Annette Wieviorka et Ivan Jablonka – Nouvelles perspectives sur la Shoah

Il s’agit d’un petit livre très intéressant écrit à « plusieurs mains », des mains d’historiens.

Ça commence par une introduction par Annette Wieviorka où elle décrit le travail des historiens et la compréhension de ce qui a été la Shoah : « Comprendre, témoigner, écrire ». Comment ce travail a évolué depuis la fin de la guerre.

Il y a une deuxième partie sur les sources d’information disponibles, les archives et les accès, pas toujours facile même pour des historiens. Certains n’ont été ouverts qu’après le démantèlement du communisme de l’est, voir même dans ce siècle.

L’ouverture de ces archives donnent une vision plus précise de ce qui s’est passé. Par exemple, le mode de fonctionnement de chaque service administratif, les relations de voisinage (délations ou protection). Il est beaucoup question de la Pologne et on apprend que les juifs ont été moins bien protégés dans certaines sociétés que dans d’autres.

Ces archives permettent aussi des analyses quantitatives avec des niveaux de détail qui n’étaient pas possibles auparavant.

La toute dernière partie, écrite par Ivan Jablonka (voir citation) en tant que historien, juif et petit-fils de juifs assassinés a Auschwitz, traite de ce que doit devenir le « droit de mémoire ». Avec l’introduction, c’est la partie qui m’a intéressé le plus d’un point de vue humain et du besoin de comprendre.

Citations

(p.96)

Dans son discours de 2002 au Conseil de l’Europe, Simone Veil déclarait : « L’affirmation de la singularité de la Shoah ne correspond en rien à une démonstration de la différence juive, du destin juif, de l’exception d’un peuple qu’on dit élu. Cet événement dépasse de loin les seuls Juifs et Tziganes. Reflétant l’image du dénouement absolu, d’un processus de déshumanisation mené à son terme, la Shoah inspire une réflexion inépuisable sur la conscience et la dignité des hommes. »

Simone Veil, « Quel enseignement de la Shoah au XXIe siècle ? »

(p. 99)

Ivan Jablonka – A nouvelle histoire, nouvelle mémoire

Moi-même, j’ai essayé de redonner à mes grands-parents le visage que les nazis leur ont volé. Évoquer le manteau de fourrure marron de ma grand-mère, la gaieté de mon grand-père, est une manière de conjurer leur déshumanisation. Après la jeunesse, l’engagement et l’exil vient la mise à mort, et j’ai aussi tenté de comprendre le déroulement de leur arrestation dans un taudis du XXème arrondissement et l’emploi du temps d’une journée criminelle à Birkenau lorsqu’ils y arrivèrent, le 4 mars 1943. Ce goût du détail jusqu’à l’obsession, vise à redonner à chaque victime sa dignité et sa consistance humaines. Dans cette microhistoire familiale, les protagonistes sont des vivants, avec leurs révoltes et leurs échecs, leur parcours et leur normalité, et non des êtres-pour-la-mort. Leur assassinat à Auschwitz-Birkenau n’est ni un destin, ni un martyre, encore moins une rédemption, mais une simple borne – manière de libérer les victimes de leur propre mort et, peut-être de me libérer aussi de la leur. Les morts n’ont pas toujours été morts, et il importait de les rendre à la vie, à leur vie.

(p. 100)

Dans « History and Memory After Auschwitz », Dominik LaCapra affirme que l’important n’est pas de se souvenir, mais de se souvenir de manière pertinente. Le danger est que la mémoire alterne entre répétition nostalgique et agitation superficielle, pour transformer l’absence des victimes en présence sanctifiée; d’où la nécessité de ne jamais disjoindre le savoir, la morale et l’esthétique.

Quatrième de Couverture

Si l’« ère du témoin » s’achève, ce n’est pas simplement parce que les rescapés meurent les uns après les autres ; c’est aussi parce que les formes mêmes du témoignage s’épuisent.

Le champ d’études que constitue la Shoah se caractérise par son ouverture et son dynamisme. La génération des Poliakov, des Hilerg, des Friedländer a jété les fondements de la discipline. Mais déjà d’autres sources, d’autres questionnements, d’autres formes d’écriture émergent : comparatisme, histoire économique, rôle des administrations, micro-histoire, enquête familiale, etc. Ce livre présente les nouvelles tendances de l’historiographie et le renouvellement de la mémoire qu’elles impliquent. Car la liberté de l’historien, substituée au « devoir de mémoire », peut ouvrir des voies nouvelles au souvenir.