GĂ©rard Garouste – L’Intranquile

On peut lire ce livre comme une autobiographie de GĂ©rard Garouste. Ou mieux, les points les plus importants pour comprendre l’artiste et son Ĺ“uvre.

J’ai lu ce livre après avoir visitĂ© l’exposition rĂ©trospective au Centre Georges Pompidou. J’aurais du faire l’inverse. Bien plus qu’avec d’autres artistes, plusieurs Ĺ“uvres de Garouste rĂ©sultent de son histoire de vie.

S’il avait dĂ©jĂ  la passion du dessin Ă  l’enfance, le reste a Ă©tĂ© une constante recherche de sa personne. Une enfance marquĂ©e par un père violent, collaborateur et antisĂ©mite, la dĂ©couverte Ă  l’âge adulte de la spoliation de certains juifs par son père, des secrets de famille (l’inceste subi par une arrière grand mère), la dĂ©couverte Ă  l’age adulte.

Mais Ă  ces difficultĂ©s, qui ne sont pas rares dans des nombreuses familles, se greffent ses problèmes psychiatriques – bipolaritĂ© – qui le font interner Ă  plusieurs reprises dans des hĂ´pitaux psychiatriques.

La lecture de ce livre montre que Garouste ne correspond pas Ă  l’image de folie courante : c’est une personne cultivĂ©e et très lucide y compris dans les moments de folie : lucide mais incontrĂ´lable. D’ailleurs, il dit : « Un fou n’est pas quelqu’un qui a perdu la raison, mais quelqu’un qui a tout perdu sauf la raison ». C’est l’image que je retiens de lui.

L’histoire de Garouste me fait penser au livre « Un coup de hache dans la tĂŞte », de RaphaĂ«l Gaillard. Ça correspond parfaitement Ă  la personnalitĂ© bipolaire dĂ©crite par Gaillard.

Il a eu la chance de se marier avec Elisabeth, une femme qui l’a toujours soutenu malgrĂ© les moments très compliquĂ©s. Une femme juive, malgrĂ© l’antisĂ©mitisme de son père – il a fini par se convertir au judaĂŻsme, plus comme une façon de compenser ce qui a Ă©tĂ© son père et par s’identifier avec la pensĂ©e juive que par la judĂ©itĂ© de sa femme.

Le tableau ci-contre, Le Classique, reprĂ©sente un point important puisqu’il est le rĂ©sultat de l’ultimatum d’Elisabeth, Ă  Garouste, quand elle lui a dit que s’il n’y avait pas de changement, elle le quitterait. C’est le premier tableau peint après et le prĂ©fĂ©rĂ© d’Elisabeth (voir citation).

C’est toute cette recherche de son identitĂ© que l’on retrouve dans ses Ĺ“uvres. Alors, il me semble très utile de comprendre qui est Garouste avant de visiter une exposition de l’artiste pas du tout banal.

Citations

(p. 36)

On raconta un viol, l’inceste dans une famille de la haute qui cacha sa honte, Gabrielle et son fils, chez le tapissier Édouard Henri Garouste. On murmura aussi plus simplement, l’inceste entre ledit Garouste et sa fille Gabrielle, nĂ©e d’on ne savait qui. On dĂ©guisa en tout cas la mère en sĹ“ur.
J’ai appris le secret au mĂŞme âge que mon grand-père et peut-ĂŞtre que mon père. Comme s’il fallait en passer par lĂ  pour grandir et devenir un homme de la famille.

Je l’appris d’une femme trop bavarde. Trop vieille pour ne pas parler, elle voulait sans doute partir plus lĂ©gère. Je revois ma grand mère me souffler, ce n’est pas ta tante c’est ton arrière grand-mère,

(p. 48)

Au printemps, venaient les cerises. Il y avait tant que souvent ma mère invitait ses sœurs avec maris et enfants pour la cueillette.

