Pascal Ory – La haine du juif

Pascal Ory n’est pas juif, il est un “goy”, comme moi. Ce livre fait partie des exceptions (un peu quand même) : la plupart des livres traitant ce sujet ont été écrits par des juifs, comme s’ils étaient les seuls concernés et vraiment intéressés. Cela nous concerne tous. Et c’est très bien que ce sujet soit traité aussi par des “goys”.

Si j’ai bien compris, le fils aîné de Pascal Ory est juif. Donc, il est, ou a été, marié à une juive. Mais ça ne suffit probablement pas. Il peut s’intéresser en tant qu’historien mais il y a peut-être plus. J’ai un certain nombre d’amis juifs, au travail et dans ma vie privée. J’éprouve une sympathie certaine envers eux et envers les juifs en général. Donc, j’essaye de comprendre ceci, un sujet de société dont on parle beaucoup mais beaucoup ne connaissent pas tout.

A noter que Pascal Ory a été le directeur de thèse de Laurent Joly, un historien spécialiste de l’antisémitisme, qui a publié plusieurs livres sur le régime de Vichy et les Juifs.

L’auteur nous rappelle la différence entre antijudaisme et antisémitisme, le premier a une raison religieuse (de droite) et l’autre une raison raciste (de gauche).

Si j’essaye de résumer en peu de lignes le contenu du livre, dont l’auteur le classe comme un “essai”… En fait, la haine du juif a commencé depuis très très longtemps. Et pendant longtemps, la raison était surtout religieuse : les religions monothéistes : le christianisme et l’Islam.

Pascal Ory n’en parle pas, mais il est curieux de voir que pendant une certaine période, tout au début de l’Islam, il y a eu une cohabitation pacifique entre les juifs et musulmans. Patrick Boucheron en parle dans un des épisodes de la série “Quand l’histoire fait dates”, sur Arte.

Ce qui est à retenir est que les raisons de la haine du juif évoluent avec le temps : si elle était au départ surtout liée à la religion, dans nos jours elle est d’une part raciste et d’autre part beaucoup, et surtout, entretenue par les antisionistes : le problème israélo-palestinien.

Ce problème est très complexe, et traité avec une extrême naïveté par ceux qui défendent les palestiniens et qui considèrent Israël comme des méchants. Cette haine commence par Hassan el-Bannah (grand oncle de Tariq Ramadan), fondateur des Frêres Musulmans, puis avec le grand mufti palestinien Hadj Amin al-Husseini, qui a soutenu l’action de Hitler dans la Shoah (Yasser Arafat revendique être son petit-neveu). Pascal Ory parle de al-Husseini mais pas de el-Bannah. Des organisations comme le Hamas, entre autres, ne cherchent pas la paix avec Israël mais la destruction de ce pays : c’est dans leurs statuts.

Du coup, j’ai appris que la thèse de doctorat (1982) de Mahmoud Abbas (The Connection between the Nazis and the Leaders of the Zionist Movement 1933–1945) soutenait l’idée comme quoi, pendant la deuxième guerre, les juifs ne cherchaient pas sauver les juifs assassinées puisque, selon lui, plus grand serait le nombre de morts, plus grande serait la compensation après la guerre (p. 129). Cette information ainsi que le négationnisme de la Shoah et ses déclarations antisémites sont aussi détaillées dans sa page Wikipédia.

Pascal est, finalement, assez pessimiste sur la haine du juif. Pour lui, il y en a qui trouveront toujours des excuses pour haïr les juifs : “Pour qu’il en fût autrement, il eût fallu une autre histoire, autrement dit une autre humanité.” (p. 144).

Sur le conflit israélo-palestinien, Amos Oz, dans Chers fanatiques : Trois réflexions, estime que ce conflit ne pourra être réglé que si chacune des parties cède partiellement. Il n’y a pas que des fanatiques, mais il en voit des deux côtés. Il ne faut pas être ni naïf ni fanatique.

Une autre discussion intéressante sur la haine du juif est le livre de Pierre Birnbaum, Les larmes de l’histoire, où il commente et conteste les thèses de Salo Baron comme quoi les juifs ont eu des périodes plus calmes. Ce livre parle un peu des périodes plus lointaines et se concentre surtout sur la vingtième siècle aux États Unis, après la migration des juifs des pays de l’Est fuyant les pogromes, démontrant qu’il y a toujours eu des tensions plus ou moins fortes.

Citations

(p. 13)

La question antijuive, par définition n’est pas posée aux Juifs : pour eux, c’est une réponse, qui leur est envoyée en pleine face par les antijuifs. C’est donc une question posée aux goys. Or, ça tombe bien : j’en suis un.

