Giuliano da Empoli – Le mage du Kremlin

C’est une fiction basĂ©e sur un personnage rĂ©el : Vadim Baranov serait, en fait, Vladislav Sourkov, cofondateur du parti Russie unie qui mena Vladimir Poutine au pouvoir.

L’auteur a construit un rĂ©cit plausible, mĂȘme si plusieurs passages ne semblent pas correspondre Ă  la rĂ©alitĂ©. Par exemple, la femme Ksenia et ses rapports avec Mikhail Khodorkovski, pour qui il a travaillĂ© dans les annĂ©es 1990. Il est toujours en vie et habite Londres.

IntĂ©ressant noter qu’au dĂ©part ceux qui ont portĂ© Poutine au pouvoir pensaient pouvoir avoir un certain un contrĂŽle ou, au moins, une certaine participation au pouvoir, se sont complĂštement trompĂ©s. La vision que nous avons aujourd’hui de la Russie et de son prĂ©sident est que, finalement, il est le seul Ă  prendre des dĂ©cisions et les membres du gouvernement sont plutĂŽt des exĂ©cutants qu’il nomme et dispense lorsqu’ils faillent dans leurs tĂąches ou qu’ils donnent des avis contraires aux volontĂ©s du « Tsar » ou qu’ils tombent en disgrĂące – voir le cas de Boris Berezovsky. Poutine ne « fait qu’Ă  sa tĂȘte ».

Vladislav Sourkov a, en effet, thĂ©orisĂ© l’idĂ©ologie initiale de Poutine : la « dĂ©mocratie souveraine » et la « verticale du pouvoir ». Poutine a, ensuite, volĂ© de ses propres ailes et Sourkov serait devenu, encore actuellement, juste un conseiller ou, comme tous les autres, un exĂ©cutant qui sera remerciĂ© dĂšs qu’il tombera en disgrĂące.

L’auteur nous suggĂšre, partiellement, les dĂ©buts de Poutine en politique. Et c’est surtout sa personnalitĂ© qu’il serait intĂ©ressant de connaĂźtre un peu plus que ce qui est dans l’ouvrage.

Curieusement, il apparaĂźt que Baranov (ou Sourkov) a recrutĂ© des groupes nationalistes : des motards, des skinheads, des hooligans, des fanatiques religieux pour aller s’infiltrer en Ukraine (Donbass) et former une communautĂ© pro-Russie… On comprend mieux maintenant.

Une pensĂ©e qui m’a traversĂ© la tĂȘte Ă  la fin de la lecture est la diffĂ©rence entre la Russie avec son rĂ©gime autoritaire oĂč rien ne peut ĂȘtre contestĂ© et ailleurs oĂč des politiques, pour des intĂ©rĂȘts plutĂŽt personnels ou Ă©lectoraux, sĂšment la zizanie et rendent le pays ingouvernable. Il doit exister une situation intermĂ©diaire…

Citations

(p. 212)

Le jour de notre rencontre, bien que je ne lui aie pas servi une goutte de vodka, Zaldostanov quitta le Kremlin en Ă©tat d’ivresse. Ce qu’il ignorait, c’est qu’aprĂšs lui j’avais rendez-vous avec le leader d’un groupe de jeunes communistes qui m’avaient frappĂ© par leur vivacitĂ©. Ensuite, j’ai rencontrĂ© l’intrigante porte-parole d’un mouvement de renaissance orthodoxe. Et aprĂšs elle, le chef des ultras du Spartak. Et puis le reprĂ©sentant d’un des groupes les plus populaires de la scĂšne alternative. Ainsi, peu Ă  peu, je les ai tous recrutĂ©s : les motards et les hooligans, les anarchistes et les skinheads, les communistes et les fanatiques religieux, l’extrĂȘme droite, l’extrĂȘme gauche et presque tous ceux qui Ă©taient au milieu. Tous ceux qui Ă©taient susceptibles de donner une rĂ©ponse excitante Ă  la demande de sens de la jeunesse russe. AprĂšs ce qui s’Ă©tait passĂ© en Ukraine, nous ne pouvions plus nous permettre de laisser sans surveillance les forces de la colĂšre. Pour construire un systĂšme vraiment fort, le monopole du pouvoir ne suffisait plus, il fallait celui de la subversion. Encore une fois, il s’agissait au fond d’utiliser la rĂ©alitĂ© comme matĂ©riel pour instaurer une forme de jeu supĂ©rieur. Je n’avais pas fait autre chose dans la vie que de mesurer l’Ă©lasticitĂ© du monde, son inĂ©puisable propension au paradoxe et Ă  la contradiction. Maintenant, le thĂ©Ăątre politique qui prenait forme sous ma direction reprĂ©sentait l’accomplissement naturel d’un parcours.

