Max Hastings – La Division Das Reich : Tulle, Oradour-sur-Glane, Normandie
Ce livre raconte la traversĂ©e, heureusement, pleine d’embĂ»ches de la Division Das Reich pour aller de Montauban jusqu’Ă la Normandie. Cette division a Ă©tĂ© appelĂ©e en renfort des forces allemandes lors du dĂ©barquement du 6 juin 1944.
On a beaucoup parle des deux grands massacres pratiquĂ©s par cette division : Tulle – 99 pendus devant la population convoquĂ©e – et Oradour-sur-Glane – toute la population assassinĂ©e – mais il y a eu plusieurs autres.
Pour simplifier, ces massacres sont arrivĂ©s surtout en reprĂ©sailles des actions de la rĂ©sistance : sabotages ou embuscades dans le but de bloquer ou, au moins, retarder l’avancement de la Division. Et, effectivement, il semblerait que la rĂ©sistance a diminuĂ© le rythme aprĂšs le massacre d’Oradour-sur-Glane.
Ce rĂ©cit met en valeur les moindres dĂ©tails de comment tout s’est passĂ©. En particulier la mĂ©sentente entre le FTP (Franc-Tireurs et Partisans – les communistes) et l’AS (ArmĂ©e SecrĂšte). Les premiers se sentaient autonomes et n’obĂ©issaient les ordres arrivant de l’Angleterre (de Gaulle). Cette mĂ©sentente, dans un sens plus global de la deuxiĂšme guerre m’intĂ©resserait, mais pas encore trouvĂ© une source satisfaisante.
Ă la fin du livre il y a une discussion sur quelques controverses historiques. Est-ce que le retard imposĂ© Ă l’avancĂ©e de la Division Das Reich a rĂ©ellement changĂ© le cours de l’histoire du dĂ©barquement ? Il semblerait que pas forcĂ©ment et que la percĂ©e des alliĂ©s serait juste retardĂ©e. Ou alors, est-ce que les pertes humaines Ă©taient justifiĂ©es ? Certains ont estimĂ© tout Ă fait lĂ©gitimes les reprĂ©sailles allemandes vu qu’il avait encore une Occupation (voir citations).
Ce livre a Ă©tĂ© Ă©crit en 1982 et rĂ©-Ă©ditĂ© mais, semble-t-il, sans grandes modifications. Peut-ĂȘtre que des nouvelles informations ont pu ĂȘtre disponibles depuis. L’auteur reconnaĂźt que certaines questions restent et resteront sans rĂ©ponse.
En plus des sources d’informations officielles disponibles Ă l’Ă©poque l’auteur a pu s’entretenir personnellement avec des acteurs, aussi bien français mais aussi des membres de la Division Das Reich encore envie dans les annĂ©es 80 (ceux qui ont accepter d’en parler) et cela donne une toute autre dimension Ă cet ouvrage.
Citations
(p. 183)
CITOYENS DE TULLE!
Quarante soldats allemands ont Ă©tĂ© assassinĂ©s de la façon la plus abominable par les bandes communistes. La population paisible » a subi la terreur. Les autoritĂ©s militaires ne dĂ©sirent que l’ordre et la tranquillitĂ©. La population loyale de la ville le dĂ©sire Ă©galement. La façon affreuse et lĂąche avec laquelle les soldats allemands ont Ă©tĂ© tuĂ©s prouve que les Ă©lĂ©ments du communisme destructeur sont Ă lâĆuvre. Il est for regrettable qu’il y ait eu aussi des agents de police ou des gendarmes français qui, en abandonnant leur poste, n’ont pas suivi la consigne donnĂ©e et ont fait cause commune avec les communistes.
Pour les maquis et ceux qui les aident, il n’y a qu’une peine, le supplice de la pendaison. Ils ne connaissent pas le combat ouvert, ils n’ont pas le sentiment de l’honneur. 40 soldats allemands ont Ă©tĂ© assassinĂ©s par le maquis. 120 maquis ou leurs complices seront pendus. Leurs corps seront jetĂ©s dans le fleuve.
A l’avenir, pour chaque soldat allemand qui sera blessĂ©, trois maquis seront pendus; pour chaque soldat allemand qui sera assassinĂ©, dix maquis ou un nombre Ă©gal de leurs complices seront pendus Ă©galement.
J’exige la collaboration loyale de la population civile pour combattre efficacement l’ennemi commun, les bandes communistes.
