Marc Augé – Non-lieux : Introduction à une anthropologie de la surmodernité

Marc Augé est un ethnologue et anthropologue français, assez renommé, par lui et par son épouse, Françoise Héritier.

Il s’est beaucoup intéressé à l’anthropologie du quotidien : “Éloge de la bicyclette”, “Éloge du bistrot”, “Un ethnologue dans le métro”, … Mais il a écrit aussi plusieurs livres sur le métier : celui-ci en est un.

Dans une partie introductoire il précise les particularités et différences entre l’anthropologie et l’ethnologie ainsi que d’autres sciences sociales.

La “surmodernité”, ce serait la surabondance d’événements et des lieux (accélération de l’histoire et rétrécissement de la planète) autour de l’objet d’étude de l’anthropologue ou ethnologue. Ces disciplines se sont toujours intéressées au ici et maintenant, une configuration presque statique. Les “non-lieus” seraient justement les “non-ici”, les lieux de passage : aéroports, aires dans les autoroutes, etc, où il se passent des choses qu’il faudra en tenir compte. Finalement, Étudier cet aspect de l’anthropologie c’est aussi faire de l’anthropologie.

Ce livre a été publié en 1992, quand l’Internet n’était pas encore aussi déployée qu’aujourd’hui et les déplacements commençaient à être démocratisées. Malgré cela le contenu n’a pas vieilli et il est encore plus d’actualité.

Une grande partie du contenu est dédiée à l’étude détaillée de ce concept, parfois abstraite. Cela fait que le ceux qui ne sont pas du métier peuvent parfois se perdre s’ennuyer. Mais pour ceux qui s’intéressent au sujet, la lecture en vaut la peine.

Citations

(p. 148-149)

Dans ses modalités modestes comme dans ses expressions luxueuses, l’expérience du non-lieu (indissociable d’une perceptions plus ou moins claire de l’accélération de l’histoire et du rétrécissement de la planète) est aujourd’hui une composante essentielle de toute existence sociale. D’où le caractère très particulier et au total paradoxal de ce que l’on considère parfois en Occident comme la mode du repli sur soi, du “cocooning” : jamais les histoires individuelles (du fait de leur nécessaire rapport à l’espace, à l’image et à la consommation) n’ont été aussi prises dans l’histoire générale, dans l’histoire tout court. A partir de là, toutes les attitudes individuelles sont concevables : la fuite (chez soi, ailleurs), la peur (de soi, des autres), mais aussi l’intensité de l’expérience (la performance) ou la révolte (contre les valeurs établies). Il n’y a plus d’analyse sociale qui puisse faire l’économie des individus, ni d’analyse des individus qui puisse ignorer les espaces par où ils transitent.

(p. 149-150)

Un jour, peut-être, un signe viendra d’une autre planète. Et, par un effet de solidarité dont l’ethnologue q étudié les mécanismes à petite échelle, l’ensemble de l’espace terrestre deviendra un lieu. Être terrien signifiera quelque chose. En attendant, il n’est pas sûre que les menaces qui pèsent sur l’environnement y suffisent. C’est dans l’anonymat du non-lieu que s’éprouve solitairement la communauté des destins humains.

Il y aura donc place demain, il y a peut-être déjà place aujourd’hui, malgré la contradiction apparente des termes, pour une ethnologie de la solitude.

Quatrième de couverture

Après La Traversée du Luxembourg, Un ethnologue dans le métro et Domaines et châteaux, Marc Augé poursuit son anthropologie du quotidien en explorant les non-lieux, ces espaces d’anonymat qui accueillent chaque jour des individus plus nombreux. Les non-lieux, ce sont aussi bien les installations nécessaires à la circulation accélérée des personnes et des biens (voies rapides, échangeurs, gare, aéroports) que les moyens de transport eux-mêmes (voitures trains, trains ou avions). Mais également les grandes chaînes hôtelières aux chambres interchangeables, les supermarchés ou encore, différemment, les camps de transit prolongé où sont parqués les réfugiés de la planète. Le non-lieu est donc tout le contraire d’une demeure, d’une résidence, d’un lieu au sens commun du terme. Seul, mais semblable aux autres, l’utilisateur du non-lieu entretient avec celui-ci une relation contractuelle symbolisée par le billet de train ou d’avion, la carte présentée au péage ou même au chariot poussé dans les travées d’une grande surface. Dans ces non-lieux, on ne conquiert son anonymat qu’en fournissant la preuve de son identité – passeport, carte de crédit, chèque ou tout autre permis qui en autorise l’accès.

Attentif à l’usage des mots, relisant les lieux décrits par Châteaubriand, Baudelaire ou les « passages » parisiens de Walter Benjamin, l’ethnologue remarque que l’on peut se croiser à un carrefour alors que l’échangeur interdit toute rencontre. Si le voyageur flâne en chemin ou s’égare sur une route de traverse, le passager qui prend le TGV ou l’avion est déterminé par sa destination. Aujourd’hui, les repères de l’identité et le statut de l’histoire changent en même temps que l’organisation de l’espace terrestre. Dans ce livre, Marc Augé ouvre de nouvelles perspectives en proposant une anthropologie de la surmodernité qui nous introduit à ce que pourrait être une ethnologie de la solitude.