Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud – Le rendez-vous manqué des peuples
C’est un livre qui commence « piano » puis l’intérêt s’installe rapidement. Ce livre a le mérite, souvent rare, de rendre un sujet facilement compréhensible pour ceux qui ne sont pas du domaine. Et pourtant… c’est très simple et clair.
Le premier chapitre essaye de définir ce que c’est le « peuple », un concept pas forcément trivial. Qu’est qui fait que le peuple ait envie de changement ? Ce ne sont pas des idéologies, le communisme, le libéralisme, etc. Rien de tout ça. Ce qui donne envie de changements sont les souffrances, les humiliations. C’est le sujet du deuxième chapitre.
Une définition préalable des populistes se fait nécessaire. Ce sont ceux qui s’adressent directement au peuple, contestant et dénigrant le pouvoir en place avec des mensonges ou demi-vérités et rappelant au peuple que dans une démocratie c’est le peuple qui décide. A cela s’ajoutent souvent des promesses intenables qui ne seront, la plupart du temps, pas honorées s’ils arrivent au pouvoir. Comme le dit bien Alexander Hamilton dans une citation, « ils commencent comme démagogues et finissent comme tyrans ». Quelques exemples cités : Trump, Bolsonaro (il faut ajouter Lula), Victor Orban, … En France, on trouve, en tête et dans les extrêmes politiques, Le Pen et Mélenchon.
Ce qui est intéressant dans ce livre est le découpage selon une typologie : révolte et révolution citoyenne et partisane.
Au contraire des révolutions, une révolte n’a pas pour but de renverser le système en place mais juste d’alléger les souffrances. Aussi bien les révoltes et les révolutions citoyennes relèvent d’une manifestation spontanée du peuple et, de ce fait, n’ont pas, à priori, de leaders.
Les révolutions partisanes ne font pas partie du contenu mais l’auteur en donne quelques exemples rapidement : la révolution russe de 1917 ou celle de Cuba.
Une faiblesse, qui peut devenir une vulnérabilité, des mouvements citoyens (révolte ou révolution) est le manque de leader. Le cas des des Gilets Jaunes est exemplaire puisque aussi bien Jean-Luc Mélenchon (LFI) comme Marine Le Pen (RN) se sont rangés de leur côté pour faire une récupération politique et transformer un mouvement populaire en mouvement partisan.
Le cas du « printemps arabe », une révolution citoyenne, est différent. Des laïcs et des musulmans partageaient l’objectif de renverser la dictature de Ben Ali mais ils ne voyaient pas le même avenir. Une situation similaire a été celle de l’Égypte.
En effet, chaque cas est particulier, mais le cadre typologique d’analyse facilite beaucoup la compréhension des différents pays et les raisons de leurs échecs.
Le Brésil, un pays que je connais assez bien, et qui n’a toujours pas « tombé sur ses pattes », mérite un mot. Juste après la révolution cubaine de Fidel Castro, il y a eu une série de révolutions en Amérique Latine dans le but d’implanter le communisme. Des révolutions financées par l’URSS avec des guérilleros dont le plus connu était Che Guevara. Dilma Rousseff en faisait partie. Ces guérilleros ont été entraînés en Cuba pour la lutte armée. Il y a eu une contre révolution des militaires pour éviter le communisme. Bien ou mal, ce n’est pas mon propos ici. Toujours est il que cette gauche de Lula et Dilma Roussef sont revenus au pouvoir 40 ans après. Cette gauche n’a été renversé que à cause de la corruption mise en place pendant le gouvernement de Lula. C’est grâce à cette corruption que Bolsonaro, politicien populiste et médiocre a été élu. A la fin de l’année les brésiliens auront à choisir entre le retour de la corruption de Lula ou l’ignorance de Bolsonaro. Ce que je veux dire est que, 60 ans après, ils ne sont toujours pas « sortis de l’auberge » et continuent à rater leur rendez-vous.
