Charlotte Belaïch, Olivier Pérou – La Meute
La Meute : enquête sur La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon
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Citations
(p. 101-102)
Le chiffre est stupéfiant. Pour la présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélenchon a déclaré à peine 8000 euros en salaires et autres cotisations patronales, quand les autres candidats déboursaient, eux, entre 1 et 2 millions d’euros chacun.
Ce chiffre, il est tiré des milliers de pages qui composent la procédure liée à l’affaire des comptes de la campagne 2017 que nous avons épluchées. L’enquête judiciaire raconte le fonctionnement financier de LFI : une machine aux rouages bien huilés, un portefeuille solidement verrouillé par Jean-Luc Mélenchon.et ses aides de camp, économes, voire avares.
Le candidat LFI n’aime du reste rien tant que ce qu’il dénonce ailleurs : le libéralisme, et plus particulièrement l’ubérisation. Pour la présidentielle 2017, il a massivement eu recours à la sous-traitance en recrutant plusieurs de ses lieutenants sous le statut d’auto-entrepreneur. Au total, plus d’une dizaine de membres de l’équipe de campagne ont été rémunérés ainsi, via des sociétés unipersonnelles. Clémence Guetté, l’une des nouvelles figures du mouvement devenue députée, a ainsi émis 8.000 euros de factures en tous genres pour la campagne. Antoine Léaumont, chargé des réseaux sociaux à l’époque et lui aussi devenu parlementaire, 4.050 euros. Juliette Prados, l’une des communicantes historiques de Mélenchon, près de 10.000 euros. Porte-parole de la campagne, Alexis Corbière a lui touche 28.700 euros d’honoraires. Relations avec la presse, service informatique… Rien n’échappe à l’ubérisation. Christian Marre, le secrétaire général de la campagne, va ainsi créer sa société de conseil « Christian Marre Consultant Conseil » et faire payer ses services au candidat dont il s’occupait au jour le jour. L’objet de ses factures ? « Mission relative à la candidature de Jean-Luc Mélenchon dans le cadre de la campagne présidentielle de 2017″. Sans autre précision.
Le montage permet d’exonérer des cotisations sociales la structure à qui l’on facture. Une pratique – pas illégale – d’autant plus étonnante pour l’homme de gauche qu’il avait dénoncée avec force en 2016 comme le statut d' »auto-esclavage ». « Je supprimerai également le statut d’auto-entrepreneur, arnaque de première grandeur », promettait-il déjà à nos confrères du Parisien, le 10 mars 2017.
(p. 169)
En novembre 2023, le climat de tension atteint un nouveau stade avec la mise en retrait de Raquel Garrido. Convoquée par le « bureau », une instance qui regroupe une vingtaine de députés LFI, la député de Seine-Saint Denis est accusée d’avoir diffusé des « fausses informations dans la presse à propos du groupe ou de ses membres », d’avoir « mis en cause et dénigré ad hominen » plusieurs de ses collègues et d’avoir « pris à partie des salariés du groupe parlementaire ». L’accusée, elle, dément et clame avoir seulement exposé ses désaccords. A l’issue d’un vote à main levée, Garrido est condamnée à ne plus s’exprimer au nom du groupe dans les travaux parlementaires pour une durée de quatre mois. « C’était un moment très violent, racontait alors un participant, décrivant une parodie de procès. On se sent tous dépassés ».
Avec Garrido, « ça a atteint des sommets », déplore Autain. « Personne n’a eu aussi violent que ça ». Sur le groupe, Mélenchon s’agace contre celle qui fut son avocate et amie : « Pourquoi reste-t-elle ? » « Je souhaite que tu t' »en ailles », insiste-t-il dans des messages. Garrido n’a jamais correspondu à la conception mélenchonienne du lieutenant. Pour elle, la loyauté n’empêche pas la discussion politique et l’adhésion n’a rien à voir avec l’idolâtrie.
(p. 206)
Clémentine Autain se souvient, encore abasourdie, de cette plaisanterie, prononcée alors que la campagne de vaccination contre le Covid démarrait en France : « Tu sais pourquoi il faut se vacciner ? Parce qu’il y a deux catégories de personnes qui le font : les riches et les Juifs. » Avec Chikirou, tout le monde est visé, les « barbus », les femmes voilées, toujours dans un sourire goguenard. Combien de fois Jean-Luc Mélenchon a-t-il relativisé ? « C’est des conneries de Sophia, ne l’écoutez pas ».
(p. 220)
Au sein du mouvement, personne n’ignore la réputation d’Éric Coquerel, lequel n’a pas souhaité nous répondre. C’est d’ailleurs un conseil qui se murmure entre militantes depuis l’époque du PG : lors des soirées, mieux vaut s’en tenir éloignée. « On a toutes fait l’expérience de mains baladeuses en soirée, à la vue de tous, raconte une ancienne cadre. Il était très lourd. C’était de notoriété publique. Mais fans le mouvement, c’est à géométrie variable. Il y a un fonctionnement clanique ». Au fil des années, il y a bien eu des mises en garde. » Tu diras à ton ami Coquerel que quand une fille dit non, c’est non », s’agace un jour Sarah Legrain auprès de Georges Kuzmanovic, elle qui fait aujourd’hui partie des lieutenants fidèles de LFI. Danielle Simonnet sera même chargée de le mettre en garde : « Ton réseau militant ne peut pas être ton terrain de chasse. »
(p. 297)
Mélenchon a toujours su faire évoluer sa pensée, intégrant l’écologie ou les luttes longtemps dites périphériques à sa matrice politique. Il a réussi, aussi, à faire oublier sa menace d’une sortie de l’Union européenne en l’absence de rééquilibrage politique. Il pense de toute façon que le peuple est un tableau noir qui s’efface au bout de six mois. « Des oublieux », ainsi surnomme-t-il les électeur. Pour les journalistes, plus stupides encore à ses yeux, le délai tombe carrément à trois mois. À chaque fois, il assoit ces changements stratégiques sur des évolutions théoriques, s’efforce d’ajuster sa pensée à ses calcul électoraux. « Il ne faut pas le sous-estimer, prévient Hendrik Davi. Il a une capacité extraordinaire de mutation. C’est un animal politique comme on en a un par siècle. »
Mais les changements sont devenus des revirements, des ruptures avec ce qu’il défendait autrefois, si brusques que ses anciens proches ne le comprennent plus. Lui-même les considère aujourd’hui comme des adversaires.
Quatrième de couverture
Ils attaquent en meute.
Soudés, du moins en apparence.
Les insoumis ont conquis des sièges de députés, dans le bruit et la fureur, saturant l`espace médiatique.
Deux ans d`enquête au coeur du système Mélenchon, des centaines de témoignages de militants ou d`anciens cadres, de nombreux documents exclusifs…
Ce livre révèle des pratiques sidérantes : menaces, harcèlement, purges, dérive idéologique, propos antisémites, violences sexistes et sexuelles, financement nébuleux…
Pour Jean-Luc Mélenchon, tous les moyens semblent bons pour conquérir le pouvoir.
Journaliste politique, CHARLOTTE BELAÏCH intègre Libération en 2016, où elle enquête au coeur de la gauche et raconte les luttes d’influence et les batailles internes de LFI, du PS et des Écologistes.
OLIVIER PÉROU a rejoint le service politique du Monde en 2025 après être passé par L’Express. Il est l’auteur de nombreuses enquêtes sur les partis de gauche et les Écologistes.