Bruno Halioua – Le procès des médecins de Nuremberg
Le procès des médecins a commencé juste après les exécutions du premier procès et est certainement un des plus importants puisque les accusés n’étaient ni des politiciens ou bureaucrates idéologues, ni des bourreaux incultes. C’étaient des personnes ayant un doctorat comme niveau d’études et un métier de médecin, ayant prêté le serment de Hippocrate et dont la mission était de sauver des vies.
Au contraire du procès des dignitaires où la discussion tournait sur les décisions à un niveau élevé, ici le sujet a été les expérimentations sur des êtres humains que ces médecins ont ordonné et pratiqué eux mêmes. Le discussion s’est passé à un niveau bien plus concret et technique.
On peut comprendre que certaines des expérimentations sur le typhus, le paludisme pourraient avoir un intérêt pour le développement de la médecine dans l’éradication de ces maladies. La résistance à des très basses températures ou à des hautes altitudes (12000 mètres) peuvent avoir un intérêt pour comprendre les limites de notre corps. Je veux dire par là que ce sont des problèmes réels à résoudre mais, bien entendu, pas comme cela a été fait par les médecins nazis.
Néanmoins, même un non médecin comprends, par le récit, que ces expérimentations n’ont été suivi une méthodologie scientifique courante même à l’époque. Ensuite elles ont été effectuées sans aucune éthique humaine dans le sens où les expérimentations ont été poussées jusqu’à la mort des « cobayes ». On comprend ce dernier point par le fait que tous ces médecins ont été imprégnés par l’idéologie nazie qui considérait les êtres non aryens comme des êtres inférieurs, c’est à dire, ne méritaient pas être traités comme des êtres humains.
À cela s’ajoutent des expérimentations sans aucun intérêt humain et qui choquent des principes élémentaires d’éthique, comme la collection de squelettes (crânes) du Docteur Hirt (Université de Strasbourg) ou la transplantation d’une omoplate d’un déporté vers un patient l’ayant perdu par cancer, avec exécution du donateur par injection d’essence par voie intraveineuse (voir citations).
La défense des accusés a largement utilisé comme argument l’inexistence d’une règle éthique dans la profession médicale, autre que le serment de Hippocrate. Argumentation, bien entendu, de mauvaise foi mais lors d’un jugement cela fini par être un critère atténuant.
Mais ce manque a été comblé par le Code de Nuremberg qui a été repris par la Déclaration de Helsinki qui défini l’éthique médicale pour l’expérimentation sur des humains. C’est, à mon avis, le point le plus positif de ce procès.
Finalement, des 23 accusés, 7 ont été condamnés à mort et exécutés, quelques acquittements et plusieurs peines de prison allant de 15 ans à la prison à vie. Mais tous les emprisonnés ont été libérés, pour diverses raisons, au plus tard en 1954, soit six ans après la fin du procès. Tous ceux qui n’ont pas été condamnés à mort ont continué leur vie, la plupart en tant que médecins.
Aucun des accusés, condamnés ou pas, ont manifesté des regrets.
Il y a un sentiment d’injustice puisque le comportement de ces médecins n’a pas été une exception dans la période nazie. Plusieurs centaines de médecins adeptes de l’idéologie nazie ont échappé à la justice.
Le cas Mengele est mentionné en passant, par l’auteur, mais pas dans le procès. Peut-être qu’il n’était pas encore connu. Il aurait certainement pu être jugé par contumace, puisque la présence de l’accusé n’était pas obligatoire à l’époque.
L’auteur de ce livre, Bruno Halioua, est médecin dermatologue et enseignant en histoire de la médecine. C’est très important et c’est sûrement grâce à cela que la partie éthique médicale occupe une partie importante dans ce livre.
Les médecins japonais n’ont pas fait mieux, mais cela est une autre histoire…
Citations
(p. 103)
Les interventions de chirurgie plastique.