Juste un mot encore sur Lula. Au contraire de ce que dit Jean-Luc Mélenchon et Anne Hidalgo, qui lui a attribué le titre de citoyen parisien, Lula n’a pas été blanchi de ses accusations. Un magistrat de la suprême cour, mis en place par Dilma Roussef, a décidé de façon monocratique que l’instance qui a condamné Lula n’était pas compétente, il aurait dû être jugé à Brasília et pas Curitiba. Donc tous les procédures ont été annulées et, entre temps, les crimes dont il était accusé ont été prescrits.
Citations
(p.30)
La montée en puissance du populisme n’est possible que lorsque la démocratie est déstabilisée par une crise qui conduit nombre de citoyens à ne plus vraiment croire en elle. Perte de sens, désintérêt pour le débat politique, scepticisme croissant à l’égard des élus, abstention massive aux élections sont quelques-uns des symptômes de cette séquence indissociable d’un lourd contexte économique et social.
(p. 93)
« Parmi les hommes qui ont renversé les libertés des républiques, le plus grand nombre a commencé sa carrière en faisant une cour obséquieuse au peuple : il a commencé comme démagogue et fini comme tyran. »
Alexander Hamilton – The Federalist Papers
(p.117)
Enfin, remarquons que sur la crise de la Covid-19, la propension qu’on les populistes à jouer les fiers-à-bras, tout en ayant un rapport ambigu, voir insultant, aux sciences, a pu être porteuse de catastrophes comme aux États-Unis jusqu’à l’avènement de Joe Biden, au Brésil, en Inde et en Hongrie.
(p. 192)
La nation est la représentation par excellence d’une identité collective. Pour le meilleur, car elle a permis la création d’institutions et le développement de mécanismes de solidarités. Pour le pire aussi car en s’enflammant en un nationalisme agressif, cette représentation alors exaltée a provoqué nombre de tragédies. Rappelons, ici, la belle formule du théologien et médecin Albert Schweitzer : « Le nationalisme, c’est un patriotisme qui a perdu sa noblesse ». Autrement di, selon le général de Gaulle : « Le patriotisme, c’est l’amour de son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres ».
(p.241)
Plus complexe est la relation entre vérité et opinion. Dans cette configuration, la vérité peut être fragilisée car, à trop la relativiser, on risque de la dissoudre. Le glissement s’opère par le jeu des opinions qui se substituent à la vérité. Au lieu d’essayer de constater un fait, on décide de s’en faire une opinion en dénaturant sa matérialité objective pour autant qu’il en ait une. On glisse ainsi dans des logiques moins contraignantes que le rapport à la vérité puisque les processus de validation ne sont pas les mêmes. La vérité relève de la coercition puisqu’on est, en principe, bien obligé de la reconnaître, alors que l’opinion s’appuie sur la persuasion pour convaincre. À la complexité de la recherche de la vérité, on répond par la simplicité de l’élaboration d’une opinion. Puisque les faits peuvent être interprétés, chacun peut prétendre avoir sa propre analyse, au moins jusqu’à un certain point.
Quatrième de couverture
Loin des espoirs suscités par la chute du mur de Berlin, le début de notre siècle dessine un horizon politique largement assombri par l’échec des révolutions citoyennes et la montée en puissance des populismes, sur fond de crise des démocraties. Partout – des pays arabes à l’Europe en passant par le continent américain -, le rendez-vous annoncé des peuples avec eux-mêmes est manqué.
Notre monde est-il entré dans une phase de régression démocratique, aux antipodes des espérances passées ? Des révolutions arabes de Syrie, de Tunisie ou d’Egypte, aux gouvernements populistes démocratiquement élus aux Etats-Unis, au Brésil, en Hongrie, en Pologne et en Inde, cet ouvrage dresse le bilan de vingt ans de soubresauts, convoquant les plus fins théoriciens pour en donner des clefs de compréhension.
Ambitieux, cet essai nous amène à changer de perspective pour lire la montée en puissance des autoritarismes et l’échec des révolutions citoyennes comme les deux faces d’une même pièce qu’il s’agit de penser conjointement.