Je dois dire que chacun a jouĂ© de bon grĂ© le rĂŽle qui lui avait Ă©tĂ© assignĂ©. Certains mĂȘme avec talent. Les seuls que je n’ai pas embauchĂ©s Ă©taient les professeurs, les technocrates responsables des catastrophes des annĂ©es quatre-vingt-dix, les porte-drapeaux du politiquement correct et les progressistes qui se battent pour des toilettes transgenres. Ceux-lĂ , j’ai prĂ©fĂ©rĂ© les laisser Ă  l’opposition : en fait il Ă©tait nĂ©cessaire que l’opposition fĂ»t constituĂ©e prĂ©cisĂ©ment de personnages comme eux. D’une certaine façon, ils sont devenus mes meilleurs acteurs, on n’a mĂȘme pas Ă©tĂ© obligĂ©s de les engager pour qu’ils travaillent pour nous. De petites Moscovites qui se sentaient en terre Ă©trangĂšre dĂšs qu’ils avaient dĂ©passĂ© le troisiĂšme anneau du pĂ©riphĂ©rique, des gens qui n’auraient pas Ă©tĂ© capables de dĂ©placer un fauteuil – quant Ă  gouverner la Russie… Chaque fois qu’ils prenaient la parole, ils asseyaient notre popularitĂ©. Les Ă©conomistes avec leur morgue de PhD, les oligarques rescapĂ©s des annĂ©es quatre-vingt-dix, les professionnels des droits humains, les pasionarias fĂ©ministes, les Ă©cologistes, les vĂ©gans, les activistes gay : une manne tombĂ©e du ciel pour nous. Quand les filles de ce groupe de musique ont profanĂ© la cathĂ©drale du Christ-Sauveur, hurlant des obscĂ©nitĂ©s contre Poutine et le patriarche, elles nous ont fait gagner cinq points dans les sondages.

(p. 304)

Aujourd’hui pourtant, le pouvoir est la seule solution, parce que son objectif, l’objectif de tout pouvoir Ă  l’Ɠuvre, est l’abolition de l’Ă©vĂ©nement. « Une mouche qui vole hors de propos pendant une cĂ©rĂ©monie humilie le Tsar », dit Custine. MĂȘme le plus petit Ă©vĂšnement, soustrait Ă  son contrĂŽle, peu coĂŻncider avec la mort, ou la possibilitĂ© de la mort, pour le pouvoir.

QuatriĂšme de couverture

On l’appelait le « mage du Kremlin ». L’énigmatique Vadim Baranov fut metteur en scĂšne puis producteur d’émissions de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© avant de devenir l’éminence grise de Poutine, dit le Tsar. AprĂšs sa dĂ©mission du poste de conseiller politique, les lĂ©gendes sur son compte se multiplient, sans que nul puisse dĂ©mĂȘler le faux du vrai. Jusqu’à ce que, une nuit, il confie son histoire au narrateur de ce livre


Ce rĂ©cit nous plonge au cƓur du pouvoir russe, oĂč courtisans et oligarques se livrent une guerre de tous les instants. Et oĂč Vadim, devenu le principal spin doctor du rĂ©gime, transforme un pays entier en un thĂ©Ăątre politique, oĂč il n’est d’autre rĂ©alitĂ© que l’accomplissement des souhaits du Tsar. Mais Vadim n’est pas un ambitieux comme les autres : entraĂźnĂ© dans les arcanes de plus en plus sombres du systĂšme qu’il a contribuĂ© Ă  construire, ce poĂšte Ă©garĂ© parmi les loups fera tout pour s’en sortir.

De la guerre en TchĂ©tchĂ©nie Ă  la crise ukrainienne, en passant par les Jeux olympiques de Sotchi, dĂ©voile les dessous de l’ùre Poutine, il offre une sublime mĂ©ditation sur le pouvoir.