’est un témoignage de ce qu’il a vécu ou observé.

L'”effet papillon” dans le titre fait référence à une métaphore originaire des systèmes chaotiques étudiés en mathématiques : “le battement des ailes d’un papillon à un endroit de la planète peu causer un tremblement de terre à un endroit lointain”. Des changements minimes dans l’était d’un système à un moment donné peuvent générer des modifications considérables dans un état futur. Rigoureusement, ce n’est pas tout à fait le cas ici, mais on retient l’idée que les conflits ont toujours des implications ailleurs.

Il nous parle de la guerre en Ukraine, avec les origines et les conséquences juste deux ans après : le réarmement des nations européennes et un changement dans les relations entre les nations. On ne pouvait pas ne pas parler du 11 septembre 2001, puis l’intervention des USA en Afghanistan, pour combattre l’Al-Qaeda, puis l’intervention en Irak en 2003. Et surtout les conséquences de cette intervention dans le monde arabe avec changement des rapports de force entre les communautés chiites et sunnites, l’État islamique, puis les attentats terroristes en Europe, surtout en France.

Chaque chapitre commence par présenter sa situation personnelle, ou des réflexions, lors du début de chaque conflit. Deux chapitres n’ont pas un conflit comme origine : l’essor de la Chine comme grande puissance, c’était déjà une prémonition de Alain Peyrefitte dans son livre “Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera”, paru en 1973. Un autre chapitre traite de la fin du service militaire obligatoire et ses conséquences. Il voit un affaiblissement dans le sentiment patriotique et du savoir vivre en société dans des situations difficiles : il ne manque pas de nous rappeler l’effort des Ukrainiens face à l’invasion Russe tout en ne pas s’exprimant sur quelle aurait été celle des Français dans une situation similaire.

Il ne s’agit pas d’une étude typique des universitaires, avec des références (il n’y en a pas) mais des réflexions sur des vécus. Cela reste très intéressant et on peut apprendre beaucoup. Livre de lecture facile et agréable.

Ce livre, sorti en octobre 2023, n’a pas eu le temps d’inclure la situation actuelle de la guerre entre Israël et le Hamas.

Citations

(p. 90)

“Lorsqu’il y a une innovation, les Américains font un business. Les chinois, une copie. Les Européens, quant à nous, nous en faisons un règlement.” La boutade vient d’Emma Marcegaglia, ancienne présidente de la Confindustria, le Medef italien. Difficile de lui donner tort… La manière d’envisager un marché et de considérer le fait de copier permet à elle seule de poser la différence d’état d’esprit entre l’Occident et l’Orient. À l’Ouest, l’individualisme valorise la création, favorise la singularité. En Chine, la copie est une forme de partage. L’esprit communautaire y est pour beaucoup, mais il exige aussi une explication culturelle. La calligraphie est ainsi l’art de “bien copier” les ancêtres. La duplication est à la base de l’enseignement chinois. Les élèves chinois apprennent à reproduire les nombreux caractères chinois des milliers de fois… Le système éducatif repose ainsi sur la réplication, et non l’inventivité.

(p.102)

La surveillance de la population s’opère d’abord par son contrôle idéologique. Les systèmes internet sont quadrillés par l’État. Le nombre de caméras gérées par des intelligences artificielles sophistiquées fait que la population est individuellement observée et pistée de près. Le “système de crédit social”, ces notations attribuées aux citoyens en fonction du respect qu’ils ont des règles imposées, renforce ce contrôle. L’état central y est une sorte de “Big Brother”, à la manière de celui du roman d’anticipation de George Orwell, 1984, où la principale figure de l’ouvrage est une sorte de métaphore d’un régime policier et totalitaire, à la tête d’une société de surveillance où les libertés des habitants sont toutes restreintes.

Comme dans la dystopie de George Orwell, dans ce pays dirigé par un parti qui compte 100 millions de cadres, l’État central sait en permanence ce que les Chinois pensent, font et disent. Et mieux vaux pour eux qu’ils pensent comme le chef ! La population est heureuse si le Parti a décidé qu’elle l’était.

