Henri de Monvallier et Nicolas Rousseau – Les imposteurs de la philo
Les imposteurs de la philo (Raphaël Enthoven, Charles Pépin, …). C’est sûr que ça va barder. C’est un livre intéressant mais il me dérange.
Je me méfie beaucoup lorsque je vois un livre comme ça, écrit complètement à la charge, il faut d’abord que je m’intéresse aux auteurs.
De la quatrième de couverture :
Henri de Monvallier et Nicolas Rousseau sont professeurs agrégés de philosophie. S’inspirant de Michel Onfray, René Pommier et Jean-François Revel, ils traquent les impostures de la pensée contemporaine. Ils ont déjà écrit ensemble « Blanchot l’Obscur ou la déraison littéraire » (2015). Henri de Monvallier est également l’auteur de « Le Tribun de la plèbe » (2019)
Donc, on va lire une des enquêtes de la « Police de la Philosophie ». Michel Onfray, l’auteur de Crépuscule d’un idole, une source d’inspiration.
On trouve aussi une petite bio sur le site du Front Populaire (https://frontpopulaire.fr/auteurs/henri-de-monvallier_au122584), la revue de Michel Onfray :
Agrégé et docteur en philosophie, Henri de Monvallier est spécialiste de la pensée de Michel Onfray. Il anime également l’Université populaire d’Issy-les-Moulineaux (UPIM) depuis 2018 où il propose un séminaire intitulé «Philosopher en dehors des clous». Son dernier ouvrage: Les Imposteurs de la philo (Le Passeur, 2019).
Donc, on apprend déjà que l’on peut déjà parler de la pensée de Michel Onfray, de la même façon que l’on parle des pensées de Kant, Heiddeger, Arendt, … avec leurs spécialistes.
C’est leur deuxième livre critique écrit en duo. Le précédent a été dédié à Maurice Blanchot. La préface des deux livres a été écrite par Michel Onfray.
On a bien remarqué aussi que Henri de Monvallier a écrit une ode au « Tribun de la Plèbe », qui n’est autre que… Michel Onfray. On peut déjà imaginer qui sera le dauphin de Michel Onfray.
De cette petite recherche on peut déjà comprendre le contexte dans lequel ce livre a été écrit.
Dans la préface, Michel Onfray dit qu’un philosophe ou un professeur de philosophie vit aussi de la vente de ses livres et de ses conférences et que l’anormalité viendrait de la qualité (vacuité) de « sa philosophie ». Je partage cet avis et c’est d’ailleurs ce qui se passe dans beaucoup de domaines dans l’enseignement supérieur et pas juste la philo. La situation anormale, à mon avis, serait aussi quand la totalité, ou la grande majorité, des revenus ne viendraient que de ça.
Sur Raphaël Enthoven ils critiquent son attitude méprisante et son langage parfois « pipi-caca ». Sur le premier point, ils écrivent aussi, d’un bout à l’autre de ce livre, dans un style très méprisant, très ironique et très sarcastique. Si c’est un critère, ne serait-il le cas aussi de se auto-inclure parmi les imposteurs ???
Au sujet du langage « pipi-caca », que dire de cette phrase de Onfray dans la préface :
« Le tout en citant ponctuellement Épicure ou Platon, Hegel ou Spinoza, Camus ou Sartre, comme on saupoudre de ciboulette un plat très allégé. Ce « name dropping » est l’excipient du suppositoire, la garantie de la traçabilité philosophante. »
Raphaël Enthoven… ils ont raison mais… je pense qu’il ne dit pas que des bêtises. Il n’est pas un ignare en philosophie. Mais le personnage m’insupporte : trop sûr de lui et sa façon de parler, comme un moulin à parole ne voulant pas laisser le temps à l’interlocuteur d’assimiler son discours.
Ah, Charles Pépin. Je prends sa défense. C’est un prof de philo qui prétend vulgariser la philosophie. On lui reproché d’écrire des livres d’une philosophie de bas niveau : « Les vertus de l’échec » et de gagner d’argent avec des livres et des séminaires payants. Or, ses séminaires se passent dans le cinéma mk2, au Quartier Latin. Il faut, bien évidement, payer la location de la salle, non ? On peut bien comprendre que ce n’est pas gratuit.
Sur son livre, eh bien, c’est une réflexion sur l’échec que je trouve intéressante, même si on peut estimer que ce livre s’approche de la catégorie « développement personnel ». L’échec est un sujet sérieux qui nous concerne tous. On peut choisir de traiter le sujet à un niveau hors de porté pour le lecteur lambda ou le traiter de façon très accessible. Il a fait le deuxième choix et je l’approuve.