Je me rappelle d’un après-midi ensoleillĂ©, je devais avoir huit ans, ma marraine Ă©tait sur l’Ă©chelle, et moi juste derrière elle, deux barreaux en dessous. Je voyais tout de ses cuisses, de ses porte-jarretelles, de sa petite culotte sous sa combinaison, c’Ă©tait enivrant, l’aube de mes sens. N’y tenant plus, j’y ai plongĂ© la tĂŞte. Quand j’ai rouvert les yeux, j’ai vu mon oncle qui me fusillait du regard, sans rien dire. Je sentais sa rĂ©probation mais je ne comprenais pas pourquoi. Je pensais que cette sensation sous la robe de ma tante n’appartenait qu’Ă  moi, comme l’arbre, comme tout ce que je ressentais et que je ne pouvais jamais partager avec eux.

(p.115)

Je ne faisais que tester l’extĂ©rieur, mais je m’arrangeais pour revenir.

De toute façon, les mĂ©decins vous expulsent quand la famille a montrĂ© qu’elle savait vous protĂ©ger. Au bout de deux mois et demi, le docteur Bahon a signĂ© ma sortie. Je suis rentrĂ© chez moi et je me suis couchĂ©. J’ai retrouvĂ© notre maison, mon atelier, Elisabeth qui avait en elle un enfant, et aussi beaucoup de force.. Je l’aimais, j’Ă©tais convaincu qu’elle seule me protĂ©gerait et pourrait me sauver, mais j’Ă©tais terrifiĂ©, je n’avais rien Ă  lui offrir. Vivre Ă©tait tout simplement au-delĂ  de mes forces.

(p. 117)

« Un fou n’est pas quelqu’un qui a perdu la raison, mais quelqu’un qui a tout perdu, sauf la raison »

(p. 120)

Une seule fois, un matin, je la revois très prĂ©cisĂ©ment devant la porte de la cuisine de Bourg-la-Reine, elle partait travailler, elle m’a dit sans forcer la voix : « Écoute, j’ai tout donnĂ©, je n’en peux plus. Si tu ne changes pas très rapidement, je vais te quitter. »

Si elle lâchait, je lâchais aussi. La peur l’a emportĂ© sur la dĂ©pression.

Je suis restĂ© debout devant mon chevalet. J’ai peint un homme marchant avec une besace et une canne sur un paysage qui semble calcinĂ©. C’est le tableau prĂ©fĂ©rĂ© d’Élisabeth. Une amie m’a dit y reconnaĂ®tre l’image du Juif errant.

Quatrième de couverture

« Je suis le fils d’un salopard qui m’aimait. Mon père Ă©tait un marchand de meubles qui rĂ©cupĂ©ra les biens des Juifs dĂ©portĂ©s. Mot par mot, il m’a fallu dĂ©monter cette grande duperie que fut mon Ă©ducation. Ă€ vingt-huit ans, j’ai connu une première crise de dĂ©lire, puis d’autres. Je fais des sĂ©jours rĂ©guliers en hĂ´pital psychiatrique. Pas sĂ»r que tout cela ait un rapport, mais l’enfance et la folie sont Ă  mes trousses. Longtemps je n’ai Ă©tĂ© qu’une somme de questions. Aujourd’hui, j’ai soixante-trois ans, je ne suis pas un sage, je ne suis pas guĂ©ri, je suis peintre. Et je crois pouvoir transmettre ce que j’ai compris.  »

GĂ©rard Garouste est un artiste internationalement reconnu, ses Ĺ“uvres sont exposĂ©es dans les plus grands musĂ©es du monde.  » L’Intranquille  » est son premier rĂ©cit personnel. Judith Perrignon est journaliste et Ă©crivain. Elle est notamment l’auteur, chez le mĂŞme Ă©diteur, de  » C’Ă©tait mon frère… ThĂ©o et Vincent an Gogh  » (2006), qui a connu un remarquable succès mĂ©diatique et public.