Jean-Louis Debré – Quand les politiques nous faisaient rire

C’est un bouquin sur l’humour mais c’est aussi, je dirais, un essai en anthropologie, à propos du rire en politique. Un cas particulier du livre « Rire » de David Le Breton.

Jean Louis-Debré, un homme politique très connu, fut député, président de l’Assemblée Nationale, Premier ministre, président de la Cour constitutionnelle, se montre un fin observateur de la vie en politique et un adepte de l’humour, qu’il semble avoir sponsorisé plusieurs événements à l’Assemblée.

Le livre est organisé selon le contexte, avec des exemples : la langue de bois, l’humour pour se sentir exister, les piques, l’ironie, les lapsus, les impromptus et les lois drôles. La rancune et les inimitiés font aussi leur apparition.

On voit passer ceux qui n’ont pas le sens de l’humour (Balladur, …) et ceux qui ne pouvaient pas s’en passer, tels Jacques Chirac, peut-être le dernier des grands.

La différence dans le traitement de l’insulte, traités de « connard » Sarkozy répond « Casse-toi pauvre con », alors que Chirac répond plutôt « Enchanté, moi c’est Chirac. »

La thèse de l’auteur est que les politiques n’ont plus le sens de l’humour qu’avant et que cela est dommage. Avoir de l’humour et savoir se moquer de soi-même est parfois une façon d’adoucir la tâche et arrondir les angles.

Citations

(p. 9)

Nos hommes politiques sont-ils encore capables d’humour et de nous faire rire ? De la classe politique n’émergent plus de fortes personnalités aptes à manier l’ironie, les mots d’esprit et même l’autodérision. Il est loin, le temps de Clemenceau, Jaurès, Briand, celui de Mitterrand, Giscard, Chirac, sans parler de De Gaulle… Où sont les grands orateurs parlementaires qui maniaient la rhétorique avec talent ?

« Nous n’avons plus de grand homme, mais des petits qui grenouillent et sautillent de droite et de gauche avec une sérénité dans l’incompétence qui force le respect. » écrivait Pierre Desproges.

Le rire qui interpelle et illustre des contradictions, le rire arme du combat politique et social, le rire qui rassemble est passé de mode en politique.

(p. 94-96)

Pour dresser le florilège des boutades chiraquiennes, on pourrait pasticher la tirade du nez de Cyrano de Bergerac :

Philosophe : « Les emmerdes, c’est comme les cons, ça vole en escadrille. »

Moqueur (au sujet des centristes) : « Dès qu’ils sont trois, ils font une scission. »

Désarmant : « Je suis un anti-chasseur. Mais je vous comprends : si un lièvre vous attaque, il faut bien que vous vous défendiez. »

Provocateur : « J’apprécie plus le pain, le pâté, le saucisson, que les limitations de vitesse. » (Ce qui ne l’empêchera pas, vingt-cinq ans plus tard, de faire de la sécurité routière une priorité.)

Ironique : « Bien sûr, je suis à gauche : je mange de la choucroute et je vois de la bière. » Formule qu’il complétait souvent par celle-ci : « Je sais que j’ai une grande gueule de droite, mais on ne peut pas se refaire. »

Sportif : « J’aime les barres parallèles » et de préciser après un court silence, « un bar rive droite, un bar rive gauche. »

Blagueur (envers son ami Abdou Diouf, président du Sénégal) : « Dis donc, t’as encore grandi, non ? On t’arrose bien. »

Vulgaire : « Qu’est-ce qu’elle veut la mégère, mes c… sur un plateau ? » (Lors d’un sommet européen, en février 1988, après un « vif échange » avec Margaret Thatcher sur le remboursement d’une partie de la contribution du Royaume-Uni au budget de l’Union européenne. Son micro, qu’il pensait éteint, était resté branché.)

De bon sens (à propos des experts et des sondages) : « Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir. »

Ricaneur : (sur la cohabitation avec Lionel Jospin) : « Ce n’est pas la fusion, mais ce n’est pas non plus la fission. »

Impitoyable (concernant Sarkozy) : « Il faut lui marcher dessus, ça porte-bonheur. »

Furieux : « C’est à se le prendre et à se les mordre. » (Le jour où je l’annonce, en 1995, qu’un député qui lui doit beaucoup est passé dans le camp balladurien.)

Méchant (en évoquant François Fillon) : « C’est un chien qui mord par-derrière. »

Indifférent : « Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre. » ou « Je m’en tape le coquillard avec une patte d’alligator femelle. »

Sceptique (envers les professionnels de la complication) : « Ils câlinent les coléoptères. »

Grivois (à propos d’une publicité vantant les mérites de matelas) : « Un matelas Tréca… pour niquer sans tracas. » Un soir où il m’avait dans un restaurant antillais, il me précisa : « Manger épicé, c’est bon pour le poum-poum. »

« Le Chef c’est fait pour cheffer », aimait-il à répéter.

Quatrième de couverture

L’humour est un art en politique. Jean-Louis Debré, qui le pratique lui-même avec grand talent, nous livre un florilège désopilant de répliques et bons mots glanés tout au long de son parcours.

L’ironie et l’humour étaient des armes fréquemment utilisées par les politiques pour déstabiliser un adversaire, éviter de répondre à un journaliste, convaincre et séduire l’opinion. De Gaulle, Mitterrand, Chirac étaient des orfèvres en la matière. Au Parlement, la petite phrase bien ciselée, percutante, qui déclenche des rires, marque l’auditoire mieux qu’un long discours. Ainsi, Georges Clemenceau lançant :  » Vous n’êtes pas le bon Dieu ! «  à Jean Jaurès qui lui répond :  » Et vous, vous n’êtes même pas le diable ! «  Et Clemenceau de riposter :  » Qu’en savez-vous ? «  Le député André Santini a fait mouche un jour avec cette formule irrésistible à propos du primat des Gaules :  » Mgr Decourtray n’a rien compris au préservatif. La preuve : il le met à l’index ! «  Ces traits d’esprit se révèlent souvent d’une redoutable efficacité, mais il peut aussi arriver que les arguments auxquels ont recours les orateurs fassent rire à leurs dépens. Tel ce député qui se plaignait que dans son département il n’y ait que trois abattoirs… un nombre très  » insuffisant «  pour deux cent mille habitants.

À travers ce livre, qui fourmille d’anecdotes et de choses vues, l’auteur montre à quel point l’humour est un signe de bonne santé de notre vie démocratique.  » Il n’y a pas si longtemps, on pouvait rire de tout « , rappelle-t-il en déplorant que ce ne soit plus le cas de nos jours. Heureusement, Jean-Louis Debré persiste et signe, quant à lui, dans le registre du bon mot, de l’autodérision et de la saillie verbale. Un régal.