Les auteurs semblent vouloir être très élitistes. Dans une des vidéos de l’Alphabet de Gilles Deleuze, il dit quelque chose comme ceci : « la philosophie est une discipline qui doit être à la portée de tous, y compris des agriculteurs (sic) », mais il reconnaît que certaines idées ne le sont pas et il cite Kant. Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique, disait que la science ne sert à rien si on ne peut pas l’expliquer à n’importe qui. Et je l’ai vu venir à la télé (La Marche du Siècle, par exemple) avec des petits trucs pour faire des expériences et expliquer ce qu’il faisait.
Raphël Glucksmann, avec une formation initiale en philosophie, est plutôt un personnage publique, politique, qu’un philosophe à plein temps.
Vincent Cespedes, aussi, a quitté le monde de la philosophie pure et est passé dans le monde de la philosophie appliquée aux entreprises, etc… Un conférencier e consultant à plein temps. Que dire ? C’est sûr que beaucoup de ce qu’il dit ne sont que des bêtises, mais ce sont des contraintes du métier et du marché de l’emploi. Il n’y a pas suffisamment de postes pour faire de la philosophie très sérieuse. Est-ce du charlatanisme ? Peut-être ! Personnellement, je ne me prêterait pas à faire ça.
Je n’ai jamais lu Geoffroy de Lagasnerie. Tout d’abord, le titre du chapitre me choque puisque méprisant : “Le petit maître corrigé ou les grosses âneries de Geoffroy de Lagasnerie”. le texte me parait relever plutôt d’un débat d’idées de bords politiques différents que d’une imposture philosophique. Il a le droit de dire ce qu’il veut, y compris des âneries et, dans ce cas, c’est plutôt de l’incompétence ou de la stupidité. Par contre, il semblerait qu’il utilise sa position de chercheur pour faire du militantisme. Et dans ce cas, c’est plutôt une imposture dans sa position d’enseignant chercheur, ce qui est bien plus grave. Comme dit Nathalie Heinich, utiliser la recherche pour faire du militantisme équivaut à un détournement de l’argent public. Ceci dit, je pense être d’accord avec les auteurs au sujet de ce philosophe.
Puisqu’ils s’inspirent de Michel Onfray et qu’ils font des critiques des philosophes excessivement médiatiques, ils disent eux mêmes que Onfray est “sans aucun doute le philosophe français vivant le plus célèbre, il est aussi le plus traduit et le plus lu dans le monde” (p. 108), je suis aller voir sont site web et je vois qu’il a écrit 118 livres en 34 ans, sans compter les traductions. La question que je me suis posée : quel est son but ? Écrire des livres pour être le philosophe français le plus lu dans le monde ou faire de la philo ? Peut-être que c’est compatible, je ne sais pas le dire.
Il manque des catégories d’impostures. Je pense, en particulier, à des philosophes qui traitent de sujets qu’ils ne connaissent pas ou qu’ils n’ont qu’une vague idée et écrivent des articles avec des grosses erreurs. Dans le livre « Impostures intellectuelles », Alan Sokal et Jean Bricmont (des physiciens) dédient deux chapitres à Gilles Deleuze et Bruno Latour. Dans les deux cas, il s’agit de l’Effet Dunning Kruger, dit de la surconfiance, lorsque les connaissances de la personne ne dépassent pas la « Montagne de la Stupidité ».
Nombreux sont ceux qui tombent dans ce cas, y compris Michel Onfray. “La vengeance du Pangolin” est un recueil d’articles écrits sur le vif (comme ceux des livres de Enthoven). La plupart de ses remarques sont intéressantes. Néanmoins, certaines critiques qu’il fait au gouvernement dans ces termes – « impéritie de l’État français, faiblesse extrême de son chef » – je m’interroge. M. Onfray n’est pas médecin, n’est pas épidémiologiste, n’a aucune responsabilité dans la gestion de l’épidémie, n’est pas tiraillé entre les uns et les autres avec des exigences opposées dans un but entièrement politique ou idéologique, ne connaît pas les informations dont disposait le gouvernement pour prendre des décisions. Étant exactement dans la même position que Michel Onfray, je préfère penser que le gouvernement a fait le mieux qu’il a pu et je vois mal comment je pourrais tâcher le gouvernement d’incompétent, faible ou irresponsable. Il est très facile de juste observer, passer son temps à lapider ceux qui travaillent et qui ont la responsabilité et compétence professionnelle effective pour traiter le problème. Remarquez que je ne défend pas le gouvernement, qui a sûrement commis des erreurs.