(p.129)

Le futur dirigeant de l’Autorité palestinienne au début du XXIe siècle, Mahmoud Abbas, perfectionne sa formation universitaire à Moscou, dans le cadre de l’université Patrice-Lumumba. En 1982, il y soutiendra une thèse de doctorat entendant démontrer “La connexion entre les nazis et les dirigeants sionistes” entre 1933 et 1945, en vertu du postulat : “L’intérêt du mouvement sioniste consistait à ne pas chercher à sauver les Juifs durant la guerre afin d’augmenter le nombre de morts et obtenir des plus grandes compensations après la guerre.”. Bel exemple de substitution conspirationniste du “Juif” au “sioniste”.

(p. 130)

Amine el-Husseini est, en tant que grand mufti de Jérusalem, la plus grande autorité musulmane de Palestine à l’époque du mandat britannique (1919-1948). Son opposition farouche à la puissance mandataire se double chez lui d’une haine antijuive explicite qui le conduit à soutenir systématiquement l’ennemi de ses ennemis, à savoir le Premier ministre irakien au début de la Seconde Guerre mondiale, Rachid Ali, allié de l’Axe, puis directement le Duce et le Führer. C’est à Berlin que le grand mufti s’installe en 1941 et qu’il encourage l’engagement militaire des musulmans dans la Waffen SS. En novembre 1943, lors d’une allocution solennelle prononcée dans le hall de la Luftwaffe, il conclu que , “par dessus tout”, les Allemands “ont définitivement résolu le problème juif”. Étranger sur le fond à la logique racialiste d’Hitler, qui lui parle de “science” pour justifier son combat contre les Juifs, el-Husseini se révèle dans la pratique un auxiliaire actif de la guerre antijuive. Avec lui – qui aura encore, au moment de la naissance de l’État d’Israël, assez de prestige pour être le président du congrès qui proclame en retour l’indépendance, finalement virtuelle, du premier État palestinien -, on mesure combien la question antijuive, dès qu’elle se restructure autour d’une géopolitique violente et clivée, peut conduire au Moyen-Orient à des conclusions idéologiques aussi radicales que si elle était portée par un activisme à soubassement raciste.

(p. 139)

La judéophobie a donc une date de naissance : le christianisme. En revanche, il n’est pas sûr qu’elle ait jamais une fin, indépendamment du destin des deux religions monothéistes universelles. La judéophobie générale vient, si l’on veut, de la “droite”. Mais l’antisémitisme en sens strict vient, même si on ne le veut pas, de la “gauche”.

(p.144)

Comme il est peu probable qu’une nouvelle colonisation de la Terre sainte par une puissance tierce réconcilie un jour sur son dos des Israéliens et des Palestiniens également chassés de leur terre, il faut bien admettre que, selon toute vraisemblance, sinon toute bonté, Juifs et antijuifs ne disparaîtront qu’ensemble, rejoints par le reste de l’humanité – qui, il est vrai, en constitue la plus grande part. Voilà qui n’est pas gai, semble-t-il, mais voilà qui n’est pas triste non plus : c’est. Pour qu’il en fût autrement, il eût fallu une autre histoire, autrement dit une autre humanité.

Quatrième de couverture

C’est une tragédie en trois actes, avec un prologue.

Le prologue se situe en des temps très lointains, avant l’ère chrétienne. Le peuple juif, contrairement à une version très répandue (on appelle ça la Bible), n’y fait pas l’objet d’une attention particulière.

Acte 1 : Si le monothéisme juif n’était pas un problème pour les polythéistes, le judaïsme, lui, est un problème pour les chrétiens – donc, dans la foulée, pour les musulmans – : le peuple élu refuse obstinément de reconnaître ici son sauveur, là son prophète. Mauvais exemple.

Acte 2 : Lorsque l’Occident va commencer à s’éloigner de l’hégémonie chrétienne, cela fait déjà mille cinq cents ans qu’il y a une supposée « question juive ». Ça laisse des traces, que le monde moderne ne pourra jamais effacer, surtout quand une certaine science invente la « race », quand un certain athéisme invente l’« antisémitisme ».

Acte 3 : À peine, avec la défaite d’Hitler, cette haine-là a-t-elle été anéantie que la naissance de l’État d’Israël en allume une troisième, « antisioniste », géopolitique, qu’on peut instrumentaliser à loisir, et qui n’a aucune (dé)raison de s’éteindre.

Et voilà pourquoi la judéophobie ne remonte pas à la nuit des temps, mais prend date pour être éternelle.

Pascal Ory s’interroge en historien sur les origines et la persistance de l’antisémitisme, dans un essai utile et percutant appelé à faire débat face à la montée de l’islamo-gauchisme.