Antonio Damasio – L’Erreur de Descartes

De quoi parle-t-on ici ? Du dualisme « corps-esprit » cartésien. Descartes concevait un être humain comme l’association d’un « corps », vu comme une espèce de machine, et un « esprit », une entité abstraite, éthérée, sans avoir, obligatoirement, existence matérielle. On peut, sans commettre des grosses erreurs, associer des mots telle l’âme, le subconscient ou encore l’inconscient.

Ce livre publié en 1995 rapporte les travaux initiaux de l’auteur. Il a étudié le cas particulier de Phinéas Gage, un ouvrier du XIXᵉ siècle qui a eu son cerveau traversé par une barre de fer lors d’un accident de travail. Il a aussi pu étudier des cas actuels de personnes ayant subi des ablations partielles du lobe frontal du cerveau, suite à des tumeurs. La conséquence, pour ces personnes, a été la modification de la personnalité, soit par l’incapacité de prendre des décisions, soit par l’absence d’émotions.

L’auteur, à partir de ce constat, développe la thèse comme quoi ces parties manquantes ou abîmées du cerveau seraient responsables des conséquences et, donc, ces caractéristiques de l’esprit seraient localisées dans une entité matérielle et pas dans une entité abstraite.

C’est à partir de ça qu’il décrit les résultats de ses travaux, la connaissance du fonctionnement du cerveau, dans les années 1990. Je dis ça parce que la suite de ses travaux est décrite dans des ouvrages qui ont suivi celui-ci. C’est très intéressant, mais ça peut sembler long à ceux qui cherchent plutôt une synthèse.

Mais cette thèse est connue depuis longtemps. La physique nous dit que deux entités ne peuvent pas communiquer entre elles que par un transfert d’énergie : mécanique, électrique, électro-magnétique ou lumineuse. Or, ceci ne peut arriver que si le « esprit » a une existence matérielle et, donc, hébergée dans le corps. C’est le courant dit physicaliste. Ce résultat ne dit comment ça se passe, et c’est justement ce qui propose de faire Damasio, et il le fait de façon très intéressante.

En particulier, il démontre qu’il y a un lien étroit entre les émotions et la capacité de prendre des décisions.

Je compare, de mon expérience en intelligence artificielle, l’esprit avec le contenu du disque dur d’un ordinateur sur lequel on trouve une logique (algorithmes et logiciels) et des données. Deux ordinateurs ont des contenus différents de la même manière que les « esprits » de deux personnes sont aussi différents. Mais l’analogie s’arrête là.

C’est un livre dense et long, mais intéressant. À lire après celui-ci : Spinoza avait raison.

Citations

Quatrième de couverture

Être rationnel, ce n’est pas se couper de ses émotions. Le cerveau qui pense, qui calcule, qui décide n’est pas autre chose que celui qui rit, qui pleure, qui aime, qui éprouve du plaisir et du déplaisir.

Le coeur a ses raisons que la raison… est loin d’ignorer. Contre le vieux dualisme cartésien et contre tous ceux qui voudraient réduire le fonctionnement de l’esprit humain à de froids calculs dignes d’un super ordinateur, c’est en tout cas ce que révèlent les acquis récents de la neurologie : l’absence d’émotions et de sentiments empêche d’être vraiment rationnel.

Antonio R. Damasio est professeur de psychologie, de neurosciences et de neurologie. Il est directeur de l’Institut pour l’étude neurologique de l’émotion, de la décision et de la créativité, à l’Université de Californie du Sud. Il est également l’auteur de Spinoza avait raison et du Sentiment même de soi.