Pierre Assouline – L’épuration des intellectuels

Ce n’est pas le premier ouvrage que je lis de Pierre Assouline. Toujours une écriture facile et agréable.

La lecture de ce livre suppose une connaissance préalable du contexte : les écrivains et journalistes, les tendances politiques des journaux pendant la période d’occupation mais aussi celle d’avant. L’auteur le dit clairement dès le départ.

L’épuration des intellectuels (journalistes, écrivains, éditeurs, …) a été la première a démarrer dès la libération de la France au deuxième semestre 1944.

La première partie est un récit des jugements, mois par mois, cas par cas : les prévenus, le déroulement, les décisions de justice.

La deuxième partie, est une réflexion sur cet épuration, tenant compte de ce qui s’est passé en dehors des tribunaux – la vie des écrivains, leurs relations, le CNE (Comité National des Écrivains), … Je mets cette partie en parallèle avec le livre “Des mots qui tuent” de Giselle Sapiro. Ce livre ci est d’un abordage plutôt factuel et romancé tandis que celui de Sapiro est plutôt philosophique.

Il y a une dernière partie, plus courte où l’auteur se pose la question “Qu’est-ce une épuration réussie ?”. Et c’est tout le sens de ce livre ainsi que celui de Sapiro.

On a constaté qu’il n’y a eu une homogénéité dans les décisions de justice en même temps que ces décisions ont été, avec le temps, de moins en moins sevères. Tout cela pour diverses raisons. Pour compliquer encore le fonctionnement de la justice, il n’y avait pas de jurisprudence et certains délits ou crimes ont été appliqués de façon rétroactive, c’est à dire, des crimes ont été définis en tant que tel après que les actes ont été commis.

Mais, il y avait urgence, il fallait que les personnes incriminées soient jugées et il ne fallait pas attendre.

Ce livre a écrit dans les années 1990, soit quarante ans après les faits. Celui de Sapiro, en 2011. Il est possible, avec le temps et avec l’ouverture des archives de l’époque, avoir une vision et une réponse plus objective de ce qu’aurait été une épuration réussie sans dire pour autant que celle des années 40 n’a pas été réussie. La justice a fonctionné comme elle a pu le faire sur le moment, avec toutes les défaillances déjà connues ou pas.

Citations

(p.24)

Il ne fait pas bon être milicien en 1944. Le port de l’uniforme des émules du chef Darnand entraîne la peine de mort. Un bandeau sur les yeux, genoux à terre, une balle dans la tête. Nombre d’officiers des troupes alliées, qui n’imaginent pas ce qu’a pu être l’Occupation de la France, s’interposent plus d’une fois entre Français pour éviter les lynchages et les mises à mort tout en fermant les yeux sur un “moindre mal” : la tonsure des femmes pour crime de collaboration horizontale.

(p.26)

C’est dans cette atmosphère , dans cet état d’esprit que s’est déroulée l’épuration. Ceci ne justifie pas certaines actions mais les explique. Les premières “victimes expiatoires” de 1944-1945, qu’elles fussent coupables ou non, représentaient peut-être le prix à payer pour que s’ensuivre une épuration judiciaire relativement indulgente. Dans ce processus, une catégorie de citoyens est plus que les autres mise face à ses responsabilités : les intellectuels. Et parmi eux, les journalistes et les écrivains plus particulièrement.

Peut-on écrire sans conséquence ? Jamais la question ne fut autant d’actualité.

Quatrième de couverture

Peut-on et doit-on tout écrire ? C’est la question cardinale posée par Pierre Assouline en filigrane de cet ouvrage classique, devenu introuvable depuis des années, sur l’épuration des figures de proue de l’écriture et de la pensée compromises avec Vichy et le IIIe Reich durant l’occupation.

Après avoir raconté avec le talent qu’on lui connaît le procès et le sort des Maurras, Brasillach, Hérold-Paquis, Luchaire et de nombreux autres d’août 1944 à décembre 1945, l’auteur interroge ” Les intellectuels face à leurs responsabilités ” et ose un dernier chapitre intitulé : ” Qu’est-ce qu’une épuration réussie ? “