Tulle, le 9 juin 1944
Le général commandant les troupes allemandes
(p. 227-228)
Le maire (de la commune de Terrasson) soulagé, comme ses administrés, allait pouvoir à nouveau faire, le 13 juin, un compte rendu des événements :
« Je profite d’un train blindĂ© allant Ă PĂ©rigueux pour expĂ©dier cette lettre. Nous avons vu des horreurs; Nous sommes sains et saufs mais le prix est terrible : quatre tuĂ©s, trois blessĂ©s, , la mairie incendiĂ©e, huit maisons dĂ©truites par les flammes ou l’artillerie, la population terrorisĂ©e. Nous avons vĂ©cu deux heures Ă©pouvantables, tous les habitants entassĂ©s sur la place, des mitrailleuses braquĂ©es sur eux, un homme pendu au balcon de la maison contiguĂ«… Je ne sais Dieu comment j’ai pu conserver un calme surhumain… »
Puis aprÚs coup il écrivit encore le 9 juillet avec le recul nécessaire à plus de lucidité:
« Le cycle est simple et se reproduit chaque fois : le maquis se livre Ă une opĂ©ration, les Allemands arrivent, le maquis s’Ă©vanouit dans les bois avec des pertes lĂ©gĂšres, la population civile trinque, les Allemands s’en vont et le maquis rĂ©apparaĂźt. S’il y a des pertes chez les Allemands le chĂątiment est terrible. Il n’est vraiment pas facile, dans ces circonstances, d’ĂȘtre Ă la fois le reprĂ©sentant et le dĂ©fenseur du peuple ! »
(p. 260)
LĂ , quand le grand portail se referma sur eux, quelque 400 femmes en enfants s’entassaient Ă l’intĂ©rieur du lieu saint, gardĂ©s par deux SS arme au point. Il s’entrouvrit pourtant encore une fois livrant le passage Ă un groupe de soldats qui portaient une lourde caisse. Marguerite Rouffranche se rappelle encore combien elle fut frappĂ©e de leur extrĂȘme jeunesse. Ils dĂ©posĂšrent leur fardeau Ă la croisĂ©e du transept, allumĂšrent un cordon qui en sortait puis s’Ă©cartĂšrent. Une Ă©paisse fumĂ©e noire fusa alors de la caisse qui semblait contenir un dispositif incendiaire. AffolĂ©s, femmes et enfants se reculĂšrent cherchant en vain un abri en hurlant. PostĂ©s Ă l’extrĂ©mitĂ© ouest de l’Ă©glise les soldats pointaient leurs armes tout en dĂ©goupillant des grenades, qu’aux premiers coups de feu tirĂ©s dans les granges ils lancĂšrent en vidant leurs chargeurs sur les malheureux. Puis, s’apercevant que des femmes s’engouffraient dans la sacristie, quelques soldats y coururent, enfoncĂšrent la porte et liquidĂšrent les infortunĂ©es qui s’y Ă©taient blotties. Mme Rouffranche vit tomber sa fille, tuĂ©e net. Elle se laissa choir sur le dallage et resta immobile. Deux gamins de dix et douze ans courant vers un confessionnal furent abattus Ă bout portant, dans la nuque. L’un des garçons Levignac, (l’autre Ă©tait dĂ©jĂ mort dans une grange avec les hommes), le petit Dominique Forest, la petite Renaud (quatre ans), Lucien et Marcel Boulestin – que leur mĂšre avait consciencieusement dĂ©barbouillĂ©s sous un pommier afin qu’ils soient propres pour la visite mĂ©dicale – Bernadette Cordeau, Roger Joyeux (quatre ans), Henri Joyeux (cinq ans), Mme Leroy, dont les papiers Ă©taient en rĂšgle, Mme Belivier qui avait envoyĂ© un fils se cacher, la mĂšre juive qui avait laissĂ© ses enfants sous l’escalier, tous pĂ©rirent cet aprĂšs-midi lĂ dans l’Ă©glise avec 400 autres personnes.
Les landaus, les chaises, les confessionnaux, les murs furent criblĂ©s d’impacts de balles dans l’horrible cacophonie mĂȘlant clameurs et dĂ©tonations. Des femmes, des enfants dont les vĂȘtements brĂ»laient coururent dans un indescriptible affolement en tous sens, tentant en vain de s’Ă©chapper, avant que les SS empilant paille et chaises sur les cadavres et les blessĂ©s y mettent le feu avant de se retirer.