Un professionnel sérieux devrait se limiter à donner des avis seulement dans son domaine de compétences et encore dans un but constructif sans chercher à détruire des réputations.
Pour résumer…
Les auteurs tombent très souvent dans le cas de l’imposture qu’ils dénoncent, comme par exemple, se référer à ses collègues avec du mépris, de l’ironie, du sarcasme. J’ai envie de dire, des auteurs qui ne se regardent pas dans la glace le matin.
Mais ce qui me dérange le plus dans ce livre est le côté dénonciation, délation. Pointer du doigt les philosophes qui, selon leurs critères, seraient des imposteurs. La quatrième de couverture laisse supposer qu’il y en aura d’autres. Ont-ils l’intention de faire la “Police de la Philosophie” et constituer un fichier des mauvais philosophes ? de quel droit ? Qui les a chargé de faire ça ? Ce type de texte me fait penser à des sombres moments de l’histoire.
Donc, la démarche des auteurs – destruction de réputation et de biographie – me pose un problème que je classerais dans la catégorie « manque d’éthique professionnelle ». Et c’est aussi un type d’imposture.
Pour palier cet inconvénient, il me semble qu’il serait plus utile de plutôt énumérer les impostures typiques que l’on trouve parmi ceux qui se présentent en tant que philosophes avec, éventuellement, des exemples. Et de laisser les lecteurs identifier les imposteurs, bien plus nombreux que ceux mentionnés dans l’ouvrage. Une attitude beaucoup plus saine et honnête intellectuellement.
Bref, soyons constructifs.
Citations
(p. 9-10 – préface, par Michel Onfray)
La logique de la rentabilisation ne serait pas à déplorer si elle passait par la vente d’un produit propre, autrement dit que ne soit pas frelaté. Sauf fortune personnelle, il faut bien vivre. Vivre comme professeur de philosophie équivaut bien à vivre de ses conférences ou de ses livres.
Mais le problème est moins dans ce commerce de soi, qui est monnayage de sa force de travail, donc salariat, que dans l’indigence de la chose vendue. Le produit est frelaté. Notre Diogène bicéphale [les deux auteurs] a donc raison, en ce sens, de parler d’imposture.
Car la marchandise philosophante est très allégée en philosophie – c’est du café décaféiné, du vin sans alcool, du jambon sans gras, des cigarettes sans tabac, des rillettes sans viande de port, du Parti socialiste sans socialisme. Jadis on aurait pu dire : c’est du Canada Dry, ça a le goût de l’alcool, ça en a la couleur, ça en a l’apparence, mais ça n’en est pas.
(p11 – Preface, par Michel Onfray)
Voila pourquoi, faute de fond, il ne reste à ces nouveaux sophistes que la forme. D’où l’abondance chez eux des effets de rhétorique, des jongleries faussement dialectiques, des sophisteries énoncées avec le ton du magicien, de paradoxes souvent compagnons de route de paralogismes ou de purs effets de langage, comme s’il s’agissait de briller dans un perpétuel concours de rhétorique – ou dans un dîner mondain dont il faudrait être le centre en étant partout, donc nulle part. Le tout en citant ponctuellement Épicure ou Platon, Hegel ou Spinoza, Camus ou Sartre, comme on saupoudre de ciboulette un plat très allégé. Ce name dropping est l’excipient du suppositoire, la garantie de la traçabilité philosophante..
(p.28 – Sur Raphaël Enthoven)
En épigraphe de son premier livre « Un jeu d’enfant », Raphaël Enthoven (né en 1975), sans doute le prof de philo le plus célèbre du PAF, met cette phrase de Camus : « Le monde est beau et hors de lui point de salut. » On aurait presque envie de dire : Enthoven est beau et hors de lui point de salut. Comment résister à sa plastique de mannequin toujours impeccablement habillé, à sa voix suave et séduisante, à son regard profond continuellement habit par la pensée ? Le temps d’une chronique de radio ou d’une émission de télévision, d’un article de presse, il danse avec les concepts, virevolte avec les mots et nous emmène dans des régions toujours insoupçonnées de la pensée, sans à-coups ni accros, sans lourdeur ni jargon, avec fluidité et légèreté…
Nous avons écrit le mot « livres ». Mais Enthoven écrit-il des livres ? Pas vraiment. « Un jeu d’enfant » est la compilation de certaines chroniques de l’émission « Les vendredis de la philosophie » animée par Enthoven sur France Culture entre 2µ03 et 2006. Chroniques un peu réécrites et remaniées auxquelles il a ajouté quelques fragments autobiographiques (souvent sous la forme de dialogues avec son fils, d’où le titre un jeu d’enfant) pour faire un livre court.
