David Le Breton – Cicatrices : l’existence dans la peau
David Le Breton, anthropologue, a fait du Corps son sujet d’étude. Il a publié plusieurs ouvrages avec un point de vue anthropologique sur des aspects qui peuvent sembler assez simples : le visage, le rire, le sourire, les tatouages, la douleur, l’odeur… Ici, il explore les cicatrices avec ses très nombreuses significations. La première, dont nous avons tous, est le nombril, une marque temporelle de notre naissance.
Ça commence par le sens anthropologique de la peau. C’est plus qu’une enveloppe, c’est l’interface avec le monde extérieur qui, entre autres choses, enregistre notre histoire. Et c’est bien complexe que ce que l’on peut imaginer au départ.
La grande diversité des formes et de l’apparition des cicatrices fait que, mis à part les deux premiers chapitres, les autres peuvent être lus dans le désordre. En effet, malgré le point commun d’être une marque sur la peau, les interprétations anthropologiques des types de cicatrices sont très diversifiées.
Ce livre est assez facile à lire, malgré certains passages que je pense pourraient être condensés. Le contenu est dense et, je crois, exhaustif. J’ai déjà lu plusieurs de ses livres et sauf un, je les ai tous apprécié.
La table de matières donne une idée de son contenu :
- La peau : anthropologie
- Traces d’événements, signes d’identité
- Cicatrices rituelles des sociétés traditionnelles
- Signes d’infamie
- Cicatrices d’art
- Scarifications adolescentes
- Blessures carcérales
- Blessures des réfugiés : la preuve par les cicatrices
- Cicatrices sur le visage
- Corps de résistance, corps d’amazone
- L’esthétisme des cicatrices
Citations
(p. 132)
Chez le jeune dans l’impossibilité de nouer une relation heureuse aux autres, de mettre sens et valeur à son existence, le corps prend le relais. Les scarifications, les brûlures, les piqûres avec des compas ou des punaises les ecchymoses volontaires, les excoriations sur des boutons d’acné, les coups, les insertions d’objets sous la peau, l’entretien de blessures en rouvrant des plaies produisent des cicatrices plus ou moins durables selon leur profondeur et l’instrument qui les provoque. Elles sont plus ou moins visibles selon leur localisation. L’insuffisance d’une relation solide et confiante au monde lors d’événements affectifs douloureux produit ces moments fulgurants de recours au corps à travers une chirurgie brutale, mais signifiante, pour s’agripper au réel et ne pas sombrer. À travers l’effraction corporelle, le jeune s’efforce de reprendre le contrôle d’une situation qui lui échappe. Il faut parfois sacrifier une part du corps pour sauvegarder quelque chose de soi. Ces blessures sont des tentatives de se dépouiller d’une peau, qui colle à la peau, d’un sentiment de soi insupportable. Mises en œuvre de manière volontaire et répétée, elles incarnent finalement une autre forme de ce que Freud nommait la « complaisance somatique ». Ce sont des hiéroglyphes de souffrance, et, simultanément, des tentatives d’en alléger le poids. Le corps est une autre scène où le jeune règle ses comptes, décharge les tensions et accroche simultanément par l’effraction le sentiment de son existence.
Quatrième de couverture