Une femme, une seule, Ă©chappa au carnage : Mme Rouffranche. Il y avait en effet trois fenĂȘtres derriĂšre l’autel. S’aidant du marchepied dont l’abbĂ© se servait pour allumer les cierges, elle se hissa sur une saillie situĂ©e au -dessus et sauta par l’une d’elles. Elle tomba trois mĂštres plus bas et, en se relevant, aperçut une autre femme qui tentait de l’imiter. C’Ă©tait Henriette Joyeux qui tenait dans ses bras son nourrisson de sept mois. Mais celui-ci lui Ă©chappa des mains et tomba. Ses cris alertĂšrent les Allemands qui accoururent et abattirent la mĂšre infortunĂ©e qui retomba, morte, dans l’Ă©glise. Le bĂ©bĂ© fut lui aussi tuĂ© sur place.
(p. 328)
Le marĂ©chal Bernard Montgomery lui-mĂȘme commandant du 21Ăšme groupd d’armĂ©es britanniques en 1944, qui combattit en 1921 les insurgĂ©s irlandais en tant que major de brigade, obĂ©issait aux mĂȘmes rĂ©flexes : « Toute mon attention se portait sur la dĂ©faite des rebelles, Ă©crivit-il, et le nombre des maisons incendiĂ©es ne m’a jamais tracassĂ©. Tout civil ou rĂ©publicain, soldat ou agent de police qui s’en prend Ă un officier ou un soldat est fusillĂ© sur-le-champ ». En rĂ©alitĂ©, jusqu’Ă ce que l’opinion publique intĂ©rieure les eĂ»t contraints Ă en annuler l’ordre, les Britanniques appliquĂšrent aux rebelles irlandais une politique de reprĂ©sailles officielles comportant la destruction systĂ©matique par incendie des maisons de ceux qui leur prĂȘtaient assistance. Le gĂ©nĂ©ral Maxwell avait fait exĂ©cuter les chefs de la rĂ©volte de 1016 et interner en Angleterre leurs partisans et, rĂ©flĂ©chissant plus tard Ă son expĂ©rience irlandaise, Montgomery confirma : « A mon avis, pour gagner une guerre de ce genre il faut ĂȘtre sans pitiĂ©; Cromwell ou les Allemands l’auraient expĂ©diĂ©e en cinq sec. ».
Notons d’aillers que Montgomeri n’a jamais manifestĂ© d’intĂ©rĂȘt ou d’estime envers les rĂ©sistants français alors que le gĂ©nĂ©ral Eisenhower en revanche, aprĂšs la LibĂ©ration rendit un vibrant hommage Ă leur contribution. Mais « Monty » a toujours en fait paru garder l’aversion du soldat de mĂ©tier pour les irrĂ©guliers quelle que fĂ»t la cause de leur combat. Peut-ĂȘtre mĂȘme s’est-il sournoisement et paradoxalement senti solidaire des officiers de la Wehrmacht qui, durant l’Occupation, s’Ă©tonnaient qu’on leur reprochĂąt de fusiller des rĂ©sistants armĂ©s alors que le gouvernement français avait signĂ© un armistice avec l’Allemagne.
QuatriĂšme de couverture
8 juin 1944. La division Das Reich, forte de 15000 hommes, quitte Montauban en direction de la Normandie sous le commandement du général Heinz Lammerding.
EntravĂ©e dans sa progression par la RĂ©sistance, des opĂ©rations de commando et les bombardements de l’aviation alliĂ©e, elle va sur son trajet acquĂ©rir une terrible notoriĂ©tĂ©, en se livrant, Ă Tulle et Ă Oradour-sur-Glane, Ă deux reprĂ©sailles sanglantes. Ces exactions barbares allaient avoir d’importantes consĂ©quences au niveau stratĂ©gique. Car si la division Das Reich Ă©tait arrivĂ©e Ă temps sur les lieux du dĂ©barquement, elle aurait, sinon permis aux forces allemandes de rejeter les alliĂ©s Ă la mer, du moins contribuĂ© Ă diffĂ©rer l’issue de la bataille, retardant du mĂȘme coup la libĂ©ration rapide de la France.
Voici l’une des pages les plus douloureuses et les plus extraordinaires de la guerre secrĂšte dont certains Ă©pisodes n’avaient encore jamais Ă©tĂ© racontĂ©s.