(p. 49 – sur Frédéric Lenoir et un des critères de sélection des imposteurs)
1. Fréderic Lenoir, « Le Miracle Spinoza. Une philosophie pour éclairer notre vie, Fayard, 2017 ». Nous aurions pu aussi bien mettre Frédéric Lenoir dans notre village olympique des imposteurs, mais nous ne voulions pas être trop longs et désirions par ailleurs respecter une certaine homogénéité générationnelle (en gros entre 35 et 45 ans) dans notre galerie de portraits. Nous laissons le soin au lecteur d’appliquer lui-même notre méthode critique aux livres très philo-sagesse-spiritualité de l’ancien directeur du Monde des religions récemment reconverti dans la philosophie pour enfants (très à la mode aussi).
(p. 80 – Sur Raphaël Glucksmann)
Une petite référence à la mort chez Heidegger, ça peut aussi faire chic et ça impressionne le lecteur moyen de Télérama qui n’a généralement pas lu une ligne de l’auteur d’Être et temps :
L’adversité – ou la prise de conscience que l’adversité existe, irréductible – peut nous sortir de notre aboulie, rendre ces existences dont nous doutions « authentiques », telle la rencontre de la mort selon Heidegger. Il n’y a plus de choix […] [3]
[3] Raphaël Glucksmann, « Génération gueule de bois« .
(p. 108 – Sur Vincent Cespedes)
Il y a des « intellos » qui ont du succès et leurs noms sont connus : Michel Onfray est sans aucun doute le philosophe français vivant le plus célèbre, il est aussi le plus traduit et le plus lu dans le monde, n’en déplaise à ses détracteurs qui n’arrivent pas à vendre leurs livres en dehors d’une poignée de libraires du Quartier latin. C’est un fait. Il faut sans doute croire que c’est parce que le contenu de ses livres intéresse un minimum les gens. Évidemment, dire cela en France est mal vu. On passe pour le dernier des commerciaux, pour un épicier, un vendu. Mais il faudrait se demander, à l’extrême, si n’importe quel manuel de philo du bonheur, même très léger, même passablement niais (type : être heureux avev Spinoza en vingt leçons – les éditions Eyrolles se sont fait une spécialité de ce genre de livres de philo-développement personnel depuis une dizaine d’années maintenant), ne concerne pas plus la vie humaine et ses interrogations que les « spéculations » phénoménologiques sur l’être de l’apparaître et l’apparaître de l’être.
Quatrième de couverture
« Nous traiterons d’un certain nombre d’auteurs grand public considérés habituellement comme des « intellectuels » ou des « philosophes », qui se signalent apparemment par leur clarté d’expression et qui prétendent populariser la philosophie.
Mais ce sera pour montrer que leur pensée est aussi inconsistante, quoique l’habillage soit d’un style opposé : non pas obscur, intelligible et parfois inquiétant, mais brillant, plein de paillettes et de joliesses. Ce qui est encore une façon de masquer la platitude ou la vacuité du propos.
Notre but est seulement de comprendre ces nouvelles formes de philosophies indigentes qui trompent le publique en lui donnant l’illusion de participer à la vie des idées; alors que cette philosophie 0%, comme il y a des yaourts 0%, se réduit bien souvent à une suite d’élucubrations sans ordre, arbitraires et incohérentes. »
Reprenant avec précision et fidélité les livres de ces néo-néo-philosophes oscillant entre vacuité et cupidité, Henri de Monvallier et Nicolas Rousseau dénoncent une nouvelle génération d’imposteurs, ceux que Victor Hugo, dans un néologisme fameux des Misérables qualifiait de « filousophes ».
Henri de Monvallier et Nicolas Rousseau sont professeurs agrégés de philosphie. S’inspirant de Michel Onfray, René Pommier et Jean-François Revel, ils traquent les impostures de la pensée contemporaine. Ils ont déjà écrit ensemble « Blanchot l’Obscur ou la déraison littéraire » (2015). Henri de Monvallier est également l’auteur de « Le Tribun de la plèbe » (2019)