David Le Breton – Sourire

Ce livre s’inscrit dans la thématique de recherche de David le Breton. Plusieurs livres s’occupant de l’anthropologie du corps depuis les débuts de ses travaux de recherche. Je les ai presque tous.

Ce livre est le pendant de « Rires », publié en 2018. Et fait référence aussi à « Visages » dont la première édition date de 1992, une deuxième dans les années 2000 et la prochaine, revue et actualisée, prévue pour le mois de novembre 2022. Des références fréquentes sont faites à cette dernière édition.

Il s’agit de montrer les différences avec les « Rires » et aussi présenter les différentes nuances du « Sourire ». Difficile de parler de tout – ce sont 23 chapitres et donc, 23 cas particuliers, tels les sourires des nouveaux nés, des assassins, des comédiens, des handicapés visuels, des autistes, des masqués du COVID, des nuances culturels, …

On ne peut que s’étonner de découvrir la complexité de toute la sémiotique du sourire. Par ailleurs, David le Breton n’hésite pas à reprendre ceux qui par le passé ont voulu caractériser le lien entre le sourire, les émotions et la biologie ou anatomie des mouvements musculaires (Duchenne de Boulogne, Herbert Spencer, Darwin, Ekman et autres).

Les livres de David Le Breton sont très denses mais agréables à lire et intéressants. Ce sont des livres à déguster et surtout pas chercher à le lire d’un seul coup. Celui-ci n’est pas une exception.

A lire avec « Rires » et « Visages », puis tous les autres de David le Breton.

Je remercie chaleureusement Babelio Masse Critique et surtout l’éditeur Métaillé qui m’a envoyé ce livre avec un petit mot souhaitant « bonne lecture ».

Citations

(p. 62)

Pour rompre l’indifférence polie qui est de mise dans les rues des villes, Pierre Sansot aime à sourire aux passants inconnus déconcertés, semant ainsi le trouble. Dès lors, « l’avenue cesse d’être un parcours muet ou hostile. Je sais que mes sourires risquent d’être ensevelis par d’autres promeneurs : je n’en continue pas moins de les distribuer et si les autres passants agissaient de cette sorte, une ville se composerait d’innombrables chemins ». Telle est par ailleurs la sociabilité des marcheurs qui échangent volontiers sourires et salutations en se croisant sur les sentiers.

(p. 73)

Que cette tâche de maintenir en permanence une figuration souriante soit parfois malaisée, Hochscild en donne un exemple resté dans les annales ou la légende du métier d’hôtesse de l’air. Un jour un jeune homme d’affaires demande à l’une d’elles pourquoi elle ne sourit pas. Alors elle lui demande de sourire le premier et lui promet de sourire à son tour. Le jeune homme s’exécute. « Bien, lui dit-elle, maintenant restez comme ça pendant quinze heures », avant de s’éloigner sans se retourner.

Quatrième de couverture

David Le Breton poursuit son anthropologie du corps de façon plus affinée, plus littéraire aussi au regard de ses précédents ouvrages, il ouvre des voies de réflexion au lecteur. Ici pas d’interviews, que du vécu et des citations d’écrivains, de cinéastes ou des peintures qui décrivent sur le vif des sourires, des centaines de sourires plus ou moins célèbres où se voilent des significations contradictoires.

Le sourire se devine, gagne les yeux, transforme subtilement le visage, au bas mot nous humanise. Les savants constatent que le sourire est la réaction la plus faible du visage et les poètes comme Paul Valéry qu’il est le « premier luxe de l’être ». Dans notre relation discrète à l’autre,  le sourire est perçu comme un effleurement de l’âme.

Tout le monde reconnaît que c’est un adoucisseur de contact quand il n’est pas convenu, narquois, exaspérant ou bêtement posé sur les lèvres pour donner le change. C’est une expression retenue mais lisible qui permet aux individus de communiquer différemment, à la fois sans mot et de tout leur corps. Il peut être aussi l’expression d’une ritualité et participer sciemment à l’expression de son appartenance sociale.

Cette anthropologie de l’énigmatique que David Le Breton développe avec finesse dans cet ouvrage touche autant au corps, à nos conventions sociales, qu’à notre spiritualité, vraie ou naïve, qui nous fait exister et résister à la brutalité du monde.

Le sourire œuvre en secret et nous permet de communiquer presque secrètement notre soi à l’autre.