… Le docteur Fritz Fischer, SS-Sturmbannführer de la Waffen-SS, procède à l’ablation de l’articulation de l’épaule (omoplate, clavicule, et tête de l’humérus) d’un détenu du camp, puis la fait parvenir dans un délai extrêmement bref à la clinique d’Hohenlychen où Karl Gebhardt, orthopédiste Richard Schulze et Ludwig Stumpfegger, médecin accompagnateur de Himmler, la transplantent à un patient ayant perdu cette articulation, victime d’un angioblastome. La greffe prend et le cancer ne réapparaît plus chez ce patient; quant au donneur, un malade mental, il est immédiatement exécuté après l’opération par une injection intraveineuse d’essence.
(p. 108-109)
La collection de squelettes juifs
Rapport sur l’obtention de crânes de commissaires bolcheviques juifs à l’intention de recherches scientifiques à l’université allemande de Strasbourg. Il existe d’importantes collections de crânes de presque toutes les races, et peuples. Cependant, il n’existe que très peu de spécimens de crânes de la race juive permettant une étude et des conclusions précises. La guerre à l’Est nous fournit une occasion de remédier à cette absence. Nous avons l’occasion d’obtenir des preuves scientifiques et tangibles, en nous procurant les crânes des commissaires juifs bolcheviques qui personnifient une humanité inférieure, répugnante mais caractéristique. Le meilleur moyen d’obtenir rapidement cette collection de crânes sans difficulté consisterait à donner des instructions pour qu’à l’avenir la Wehrmacht remette vivants à la police du front, tous les commissaires bolcheviques juifs. De son côté, la police du front devra recevoir des instructions afin de tenir constamment au courant un certain service, du nombre et du lieu de détention de ces Juifs capturés; il aura à les garder jusqu’à l’arrivée d’un envoyé spécial. Celui-ci chargé de réunir le matériel (un jeune médecin attaché soit à la Wehrmacht soit à la police du front, soit un étudiant en médecine pourvu d’une voiture et d’un conducteur), devra prendre une série de photographies, et des mesures anthropologiques; il devra s’assurer autant que possible de l’origine, de la date de naissance, et des autres données personnelles des prisonniers. Après la mort de ces Juifs, dont on aura soin de ne pas endommager la tête, il séparera la tête du tronc, et l’adressera à son point de destination dans un liquide conservateur, dans un récipient scellé spécialement destiné à cet usage. D’après les photographies, les mesures, et d’autres données de la tête et du crâne lui-même, les recherches d’anatomie comparée et les recherches sur la race, sur les données pathologiques de la forme du crâne, sur la forme et la dimension du cerveau et sur beaucoup d’autres choses, pourront alors commencer.
Quatrième de couverture
Le 9 décembre 1946, à Nuremberg, s’ouvre le procès de médecins allemands, précédé de celui des dignitaires nazis. Le monde entier est encore sous le choc de l’ampleur et de la gravité des crimes perpétrés par les nazis, et prend conscience de l’horreur de la Shoah. L’accusation met en évidence la dimension particulièrement atroce des expérimentations médicales réalisées sur des êtres humains dans les camps de concentration.
Ce qui se joue dans ce procès dépasse largement les actions criminelles de quelques médecins dévoyés. Il s’agit du fondement même du nazisme et de sa prétention à ériger un cotre code de comportement que celui que les hommes ont finalement privilégié, au moins à titre d’horizon souhaitable, dans nos sociétés de liberté et démocratie.
Les questions d’ordre éthique soulevées par les experts médicaux de l’accusation et les réponses qu’ils ont apportées aux arguments des accusés et de leurs avocats constituent une réflexion qui est à l’origine du Code de Nuremberg. Elle sera poursuivie et approfondie un an plus tard dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, puis par la suite dans la Déclaration d’Helsinki qui énonce les « Principes éthiques applicables aux recherches médicales sur des sujets humains ». Le Code de Nuremberg, dont la portées historique est fondamentale sur le plan juridique et médical, définit la légitimité des expériences médicales et le statut des personnes participant à une expérimentation. Il annonce ainsi la naissance de la bioéthique moderne.