Jean-Claude Kaufmann – C’est fatigant, la liberté…

J’aime bien les livres de Jean-Claude Kaufmann. Sujets traités à fond tout en restant très accessibles. Ce livre, publié en mars 2021 n’est pas démodé et mérite toujours d’être lu.

Ce livre est divisé en trois parties : “La drôle de vie”, “L’autonomie épuisante” et “Le nouveau pays de Cocagne”.

“La drôle de vie” nous parle de la rencontre brutale avec la pandémie et tous les changements qui vont avec : le confinement, la communication dans la presse et les réseaux sociaux, les changements des habitudes, … Finalement, beaucoup ont trouvé un bonheur dans le confinement : la paresse, le temps, … Bien entendu, à l’exception des cas difficiles tels une famille ou l’espace de vie n’est pas suffisant, les couples qui ne s’entendaient pas déjà avant la pandémie, …

“L’autonomie épuisante”. Kaufmann donne comme exemple la liberté de choisir un plat au restaurant et que finalement le plus simple est de demander “la même chose que lui”… En fait, nous ne sommes pas aussi libres que nous pensons et, parfois, des demandes de plus de liberté ont des incohérences (les français sont des râleurs…). En fait, beaucoup de cette partie tourne autour de “normalité”. Ce concept ne va pas de soi et c’est plutôt une construction sociale. Un très bon exemple mentionné par Kaufmann est celui des vacances, époque où chacun est sensé pouvoir faire tout ce qu’il ne fait en dehors des vacances. Donc, ne rien faire, ou faire une siesta à la plage tout en se bronzant, ce sont des choses pas forcément bien vues ou honteuses. A côté de ces “normalités” de la vie en société, il y a un tas de petites choses “anormales” qu’on a découvert et pratiqué pendant les périodes de confinement.

“Le nouveau pays de Cocagne” – alors, quoi faire ? Jean-Claude Kaufmann cherche un mi chemin entre la “normalité” de la société et les petits plaisirs que l’on a pu découvrir, et d’autres, pendant le confinement. Une amie m’a dit l’autre jour sur un “personnage” que j’ai croisé dans la rue : “Il n’a pas peur d’être heureux !”. C’est bien ça, il faut se libérer de cette “normalité”, et être soi même. Bien sûr, le point central dont parle Kaufmann est les limitations naturelles d’une vie en société.

Ce livre a été publié en mars 2021, plus au moins au milieu de la pandémie. Kaufmann s’est basé sur ce qui a été publié sur la pandémie : presse, livres, … Et a mis ça en rapport avec des connaissances en sociologie, philosophie, … C’est un travail de recherche remarquable et toujours d’actualité. C’est un livre à lire.

Je le démarque par rapport à des livres écrits à la hâte, juste au début de la pandémie. Il y a deux qui m’ont beaucoup déplu dès le départ. Alors que les connaissances de la pandémie étaient encore limitées, ils se sont basés sur des généricités en début de la pandémie pour faire du militantisme. Edgar Morin, dans “Changeons de voie – les leçons du coronavirus“, parle de solidarité et mondialisation pour plaider un changement dans l’ordre mondial basé sur le communisme. Bruno Latour, dans Où suis-je, fait le rapprochement entre la pandémie et La métamorphose de Kafka pour plaider ses idées écologiques. Je n’ai rien contre leurs idées, c’est leur droit, mais il m’a semblé que ce n’était pas le moment de faire du militantisme. Ça se rapproche d’une imposture intellectuelle.

Klaus Schwab a fait un peu mieux. Il a écrit des idées intéressantes dans “COVID-19 – La grande réinitialisation” tout en promettant une mise à jour de son ouvrage… mise à jour qui n’est jamais venue.

Citations

(p. 64)

Cette signification d’ensemble était toute trouvée, évidente, partagée par tous. Elle se trouvait déjà dans les archétypes des filmes héroïques contre les épidémies, et elle avait une forme clairement narrative. Celle de l’épopée guerrière contre un ennemi invisible. Le pouvoir politique avait d’ailleurs très tôt fourni des éléments de langage. Nous étions en guerre, et la population était divisée en trois catégories pour mener le combat. Les “premières lignes” sur le front de l’hôpital, les “deuxièmes lignes faisant le ménage et ramassant les poubelles, l’arrière restant sagement confinée et applaudissant à 20 heures. Chacun jouait son rôle dans le scénario.

(p.163)

Se retirer du monde, ralentir, se reposer, faire le vide; tous ces désires existentiels ne cessent de monter inexorablement comme une vague immense qui nous entraîne quels que soient les efforts que nous fassions pour y résister. Contrepoison aux maladies de la modernité tardive. La lenteur n’est pas le vide, la mollesse n’est pas le retrait; tous ces ingrédients spécifiques s’articulent malgré tout dans un mouvement d’ensemble qui fait sens, fluctuant, informel, mais cohérent. Le plus important à mon avis est de prendre la mesure de cette vague, et de saisir les bouleversements qu’elle annonce; c’est ce qui est au centre de ce livre.

(p. 173-174)

Le vide subi et le vide voulu, le retrait subi et le retrait voulu renvoient en fait à deux univers très opposés même s’il existe des liens entre eux. Ce qui m’intéresse ici se situe un peu entre les deux, dans le laissez-aller involontaire, le ramollissement honteux mais délicieux, qui cherche vaguement un sens à cette étrange attirance. Ce qui m’intéresse ici exclut toutes les excroissances particulières que je viens d’évoquer, que ce soit dans le cadre d’effondrements pathologiques ou de développements spirituels donnant forme au retrait. CE qui m’intéresse ici est de creuser au centre. Et ce centre se situe dans les gestes les plus ordinaires de la vie quotidienne, les plus anodins, dans les mille expériences existentielles minuscules qui ont révélé leurs trésors lors du confinement.

Quatrième de couverture

Pour Jean-Claude Kaufmann, la crise sanitaire est révélatrice d’un possible «?glissement civilisationnel?» vers une forme de vie plus simple et tranquille, au risque d’abandonner certaines de nos libertés.

Les confinements ont été de plus en plus pénibles à vivre pour certains, piégés dans leur appartement surpeuplé, mais pas pour tout le monde. Une majorité de personnes a même trouvé quelques agréments discrets dans le fait de se laisser un peu aller, de dormir davantage, de faire moins d’efforts vestimentaires. L’existence toute simple avec les siens, n’était-ce pas là l’essentiel??

Ces événements ont agi comme un révélateur personnel. Et comme révélateur de tendances longues de notre société, qui nous entraînent vers un désir toujours plus grand de lenteur, de douceur, de silence, de mollesse existentielle, alternative à une société trépidante et exténuante, qui perd parfois le sens de son agitation.

Jean-Claude Kaufmann analyse comment l’élargissement continu du pouvoir de décision des individus a fini par accumuler une surcharge mentale. Et pourquoi devoir décider de tout, sans cesse, par soi-même, n’est pas une sinécure. Mais serions-nous véritablement prêts à abandonner certaines de nos libertés pour une vie plus tranquille?? Pour le sociologue, le nouveau pays de Cocagne dont rêvent certains est traversé par des contradictions qui dessinent les enjeux politiques à venir.