(p.109)

La volonté américaine de recomposition du Moyen-Orient se solde par un échec total sur tous les plans. National, régional et même mondial. En 2003, après avoir fait tomber le régime de Saddam Hussein, la tentative de changement de gouvernement est un ratage complet. Elle induit l’effacement des sunnites dans ce pays à majorité chiite (55%). Cela a pour effet de renforcer brutalement l’identité des chiites, et de les pousser à reprendre le pouvoir. Le clivage confessionnel s’est accentué, pour le pire.

Ce faisant, les États-Unis renforcent la position de l’Iran. Cette grande opération américaine provoque le chaos dans une région tourmentée, et déclenche une série de changements de rapports de force. Sous l’égide de la République islamique, l’influence des chiites dans les organismes d’État se fait plus nette, que ce soit en Irak ou en Syrie. Là, un soulèvement populaire débute dans le sillage du Printemps arabe que Bachar al-Assad réprime dans le sang.

Dans le même temps, la région assiste à une naissance effrayante. Celle d’un mouvement sunnite terroriste qui germe sur les ruines et la rancœur laissée en Irak par les Américains. L’organisation djihadiste de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) se met très vite à revendiquer la souveraineté sur “son” califat, à cheval entre la Syrie et l’Irak. Une coalition occidentale entre alors en action contre Daech. Si son expansion territoriale est enrayée, le groupe terroriste parvient malgré& tout à conserver un pouvoir de nuisance loin de sa base. C’est le cas ao coeur de l’Union européenne, où dès 2015 la France est victime d’une vague d’attentats de ses membres ou affidés, ainsi qu’au Sahel, où des antennes locales de Daech se mettent à éclore.

(p.185)

L’autoritarisme comporte par ailleurs d’autres risques qu’une soumission individuelle. En Syrie, la vague de contestation pacifique qui débute dans le sillage du Printemps arabe, en 2011, met ainsi en lumière cette volonté de tourner la page du régule baasiste, totalement autocratique. Réprimé brutalement par un Bachar al-Assad accroché à son pouvoir, ce mouvement se transforme peu à peu en rébellion armée, puis en guerre civile. Ce pouvoir “fort” a été soutenu sans ciller par un de ses puissants homologues, la Russie. Plus de dix ans plus tard, ce conflit en Syrie est toujours en cours. C’est aussi l’une des tragédies de ces modes de gouvernance : les expressions de contestation à un régime autoritaire ne peuvent être que violentes… et ne peuvent déboucher que sur des changements de régime menés dans la douleur.

Malgré les dangers que représentent de telles manières d’exercer le pouvoir, en France la tentation de l’autoritarisme affleure parfois. Il faut être conscient de ses méfaits pour continuer à se battre pour la société dans laquelle nous vivons. Ce tropisme s’observe avec le succès des populismes, ses formations soudées autour d’une incarnation très forte. Des exemples sont connus autour de la famille Le Pen, d’Éric Zemmour ou de Jean-Luc Mélenchon, mais pas seulement. Tous ces écosystèmes politiques sont bâtis autour d’une personnalité apparaissant comme “providentielle”. Historiquement, ces “égéries” sont nombreuses : Benito Mussolini, Adolf Hitler, Joseph Staline, Mao Zedong, …

Quatrième de couverture

Le 24 février 2022, lorsqu’il déclenche une opération militaire pour envahir l’Ukraine, Vladimir Poutine ne viole pas uniquement l’intégrité territoriale d’un pays : le président russe bouleverse dans le même temps l’équilibre géostratégique précaire qui régnait depuis 1945. Au-delà de ce conflit qui n’implique en apparence que deux parties, un monde s’effondre. Dans le même temps, un autre voit le jour. Les géants d’hier entament une phase de transformation, tandis que la guerre en Ukraine démontre le caractère essentiel de la résilience des sociétés pour se protéger.

Se fondant sur son expérience, le général Trinquand propose dans cet ouvrage une analyse politique et militaire précise de ce monde à venir dans lequel les périls à vaincre et les défis à relever seront nombreux. Un éclairage essentiel pour tout comprendre des mouvements géostratégiques et des nouveaux rapports de force.